Élections fédérales 2015  Opinion

L’insécurité… électorale ?

La sécurité n’est pas le seul enjeu international qui mériterait l’attention des partis politiques

Fait rare au Canada, la sécurité internationale est en voie de devenir l’un des thèmes centraux de la campagne électorale fédérale.

La participation militaire du Canada à la coalition internationale contre le groupe État islamique (EI) en Irak et en Syrie, et dans une moindre mesure la réponse du gouvernement Harper à l’agression russe en Ukraine, expliquent cet intérêt soudain pour la sécurité internationale. Pour la première fois, trois partis politiques peuvent espérer former le prochain gouvernement canadien. En l’absence d’un consensus au sujet du rôle du Canada dans le domaine de la sécurité internationale, ce thème apparait désormais sur l’écran radar de la campagne. Le débat des chefs organisé par le magazine Maclean’s, le 6 août, a d’ailleurs donné lieu à de vifs échanges sur ce thème.

Après une semaine de campagne, le Parti conservateur de Stephen Harper souhaite orienter le débat électoral vers deux principaux enjeux, soit l’économie et la sécurité. Dans les deux cas, M. Harper espère convaincre les Canadiens du leadership de son gouvernement, tout en soulignant l’inexpérience et la naïveté de ses principaux adversaires.

L’argumentaire conservateur en matière de sécurité repose sur deux prémisses principales. D’abord, que nous vivons dans un « monde dangereux ». Ensuite, que le Parti conservateur est le mieux à même d’assurer la sécurité des Canadiens. Les libéraux et les néodémocrates rétorquent, pour leur part, qu’ils souhaitent mettre fin au virage militariste et belliqueux des conservateurs, en proposant un retour aux missions de paix de l’ONU. Toutes ces affirmations méritent d’être sérieusement nuancées.

Il est vrai que le Canada fait face à plusieurs menaces sérieuses. Le terrorisme djihadiste et l’agression militaire russe en Ukraine sont bel et bien sources d’insécurité, mais leur portée au Canada doit être mise en perspective. D’une part, les principales victimes sont en grande majorité les populations civiles de ces régions elles-mêmes. Ensuite, la contribution canadienne aux crises au Moyen-Orient et en Ukraine demeure somme toute modeste. Le gouvernement a déployé moins de soldats que la Nouvelle-Zélande ou la Hongrie dans la mission de formation en Irak. Il a aussi exprimé de fortes réserves à contribuer à une force permanente de l’OTAN visant à rassurer les Européens de l’Est face aux velléités russes dans la région.

Bien sûr, il est dans l’intérêt du parti au pouvoir d’amplifier le caractère essentiellement symbolique de la contribution canadienne à la sécurité internationale.

Mais sans doute faudrait-il commencer par discuter sereinement du bilan des conservateurs et de la cohérence de l’action internationale du Canada en matière d’interventions militaires et de diplomatie. De plus, d’autres enjeux de sécurité, allant de l’insécurité alimentaire aux conflits en Afrique, en passant par les changements climatiques et la cybersécurité, méritent une attention plus soutenue dans ce débat électoral.

Justin Trudeau et Thomas Mulcair, quant à eux, ont naturellement tendance à exagérer l’ampleur des changements qu’ils apporteraient à la politique de défense canadienne. Si l’on pouvait s’attendre à des ruptures de ton, leur marge de manœuvre demeure, dans les faits, limitée. Quel serait l’impact du retrait des avions de combat déployés en Irak sur les relations canado-américaines et la crédibilité internationale du Canada en matière de lutte contre le terrorisme ? Quant à un réengagement dans les mythiques missions de paix de l’ONU, quels seraient les coûts d’intervenir en l’absence de soutien des alliés du Canada ? Si des alternatives existent, encore faut-il prendre le temps d’en débattre en profondeur.

À en croire les sondages, les Canadiens ne semblent pas dupes. S’ils sont divisés sur la question de la sécurité internationale, seule une très faible minorité estime qu’elle représente un enjeu électoral de première importance. Néanmoins, les principaux partis politiques tentent d’en faire délibérément un enjeu jouant en leur faveur, en exagérant les faits à leur avantage et en minimisant les contraintes qui limiteraient la capacité d’un nouveau gouvernement à changer la politique de défense canadienne au-delà de la rhétorique partisane.

Ont signé cette lettre : 

Justin Massie, département de science politique, Université du Québec à Montréal ; 

Jean-Christophe Boucher, département de sciences politiques, MacEwan University ;

Stéfanie von Hlatky, département d’études politiques, Queen’s University ;

David Morin, École de politique appliquée, Université de Sherbrooke ;

Jonathan Paquin, département de science politique ; Université Laval ;

Stéphane Roussel, École nationale d’Administration publique (ENAP)

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