Chronique

Lola et la patate chaude électorale

Depuis le début de la campagne électorale, les partis politiques bichonnent les familles à qui mieux mieux. Des lunchs gratuits pour les tout-petits, une réduction du tarif des garderies, une nouvelle allocation famille… Vive les cadeaux ! Les promesses consensuelles sont toujours électoralement rentables.

Mais s’occuper des familles, ça veut dire aussi s’engager une bonne fois pour toutes à réformer le droit familial qui est complètement désuet et à faciliter l’accès à la justice pour les couples qui se déchirent devant le tribunal.

Mais comme cet enjeu hautement émotif est une patate chaude électorale, les politiciens n’ont pas fait exprès de s’avancer sur ce terrain glissant jusqu’ici.

Il faut donc dire bravo à la Chambre des notaires, qui a ramené ce sujet important à l’avant-scène en déposant, hier, le rapport de la Commission citoyenne sur le droit de la famille.

Faute de leadership de la part des élus, la Chambre a consulté elle-même la population en tenant huit jours d’audience à travers la province au printemps dernier ; 150 personnes et organismes y ont participé et ont remis 50 mémoires et notes.

De quoi secouer le gouvernement, qui laisse dormir sur une tablette le rapport sur le droit de la famille pondu par le professeur de droit de l’Université de Montréal Alain Roy, en 2015.

Ce rapport faisait suite à la décision de la Cour suprême dans l’affaire d’Éric contre Lola. Constatant que le traitement des conjoints de fait au Québec était discriminatoire, le plus haut tribunal du pays avait invité l’Assemblée nationale à refaire ses devoirs.

Mais absolument rien n’a bougé.

Hier encore, le premier ministre patinait lors d’une mêlée de presse. « Bien sûr, ce n’est pas un sujet facile. Parce qu’il y aura des opinions très tranchées, de part et d’autre », a répondu Philippe Couillard à une question de mon collègue Tommy Chouinard.

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Nul doute que le dossier est controversé. Les parlementaires qui se souviennent de la mise en place du partage du patrimoine familial, en 1989, vous diront que l’Assemblée nationale n’avait jamais été aussi déchirée.

Mais aujourd’hui, certains consensus émergent. Par exemple, la plupart des gens s’entendent sur le fait qu’on devrait articuler la notion de famille autour de la présence d’enfants, plutôt qu’autour du mariage. Ainsi, tous les couples qui ont des enfants seraient soumis aux mêmes règles, qu’ils soient mariés ou pas.

« La famille, ce n’est pas le mariage, c’est les enfants. Et ce sont les enfants qui deviennent la source d’iniquité économique dans le couple », martèle Alain Roy, qui a mené les consultations pour la Chambre des notaires.

Il faut rappeler qu’à l’heure actuelle, les conjoints de fait n’ont aucune protection juridique au Québec, contrairement à toutes les autres provinces. En cas de séparation, les conjoints n’ont aucun droit l’un envers l’autre, ce que beaucoup de parents ignorent.

Le conjoint qui a mis la pédale douce sur sa carrière pour s’occuper des enfants se retrouve donc dans une fâcheuse situation financière en cas de séparation. Il n’a pas droit à une pension alimentaire ni au partage du patrimoine familial.

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Les partis de l’opposition s’entendent sur la nécessité de réformer le droit familial. Mais leurs engagements restent flous.

« Actuellement, on est disposé à étudier la question en commission parlementaire. Mais on ne prend pas d’engagement d’appliquer le cadre des couples mariés aux conjoints de fait », m’a expliqué Simon Jolin-Barrette, député de Borduas et porte-parole de la Coalition avenir Québec (CAQ) en matière de justice.

De son côté, la députée de Joliette et co-cheffe du Parti québécois (PQ) Véronique Hivon a demandé à plusieurs reprises la tenue d’une commission non partisane. Mais il est trop tôt pour dire ce qui en ressortirait.

En fait, il n’y a que Québec solidaire qui a vraiment fait son lit. Le parti propose d’appliquer aux couples en union de fait les mêmes règles qu’aux couples mariés en ce qui concerne la protection de la résidence familiale, l’obligation alimentaire et le partage du patrimoine familial, m’a indiqué le parti. Les couples en union de fait seraient soumis aux mêmes règles après deux ans de cohabitation établie, et ils pourraient se soustraire au partage du patrimoine familial en signant de plein gré une convention de retrait.

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Par ailleurs, les partis politiques s’entendent sur l’importance d’améliorer l’accès à la justice, qui est manifestement déficient. Lors d’une rupture, les parents de la classe moyenne n’ont pas les moyens de se payer un avocat. Plusieurs se représentent eux-mêmes devant le tribunal, où ils sont vite perdus devant la complexité des procédures. Il en résulte un grave sentiment d’injustice, a constaté la Commission.

Tant la CAQ, le PQ que Québec solidaire ont l’intention de rehausser les seuils d’admissibilité à l’aide juridique pour améliorer la situation. Mais cela ne sera pas suffisant pour couvrir la classe moyenne.

Le PQ souhaiterait aussi mieux faire connaître les services de médiation pour déjudiciariser les dossiers. La CAQ ajoute qu’il faudrait que les tribunaux soient moins protocolaires en matière de droit de la famille.

J’ose croire que toutes ces bonnes intentions qui font la quasi-unanimité seront vite implantées au lendemain des élections.

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