Louis Morissette

Père perfectible

Le guide de la famille parfaite, de Ricardo Trogi, sera en salle le 14 juillet. Discussion sur la parentalité avec le coscénariste, producteur et acteur principal du film, Louis Morissette.

Marc Cassivi : Je voulais te parler de la société de performance et de la « surparentalité » qui est au cœur du film. Est-ce qu’on étouffe nos enfants avec les ambitions qu’on a pour eux ? Je pensais à cette réplique de ton personnage qui dit au père de l’un de ses employés : peut-être qu’on projette trop de choses sur nos enfants, peut-être qu’ils ne sont pas aussi exceptionnels qu’on le pense...

Louis Morissette : La réplique suivante, c’est : « Ce que ton fils va devenir, c’est pas ta note à toi comme parent. » Quand on est arrivés en montage, Ricardo [Trogi] m’a dit : « Cette scène-là, il faut qu’elle saute. Elle n’a plus rapport. On est rendus ailleurs dans le récit. » Il avait raison. Mais elle résume ce que je veux dire, donc je l’ai gardée.

M. C. : La preuve que tu n’avais pas tort, c’est qu’elle m’a marqué...

L. M. : Tu n’es pas le seul. Quand on arrive là dans le récit, elle ferme une certaine parenthèse ou scelle du moins le point de vue du scénariste.

M. C. : Elle résume aussi ton point de vue de père ?

L. M. : Je vais te le dire bien franchement, Le guide de la famille parfaite, c’est l’affaire qui me ressemble le plus de tout ce que j’ai fait à date. Le mirage, c’est bien sûr un gars du 450 avec sa maison contemporaine. Il y avait des points de repère avec moi. Mais le questionnement, puis le malheur et la pression financière que vivait le personnage, c’était vraiment plus une observation de beaucoup de gens dans mon entourage. Le guide de la famille parfaite est devenu immensément plus personnel au fur et à mesure que je l’écrivais. Je me suis fait rattraper un peu par l’histoire, personnellement. Parce que, entre le moment où j’ai commencé à écrire le film puis la version qu’on a tournée, il y a un monde. Quand il y a une tendance sociale nouvelle, une réorganisation ou un rebalancement, j’ai tendance à l’aborder en me disant : pourquoi ça ne marche pas comme avant ?

M. C. : On a tous un peu ce côté-là. Le statu quo est rassurant...

L. M. : Ça allait bien ! Pourquoi il faut revoir notre modèle ? Ça m’énerve. Je suis fait comme ça. Je commence toujours par chigner un peu, puis à m’intéresser réellement à ce qu’on essaie de me dire. J’ai commencé à écrire le scénario en me disant : comment ça se fait qu’on ne peut plus juste dire à un enfant : « Fais ça pis tais-toi » ? C’est un peu comme ça que j’ai été élevé : « Non, je ne t’ai pas demandé ton avis. » De fil en aiguille, le film est devenu une réflexion sur la façon dont tu gères ça, un adolescent de 15-16-17 ans.

« Quand je me suis assis avec différents psychologues pour comprendre comment les codes ont changé entre ma génération et celle de mes enfants, l’anxiété de performance revenait constamment dans les discussions. »

— Louis Morissette

Pourquoi ils ont de la difficulté parfois à suivre et à entrer dans le train ? Cette comparaison-là, cette pression mise par les parents, les étouffe souvent. Finalement, ils se retrouvent à avoir les pieds dans le ciment et ça fait des jeunes dépressifs qui, par moments, vont compenser en consommant différentes choses pour se trouver un refuge dans cette anxiété, qui est beaucoup nourrie par les parents.

M. C. : « Vous les élevez comme des enfants rois. » On m’écrit souvent ça en réaction à mes chroniques « famille » du dimanche. On ne parlait pas beaucoup d’anxiété de performance quand on était jeunes...

L. M. : Je pense qu’on ne mettait pas les mots sur le problème. On ne parlait pas d’autisme non plus. On ne parlait pas de TDA. On disait : « Il n’aime pas ça, l’école. C’est pour ça qu’il se concentre pas ! » Aujourd’hui, on se rend compte que les réseaux sociaux ont créé un stress aussi ou une anxiété chez les gens, ancrée dans la comparaison. On nous reproche beaucoup comme parents d’être toujours branchés sur nos téléphones. Je suis bien plus impliqué dans la vie de mes enfants que mes parents l’étaient dans la mienne ! Mais il y a quelque chose dans l’industrie de la parentalité qui nous a culpabilisés beaucoup en tant que parents. On s’est investis, peut-être même trop, en ne laissant pas nos enfants se casser le nez. Ils arrivent à 16-17-18 ans et ils expérimentent l’échec pour la première fois. Alors qu’on leur demande depuis le début d’exceller. Ils ne savent pas gérer ça. J’ai commencé à écrire là-dessus et mes enfants ont commencé à me parler de leur anxiété. J’ai commencé à l’identifier.

