Depuis longtemps, très longtemps, le garçon de Québec était hanté par des rêves sadiques récurrents.
William (dont le vrai nom est interdit de publication) était obnubilé par des scénarios de vengeance. Il souhaitait faire du mal à ceux qui avaient transformé son passage à l’école primaire en enfer. Il voulait punir son ancienne copine en la poussant au suicide. « Il avait décidé que, plus jamais, il ne serait victime », résume le tribunal de la jeunesse dans une décision rendue l’an dernier.
L’obsession de William ? « L’adolescent rêve souvent à des cadavres pendus aux arbres, à un homme habillé de noir qui s’amuse à tuer des gens, rapporte la cour. Cet homme serait son “autre moi”, qui représenterait toute la haine, la colère et la rage en lui. »
La dangerosité du vrai William était tout à fait réelle. C’est du moins ce qu’a conclu un psychiatre ayant reconnu chez lui les symptômes d’un trouble de la personnalité ou d’une possible psychopathologie.
Si le médecin a pu sonner l’alarme, c’est que, par bonheur, vers 15 ans, le garçon en avait eu assez.
Il avait demandé de l’aide au CSSS.
Sans la franchise de William, personne n’aurait pressenti le pire. Car « rien dans la vie de cet adolescent n’aurait pu attirer l’attention, souligne le tribunal. Les parents ont décrit leur fils comme un garçon exemplaire, mais renfermé. »
Ils n’avaient relevé aucun trouble de comportement. William ne consommait pas de drogue et « respectait les règles ». Il n’avait même pas bronché lorsqu’on avait confisqué ses jeux vidéo.
Pour Kevin Cameron, principal expert canadien en « évaluation des menaces » en milieu scolaire, cette histoire est classique.
« Les élèves qui rêvent de commettre un massacre passent souvent inaperçus parce que dans la majorité des cas, ils ne ressemblent pas du tout aux délinquants traditionnels, qui ont un historique de violence. »
— Kevin Cameron, expert en « évaluation des menaces » en milieu scolaire
« La citation qui tue, c’est : “Je le connais, c’est un bon jeune. Il ne ferait jamais ça.” Dans les faits, un “bon jeune” peut vivre une souffrance émotionnelle assez grande pour poser un risque », constate l’Albertain, qui a fondé et dirige le Canadian Centre for Threat Assessment and Trauma Response.
Dans la région de Montréal, les jeunes menaçants sont référés à la clinique Réseau-Jeunesse de l’Institut psychiatrique Philippe-Pinel, pour qu’on évalue leur dangerosité. « Ils ont souvent été expulsés après avoir proféré des menaces sur Facebook ou par textos, rapporte le psychiatre Martin Gignac. Ils veulent s’en prendre à d’autres élèves ou à l’école comme symbole grandiose. »
« Les policiers nous envoient leurs messages ; il faut parfois les décrypter. Plusieurs élèves vont assumer leur geste. C’est leur façon de souligner leur détresse, de dire qu’ils ne sont pas acceptés et qu’ils veulent faire payer les autres pour ça. »
« Leur apparence ou leur manque d’habiletés sociales font que les autres les rejettent. Ne pas se sentir accepté, être ignoré, c’est pire que les coups sur le nez. Ils trouvent que les choses sont injustes, qu’ils n’ont pas de place, et qu’ils doivent faire quelque chose pour être reconnus. »
— Le D Louis Morissette, psychiatre de la clinique Réseau-Jeunesse de l'Institut psychiatrique Philippe-Pinel
À Drummondville, le tribunal a dû se pencher sur le cas d’un écolier atteint de dépression majeure, qui avait lancé « vouloir amener des armes pour tuer des filles ». Quand l’école l’a suspendu, le garçon a éclaté : « Je vais faire sauter l’école, sauter la ville et j’irai à côté du petit Jésus. Personne ne m’aime. Pourquoi je suis venu au monde ? »
Même s’il s’agissait d’un enfant de 11 ans, sa pédiatre avait pressé son entourage de prendre au sérieux « toute verbalisation suicidaire ou meurtrière ».
