Opinion

Libérez mon frère, Raif Badawi

Avec notes explicatives à l’intention de M. Harper

Je demande la libération immédiate et inconditionnelle de mon frère, Raif Badawi.

J’omets les salutations de paix habituelles, car le temps est précieux : mon premier ministre ne vous transmettra pas ma doléance, malgré sa préoccupation quant à certains aspects de la sentence. Contrairement à lui, je ne considère pas mon frère Raif comme un prisonnier de droit commun étranger.

Modifier la sentence n’y changerait rien : mon frère n’est pas coupable. C’est moi que vous voulez punir. Car comme mon frère, il m’arrive de réfléchir tout haut sur la valeur de chaque humain, même s’il n’est pas encore converti à la bonne religion. Votre pays aussi, qui n’hésite pas à transiger avec des non-convertis pour obtenir plus facilement des visas canadiens, du financement militaire, l’accès à l’université laïque ou des conseils en santé. Du moins, c’est l’impression que mon frère et moi avons pu avoir.

C’est moi que vous voulez punir. 

Car comme mon frère, je pense aux idées dont ma société pourrait bénéficier, aux priorités de mon pays et je m’inquiète de la violence internationale que peut générer un message officiel d’intolérance. Il m’arrive même de commenter le zèle de certains commis de l’État. Votre pays aussi, qui siège au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Du moins, c’est l’impression que mon frère et moi avons pu avoir.

Mon pays étant solide, il ne se sent pas menacé par un petit blogueur pacifique qui n’agite que des mots. Il ne leur prête guère attention, mais n’en intimide pas le flot, de peur que s’y cache une clé qui lui éviterait sclérose et déclin. Briser une vie ne brise pas les idées, au regard de l’histoire. S’acharner sur le corps et l’esprit, en les privant de liberté, de dignité et en les abreuvant de souffrances ne font qu’attirer tout à coup une attention interloquée sur ce bourreau qui condamne la pensée plus que tout autre crime. Vous ne pensez pas ?

Mon frère Raif a déjà subi tout cela. Et à travers lui, ses enfants. En faut-il vraiment vingt fois plus encore ? Mon frère n’est pas coupable, c’est moi que vous voulez punir. Plus d’un million de personnes dans le monde l’ont aussi signifié, et bien plus encore le pensent… Pardonnez-leur ! Libérez mon frère, Raif Badawi.

***

Notes explicatives à l’intention de M. Stephen Harper

1. Votre position actuelle, renforcée par votre silence, reconnaît la légitimité d’une condamnation pour liberté d’expression et propos antiterroristes…

2. La condamnation déborde la régie interne totalitaire, stigmatisant universellement toute ouverture au non-musulman. Et oui, vous avez des leviers : le wahhabisme a besoin de l’Occident.

3. La hargne de la sentence montre que le régime ne sait plus justifier autrement, notamment auprès de sa jeunesse, le double discours que l’Occident favorise, espérant confiner l’extrémisme à un pays « ami ». Échec : c’est devenu un incubateur de haine, d’intolérance, de terrorisme et même du groupe État islamique, qui effraie jusqu’à son géniteur.

4. La monarchie espère résister en s’alliant des muftis radicaux (voir l’accroissement des décapitations et autres barbaries). Accepter d’y sacrifier un seul partisan de la tolérance, c’est y sacrifier les mille suivants, pourtant seuls antidotes à l’extrémisme. C’est l’occasion de briser une funeste spirale, notamment face au réchauffement États-Unis-Iran.

5. L’indignation populaire a ouvert une mince brèche. Ne pas en profiter méprise les citoyens et leurs valeurs et, surtout, la refermera pour longtemps. Le régime comme la charia en ont déjà assez pour sauver la face. Libérez Raif Badawi.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.