M. C. : Cette anxiété te semblait loin de ta réalité et finalement, ce n’était pas vraiment le cas.

L. M. : Je pensais vraiment que sur ce plan-là, chez nous, ça allait. Mais en jasant avec ma plus vieille, j’ai compris qu’elle se sentait comme ça et je reconnaissais chez elle les codes que les psys m’avaient donnés. J’étais en train de devenir mon personnage pendant que j’écrivais le scénario, même si ce n’est pas une tranche de vie. Tout ça pour dire que cette espèce d’anxiété de performance, mes enfants la vivent aussi. Pour moi, en tant que père, le défi a été d’essayer de recalibrer ma façon de communiquer avec mes enfants. Par exemple, je ne parle plus de notes. On a le même âge. On est une génération pour qui les notes à l’école représentaient quasiment notre valeur en tant que jeune. T’avais une moyenne de 70 ou de 90, tu étais sur la « dean’s list » ou pas, tu représentais l’école dans un concours XYZ. Ta note, c’était toi, parce que tu passais la majorité de ton temps à l’école.

M. C. : Mon père était le directeur de mon école secondaire. Il valait mieux que je sois un premier de classe !

L. M. : J’étais habité par ça quand les enfants ont commencé le secondaire. Ma première question, c’était : « T’as eu combien ? T’as eu une note moyenne, alors travaille plus fort ! »

« Mais à un moment donné, je me suis demandé si j’étais si bon que ça à l’école et si les gens qui se sont bâti une belle vie – je parle de succès au sens large, que ce soit professionnel ou personnel –, les gens qui sont heureux aujourd’hui et qui sont à la bonne place, sont-ils nécessairement ceux qui étaient les plus performants à l’école ? »

— Louis Morissette

Il y a une intelligence scolaire de bien comprendre le plan du professeur et de l’exécuter à l’examen. Il y en a d’autres qui ont besoin que le cadre soit un peu plus « slack », pour laisser aller un peu leur créativité, ce qui était mon cas. À un moment donné, je me suis dit qu’on allait plutôt parler d’efforts et d’implication. Tout donner, aller au bout de soi-même, ce sont plus ça, les mots que j’utilise, plutôt que de parler de notes. Et ça va mieux.

M. C. : Quand des parents ont un succès public, comme c’est le cas pour Véro et toi, comment gère-t-on la pression qui forcément s’ajoute sur les épaules des enfants lorsque leur avenir professionnel commence à se dessiner ? C’est plus compliqué ?

L. M. : Ça commence à être compliqué à 16 et 18 ans. Mon fils aimerait être humoriste. Il commence à écrire. La première chose qu’il a écrite, c’est justement sur les gens qui mettent de la pression en demandant : « Qu’est-ce que tu veux faire dans la vie ? » Il a 16 ans ! Il a travaillé dans une école de hockey et il va travailler dans une épicerie.

M. C. : La pression de prendre le bon chemin est énorme à cet âge-là...

L. M. : Mon fils a trouvé quoi répondre. « Je vais dire avocat ou médecin. Ça a l’air que ça fait plaisir à tout le monde ! » [Rires] Cette pression-là m’amène dans une deuxième vague qui sera peut-être le sujet du prochain film que je vais écrire, beaucoup plus axé sur ma relation avec mes grands enfants et mon rôle de père. Quand ils sont jeunes, tu leur dis quoi faire puis t’essaies de les guider et de les inspirer. Réussir devient un exemple positif pour tes enfants. Je dis réussir, mais je pense par exemple à gagner des prix ou à avoir des cotes d’écoute, après m’être battu pour un projet. Aujourd’hui, je dois déconstruire ça jusqu’à un certain point, pour leur montrer que c’est correct de se tromper, c’est correct de faire des erreurs. Pour que tu finisses par comprendre quelque chose, pour avoir de l’expérience, il faut que tu passes par une série d’échecs. Lorsqu’ils me parlent de vouloir travailler dans les communications, je leur parle de la pression populaire : « Vous allez vous faire comparer... »

M. C. : On ne veut pas les brimer, si c’est ce dont ils ont envie. En même temps, ça me fait penser à tous ces enfants de grands sportifs qui ont choisi le même sport que leurs parents. Des Brett Hull, il n’y en a pas eu des centaines...

L. M. : Ma fille me dit qu’elle voudrait être animatrice. C’est sûr que ça peut être un « bumpy road ». Si t’es le fils de Gretzky, t’es mieux d’être bon rapidement. T’auras peut-être pas le temps de t’adapter très longtemps. Mais ils ont leur parcours à faire et à écrire. Je peux aussi les mettre en face de mes échecs. Sur YouTube, je peux aller leur montrer les Bye bye, Les Mecs comiques, V.I.P. Je leur dis que pour apprendre certaines choses, j’ai eu des échecs retentissants, qui me permettent de reconnaître des pièges. Ils vont apprendre, eux aussi, et je peux les aider là-dedans. Plutôt que de toujours les inspirer par des affaires positives, j’essaie de les inspirer à la dure pour qu’ils sachent qu’ils ont le droit de se tromper. Il faut aussi leur montrer la face cachée de nos succès. On essaie de faire du mieux qu’on peut. L’éducation, c’est complexe. Il y a beaucoup de zones grises, beaucoup de nuances, et il n’y a pas un enfant pareil.

Le Guide de la famille parfaite prendra l'affiche le mercredi 14 juillet.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.