CHRONIQUE LES QUÉBÉCOIS ET LE BONHEUR

La satisfaction tranquille

De façon générale, les Québécois, du moins les francophones, ne sont pas particulièrement fiers d’être Canadiens, sauf lorsqu’ils sont à l’étranger ou lorsqu’il arrive quelque chose comme la victoire électorale de Justin Trudeau.

Leur sentiment de fierté n’est pas pour le Canada, il est réservé au Québec. On le voit particulièrement dans la semaine qui sépare les deux fêtes nationales, celle du 24 juin et celle du 1er juillet. La fête, l’appartenance identitaire, et donc aussi la fierté, on réserve ça pour le 24 juin. Le 1er juillet, c’est un congé.

Depuis quelques années, cette fierté a pu être alimentée par un facteur additionnel. Les mesures du bonheur des sociétés montrent que les Québécois sont plus heureux que les autres Canadiens, ce qui fait qu’à l’échelle internationale, le Québec est en tête de peloton, tout près du mythique Danemark. J’ai écrit de nombreuses chroniques sur le sujet, et un chapitre complet dans mon essai Portrait de famille. Le magazine L’actualité y a récemment consacré un dossier.

Ce succès permet d’illustrer la complexité de l’identité québécoise.

Il est clairement dû à certaines particularités qui lui permettent de faire mieux que d’autres provinces, mais il tient aussi à des facteurs propres à la société canadienne, ce dont on ne se rend pas compte, occupés que nous sommes à insister sur nos différences plutôt que sur nos similitudes. Disons que le glaçage est québécois, mais que le gâteau est canadien.

La mesure subjective du bonheur, sur laquelle travaillent des chercheurs très sérieux, consiste à demander aux gens d’évaluer, par exemple sur une échelle de 1 à 10, leur satisfaction à l’égard de leur vie. Statistique Canada le fait depuis plus de 30 ans. En 2013, cinq villes québécoises faisaient partie du top 10 des 33 centres urbains canadiens : Saguenay première, Trois-Rivières troisième, Québec cinquième, Sherbrooke septième. Dans l’ensemble, la proportion de gens satisfaits ou très satisfaits de leur vie est plus élevée au Québec qu’au Canada, quoique d’autres provinces nous dépassent un peu, comme, en 2014, l’Île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan.

À l’échelle internationale, une enquête de l’ONU, le World Happiness Report, fait le même exercice à partir de sondages Gallup. Ses résultats les plus récents, pour 2013-2015, montrent que le Danemark est en tête, suivi, de très près par la Suisse, l’Islande, la Norvège, la Finlande et le Canada. Pas loin derrière, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et la Suède. D’une année à l’autre, le classement change un peu dans un jeu de chaises musicales entre les mêmes pays.

Comme le Québec fait mieux que le Canada, quand on l’insère dans ce classement, il se retrouve au troisième rang mondial, entre la Suisse et l’Islande. En 2011, il était premier, ex aequo avec le Danemark. Cela permet de dire que le Québec fait partie des endroits où les gens sont les plus heureux.

Ces résultats appellent une importante nuance. Pour des raisons que l’on connaît, le Québec est la seule province qui aime se comparer à d’autres pays. Si on faisait le même exercice avec la Saskatchewan, qui nous dépassait un peu en 2014, on découvrirait que cette province devancerait le Danemark. Et la province où les gens sont le moins heureux, l’Ontario, serait quand même au septième rang mondial, entre le Canada et les Pays-Bas.

Autrement dit, le taux de bonheur est extrêmement élevé au Canada, ce qui est corroboré par d’autres études, comme l’Indice Vivre mieux de l’OCDE qui mesure les facteurs qui contribuent au bien-être, où le Canada est cinquième, ou encore le Social Progress Index, dont La Presse+ parlait mercredi, où il est deuxième au monde. Et ce niveau de bien-être est élevé dans toutes les provinces. Dans le succès québécois, il y a manifestement une importante composante canadienne qui tient aux politiques et institutions communes, à la fiscalité redistributive, au filet de sécurité sociale.

Cela dit, non seulement le Québec dépasse la moyenne canadienne, mais il a en outre fait un rattrapage remarquable. En 1985, il était au dernier rang pour le bonheur. Qu’est-ce qui a pu se passer depuis 30 ans ? Cette situation s’explique en partie par le fait que les sociétés homogènes sont plus heureuses, comme on le voit avec la présence en tête de classement des pays scandinaves. Mais beaucoup aussi, selon plusieurs chercheurs, à un facteur collectif, lié aux effets de la Révolution tranquille et au cheminement de la société québécoise.

Mais ce bonheur collectif peut avoir un effet pervers. Si les Québécois sont satisfaits de leur vie, il devient très difficile de les convaincre de changer quelque chose à un équilibre qui leur convient. C’est vrai pour des gens comme moi qui veulent les convaincre de l’importance d’augmenter leur niveau de vie, ou encore pour ceux qui veulent les convaincre des vertus de l’indépendance.

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