VOITURES EN LIBRE-SERVICE

Une menace au statu quo

Mais si les services d’autos en libre-service sont si efficaces, s’ils sont appréciés des habitués qui en profitent pour larguer leur voiture personnelle, pourquoi le maire Coderre ne se contente pas d’élargir son rayon d’action plutôt que de réinventer la roue ?

Parce qu’il ne les a pas essayés, comme je disais. Mais encore ? Parce qu’il veut protéger les taxis, comme il l’a dit au lendemain de son élection ? Parce qu’il a été séduit par sa rencontre avec Vincent Bolloré, propriétaire du parisien Autolib ? Parce qu’il veut lancer un grand projet qui portera sa signature ?

Pour y voir plus clair, j’ai demandé l’avis de Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal, dont les travaux portent notamment sur l’énergie et le transport. À son avis, Denis Coderre veut simplement flatter les tenants du statu quo dans le sens du poil. Il veut donner l’impression qu’il bouscule tout… en évitant de bousculer qui que ce soit.

« Le maire propose un service qui va prendre énormément de temps à implanter. De cette façon, il lance un projet qui ne menace en rien le statu quo, surtout pas nos habitudes en transport. C’est une aberration totale ! »

— Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal

Pierre-Olivier Pineau est lui-même un adepte de l’auto en libre-service. Père de deux enfants de 3 et 4 ans, il ne possède pas de voiture. Il a songé à en acheter une lors de la naissance de sa deuxième fille, mais après avoir essayé Communauto, puis Auto-mobile, il était bien heureux de mettre une croix définitive sur un tel achat.

« J’habite à proximité de l’Université de Montréal. Il y a trois autos en libre-service à portée de main. Il y en a 20 dans un rayon de moins de 1 km de mon duplex ! Moi qui n’aime pas m’occuper des biens physiques, j’ai bien vu que je n’avais tout simplement pas besoin de m’encombrer d’une voiture. »

Et c’est précisément cette commodité, cette efficacité, cette simplicité d’utilisation qui lui fait dire qu’il aurait été si simple, pour le maire, de permettre à car2go et Auto-mobile de s’implanter au-delà des quelques arrondissements où ils ont droit de cité.

« Denis Coderre ne fait que retarder le déploiement de l’auto en libre-service. On met l’accent sur un service qui n’est pas au point, pour lequel les bornes de recharge n’existent pas encore, alors qu’on a déjà à Montréal deux compagnies qui offrent un service qui est mûr, aujourd’hui même. »

« On est une société cassée. On devrait travailler sur la réduction des obstacles institutionnels plutôt que de miser sur de grands projets qui ont d’immenses défis techniques, logistiques et financiers ! »

— Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal

Le professeur donne pour exemple les besoins en recharge. Les voitures électriques seront souvent immobilisées pour faire le plein de volts. Elles seront donc forcément moins disponibles que les Smart et Prius actuelles. Et pourtant, elles coûteront beaucoup plus.

Il ne comprend donc pas pourquoi le maire Coderre a bloqué le développement des autos en libre-service depuis son élection, il y a 18 mois, plutôt que de s’en faire le partisan. « S’il veut aider l’industrie du taxi, c’est sa chance. Car les gens qui s’affranchissent de leur voiture sont ceux qui, justement, prendront davantage le taxi. »

Plutôt que de miser sur un autre service électrique, ajoute-t-il, le maire aurait intérêt à étendre le service partout en ville, réduire le prix des vignettes, permettre le stationnement des autos en libre-service dans les places équipées de parcomètres.

« C’est curieux, car habituellement, les élus ont une pensée qui est collée sur le court terme. Or là, il est urgent de miser sur des services déjà existants, qui ont fait leurs preuves, plutôt que de promettre un projet grandiose qui repousse les échéances. Il est urgent, autrement dit, de penser à court terme. »

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