ACCORD DE PAIX AVEC LES FARC

Le pays plongé dans l’incertitude après un Non au référendum

Retour à la table de négociations ? Pire :  aux hostilités ? L’euphorie de la communauté internationale a fait place à la stupéfaction et à l’inquiétude, hier, au lendemain du rejet par référendum, avec 50,2 % des voix, de l’accord de paix conclu entre Bogotá et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Comment expliquer ce résultat ? Que va-t-il maintenant se passer ? Explications en quatre points.

LES RAISONS DU REFUS

« Les gens qui ont vécu la guerre ont voté pour [l’accord de paix] dans une écrasante majorité », relève Diego Osorio, mais ils n’ont pas voté en assez grand nombre, car ils « croyaient que c’était gagné, tous les sondages donnaient au Oui 55 %, voire 60 % » des intentions de vote, estime le chercheur québécois d’origine colombienne, associé à la chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia. Outre l’abstention importante, avec un taux de participation de 37,2 %, qui peut aussi s’expliquer par les inondations provoquées par l’ouragan Matthew ou encore par l’absence de mobilisation politique, comme la mise à disposition d’autobus pour transporter les électeurs, Diego Osorio croit que l’accord a été « mal vendu » par les autorités, qui ont trop misé sur la « participation citoyenne, comme si les gens allaient prendre le temps de lire les 297 pages [de l’accord] ! »

UN ENJEU PERSONNEL

Il y a « une certaine ironie » dans le rejet de cet accord de paix, fruit de plus de quatre ans de négociations, étant donné que « la campagne du Non était menée par un ancien président [Alvaro Uribe] qui se sait menacé par la justice post-accord de paix », note Me Pascal Paradis, directeur général d’Avocats sans frontières Canada, une organisation non gouvernementale très présente en Colombie. « C’est sous sa présidence que la parapolitique a été à son apogée » et que des « violations massives des droits de la personne » ont été commises, illustre l’avocat québécois, évoquant le recours aux paramilitaires, les assassinats de syndicalistes ou les emprisonnements de politiciens. Alvaro Uribe n’est accusé de rien, pour l’instant, mais il pourrait très bien être l’un des « prochains hauts dirigeants de la Colombie à être éventuellement visé par la justice nationale ou peut-être même par la justice internationale », estime Pascal Paradis.

AUCUN PLAN B

« Tout le monde [en Colombie] s’entend pour dire qu’on ne veut pas retourner à la guerre, qu’il faut sauver cet accord de paix, mais on ne sait pas comment, car on n’avait pas de plan B », constate Diego Osorio. « Les Colombiens n’ont pas dit non à la paix, ils ont dit non à cet accord-là », renchérit Pascal Paradis, qui constate lui aussi que le texte n’indique rien en cas de rejet de l’entente. Le juriste estime toutefois que « ce serait surprenant » que les parties n’aient pas prévu cette éventualité. Même s’il y a « énormément de tristesse, énormément d’indignation » en Colombie après le rejet de l’accord de paix, il y a aussi beaucoup d’espoir, assure Pascal Paradis. « C’est allé très vite », dit-il, soulignant qu’il s’agissait d’enjeux complexes à expliquer et déplorant une « campagne de désinformation ». Il aurait selon lui fallu « plus de temps pour expliquer aux gens de quoi il en retournait ».

LES SCÉNARIOS POSSIBLES

C’est le président colombien Juan Manuel Santos qui est tenu de respecter le vote populaire. C’est donc dire que le Congrès, qui est composé de la Chambre des représentants et du Sénat, n’y est pas lié et pourrait reprendre la balle au bond. « Le Congrès aurait la légitimité nécessaire pour signer l’entente avec les FARC et la faire entrer en vigueur », affirme Pascal Paradis. Le président Santos a annoncé hier une nouvelle phase de dialogue avec la guérilla. « J'ai demandé à Humberto de la Calle, que j'ai confirmé comme chef négociateur [...], d'entamer les discussions qui nous permettront d'aborder tous les thèmes nécessaires afin d'aboutir à un accord et au rêve de toute la Colombie d'en finir avec la guerre avec les FARC », a déclaré M. Santos dans la soirée lors d'un discours télévisé. De son côté, le chef suprême de la guérilla des FARC s’est dit prêt à « rectifier » l’accord. Le président Santos pourrait alors soumettre une nouvelle entente au vote populaire ou simplement l’adopter sans plébiscite. Un autre scénario possible serait l’adoption de l’accord de paix par une assemblée constituante composée de représentants de tous les secteurs de l’État. Dans tous les cas, « il faut inclure [l’ancien président] Uribe » et ses partisans, estime Diego Osorio, afin de s’assurer de l’acceptabilité du processus de paix.

Exit, le Nobel de la paix ?

Le rejet de l’accord de paix en Colombie a quasiment annihilé les chances des anciens belligérants de remporter le prix Nobel de la paix décerné vendredi à Oslo, estimaient hier les experts, au lendemain du vote surprise. Le président colombien Juan Manuel Santos et le chef de la guérilla marxiste des FARC, Rodrigo Londoñ, alias Timochenko, faisaient jusqu’à présent figure de très sérieux prétendants à la prestigieuse récompense après avoir signé le 26 septembre un accord visant à clore 52 ans de conflit. « Dans ce contexte, […] le traité de paix colombien ou quiconque qui y est associé n’est tout simplement pas un candidat pour le prix Nobel de la paix cette année », a réagi le directeur de l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (PRIO), Kristian Berg Harpviken, observateur attentif de la chose Nobel. « Je pense que ce n’est tout simplement plus sur la liste », a-t-il ajouté, en précisant qu’un tel prix serait perçu comme allant contre la volonté du peuple colombien quelques jours seulement après qu’il se fut exprimé. — Agence France-Presse

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