LE BULLDOZER

Le 21 août 1980. Le temps d’un tournoi, les frères Stastny ont pu quitter la Tchécoslovaquie et son régime autoritaire communiste. Les trois hockeyeurs se trouvent à Innsbruck, en Autriche, avec l’équipe nationale tchécoslovaque. Et rêvent de liberté.

Le temps presse. Peter Stastny rassemble son courage et compose un numéro à l’autre bout du monde. Celui de Marcel Aubut, président et copropriétaire des Nordiques.

Peter Stastny sait que le club de Québec, qui vient tout juste d’intégrer la Ligue nationale de hockey (LNH), s’intéresse à ses deux frères, Anton et Marian, et à lui. Mais voilà, les trois joueurs étoiles ont eu le malheur de naître du mauvais côté du rideau de fer.

Ce détail n’arrête pas Marcel Aubut.

Après le coup de fil de Peter, l’avocat de Québec se précipite à l’aéroport de Mirabel avec Gilles Léger, directeur du personnel chez les Nordiques. Les deux hommes s’envolent pour l’Autriche. Là-bas, ils font signer des contrats aux Stastny dans le plus grand secret et passent des heures angoissantes dans un hôtel surveillé par des agents du KGB, avant de s’enfuir à la faveur de la nuit…

Quatre jours plus tard, Marcel Aubut et Gilles Léger rentrent au Québec, triomphants, en compagnie de Peter et Anton. Marian, qui a refusé d’abandonner sa famille à Bratislava, rejoindra ses frères plus tard.

L’histoire est déjà rocambolesque. Très vite, le récit qu’en fait Marcel Aubut tourne carrément au roman d’espionnage. « J’ai manqué me faire tirer cinq fois ! », lance-t-il aux journalistes peu après son retour au Québec.

« Marcel a toujours aimé faire des spectacles, et pas seulement au hockey. »

— Gilles Léger, ancien directeur du personnel des Nordiques

« Il a une tendance à l’enflure », ajoute Robert Laflamme, journaliste sportif et auteur du livre Les Stastny. « Quand il nous disait quelque chose, on avait le réflexe de prendre cela avec un grain de sel. »

Dans son livre, Robert Laflamme rapporte que « Peter avait sa façon bien à lui, polie et diplomate, de qualifier la propension d’Aubut au gigantisme en disant que “Marcel n’est pas menteur, il exagère simplement la vérité” ».

Joint en Slovaquie, Peter Stastny affirme ne pas se souvenir d’avoir fait une telle déclaration. Il ne se souvient pas davantage que Marcel Aubut ait risqué sa vie en Autriche. « Je ne sais pas exactement ce qui lui est arrivé, parce que je ne voyageais pas dans la même voiture. Mais je sais que c’était dangereux. Lorsque nous nous sommes rencontrés à Vienne, le climat était tendu, terrifiant. »

L’ancien hockeyeur, qui a mené par la suite une carrière de politicien, ne tarit pas d’éloges pour celui qui l’a tiré des griffes du communisme. « Marcel ne fait pas de grandes choses ; il fait LES plus grandes choses. Il est le Donald Trump canadien ! »

UN TRAVAILLEUR ACHARNÉ

Maintenant que Marcel Aubut a démissionné de son poste de président du Comité olympique canadien (COC), ses collaborateurs n’auront plus à subir la conférence téléphonique qu’il leur imposait chaque semaine. Le dimanche. À 7 h du matin.

« Marcel est un animal, dans le bon sens du terme. Il est infatigable ! », s’exclame Peter Stastny. Plus d’une fois, il l’a vu bûcher sur des dossiers jusqu’à 3 h du matin, pour ensuite attraper un vol pour Toronto à 6 h. « Il peut s’impliquer dans trois, cinq, dix projets à la fois, et tous les mener de façon exceptionnelle ! »

D’anciens employés racontent qu’ils devaient être disponibles afin de répondre aux moindres exigences de leur patron à toute heure du jour – parfois même de la nuit.

La pression que Marcel Aubut exerce sur son entourage est telle que, tous les deux mois en moyenne, l’une de ses adjointes démissionne, a rapporté L’actualité en 2014.

Quand Marcel Aubut a organisé Rendez-Vous 87, un tournoi opposant des joueurs de la LNH à l’équipe de l’URSS, il voulait que l’événement passe à l’histoire. Il a réussi, mais plusieurs de ses collaborateurs y ont sacrifié leur santé. « J’en connais un qui a fait une grosse dépression, un qui a eu un malaise cardiaque, un autre qui a fait une dépression… », énumère Réjean Tremblay.

« Sa définition du travail d’équipe, c’est : “Beaucoup de gens qui font ce que je leur dis de faire”, rigole le chroniqueur. Si tu n’as pas un préjugé d’amitié envers Marcel, des fois tu ne le trouves pas endurable, ça, c’est sûr. »

Le culot dont il a fait preuve il y a 35 ans, en Autriche, a contribué à établir la réputation du club de Québec au sein de la LNH. « Ç’a été un grand coup pour l’organisation des Nordiques. Ça nous a rendus compétitifs immédiatement », admet Gilles Léger, qui a quitté le club après s’être brouillé avec son président.

« Son plus grand problème, c’est qu’il n’est pas reconnaissant envers les gens qui sont loyaux envers lui, dit Gilles Léger. Sa montée dans la vie, il l’a faite aux dépens des autres. »

UNE GUERRE DE CLANS ?

« Marcel, il n’est pas toujours subtil, c’est le moins qu’on puisse dire », admet Réjean Tremblay.

« S’il faut bulldozer pour arriver à ses fins, il bulldoze ! Tu ne deviens pas président du COC, le premier Québécois en 104 ans, sans écraser des orteils. »

— Réjean Tremblay

En six ans, le « bulldozer » aura réussi à transformer le COC de fond en comble. Il a fait pleuvoir les commandites – le budget est passé de 41 millions pour 2005-2008 à 111 millions pour 2013-2016. Il a fait bondir le nombre d’employés de 38 à 90. Et il a déménagé le siège de l’organisation d’Ottawa à Montréal, où la nouvelle Maison olympique fait rayonner ses anneaux dans le ciel du centre-ville.

« Il a tout chamboulé dans ce petit royaume de bureaucrates, de technocrates et de faux nobles », crache Réjean Tremblay, qui voit derrière la plainte de harcèlement sexuel une sorte de règlement de comptes, voire une guerre de clans.

« Il a fait une place pour les Québécois au sein du COC. On ne peut pas dire que c’était très franco là-dedans, c’était le pire nid à discrimination qu’il n’y a pas ! » Le déménagement du siège à Montréal a déplu aux bonzes de l’organisme, avance-t-il.

Membre du conseil d’administration du COC, le Montréalais Walter Sieber rejette cette théorie d’un revers de main. « J’ai vraiment de la misère avec ça. Je n’ai jamais perçu de tensions au sein du conseil d’administration. On travaillait en équipe. »

Quand L’actualité lui a demandé ce qu’il voudrait qu’on grave sur sa pierre tombale, Marcel Aubut a réfléchi quelques secondes et a répondu : « Il ne lâchait jamais. »

Mais celui qui visait l’un des prestigieux sièges du Comité international olympique, à Genève, n’a plus le choix d’abandonner son rêve, constate aujourd’hui Walter Sieber.

« C’est la fin, sans aucun doute. »

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