Chez les jeunes très perturbés, ces deux options se mêlent souvent, confirme Kevin Cameron. « Ils passent de l’une à l’autre, avec fluidité. Tant et si bien qu’il arrive qu’un adolescent fasse une tentative de suicide, et qu’on découvre qu’il planifiait une attaque. »
Près de Terrebonne, une adolescente d’origine cubaine traitait régulièrement son camarade de classe de « laid ». Le jeune a renoncé au suicide après s’être mis à dessiner des croix gammées partout, avant de la tuer à coups de bâtons de baseball. « Il décide que ce n’est pas à lui de payer parce qu’il est rabaissé, mais à la victime. Il s’identifie donc au racisme pour se faire une armure, a expliqué le tribunal. C’est sa façon de combattre le sentiment d’infériorité, l’état d’humiliation. »
Tous les jeunes mal aimés ne rêvent pas de tuer. Par ailleurs, ni les jeux vidéo, ni la soif de célébrité, ni même l’intimidation ne jouent toujours le rôle qu’on veut bien leur prêter, tranche le psychologue américain Peter Langman, qui décortique l’histoire de dizaines d’élèves tueurs de masse dans deux livres (, paru en 2010, et , qui paraîtra en janvier).
« Ce ne sont pas des jeunes ordinaires. Ce sont des jeunes qui ont de profonds problèmes psychologiques. »
— Peter Langman, psychologue
Dans le rapport du coroner sur la tuerie de Polytechnique, on découvre que Marc Lépine semblait lui-même atteint d’un « trouble majeur de la personnalité » et d’une « grande vulnérabilité narcissique ». Qu’il compensait sa « sensibilité extrême au rejet et aux échecs » par des « fantaisies de succès et de puissance ». Et qu’il voulait « réparer son sentiment fondamental d’impuissance et d’incompétence » par « un imaginaire violent et grandiose ».
D’après Peter Langman – qui a aussi étudié l’histoire de Lépine et du meurtrier du cégep montréalais Dawson Kimveer Gill –, tous deux semblaient carrément psychotiques.
D’autres tueurs étaient avant tout traumatisés par des épreuves innombrables, dit-il. Et d’autres encore semblaient psychopathes-antisociaux et narcissiques, au point de se sentir supérieurs et d’être enragés de ne pas être reconnus comme tels.
L’ex-officier Glenn Woods utilise grosso modo les mêmes catégories : « sad, bad, mad » (soit malheureux, méchant, malade mental). « Tous ont des griefs, des rancunes », constate l’expert ontarien, qui a accumulé plus de 20 ans d’expertise en profilage criminel et en analyse des crimes violents à la GRC, avant de fonder la firme de consultation Behavioural Analysis Investigation and Training (BAIT).
Aider ces jeunes est ardu lorsqu’ils sont incapables de se remettre en question. Peu après le drame de Dawson, un garçon de Joliette a menacé d’exterminer les « persécuteurs » de son ex-polyvalente. Il consommait une panoplie de drogues et niait ses nombreux problèmes : manque d’empathie, traits antisociaux, immaturité, impulsivité, autocritique superficielle et logique paranoïaque.
« Son attitude dénigrante, provocante et opposante suscitera l’agressivité chez l’autre et le confirmera dans son sentiment de persécution généralisée. Ce cercle vicieux peut mener très rapidement à une escalade de violence », s’est inquiétée la cour, qui l’a enfermé pour quelques mois en 2008.
Le Californien Elliot Rodger, qui a abattu six personnes en pleine rue, en mai dernier, a écrit s’être décidé un an plus tôt, après avoir été frappé et expulsé d’une fête. Mais ses adversaires voulaient protéger une fille, qu’il avait tenté de pousser d’un rebord de fenêtre.
« Les jeunes hautement à risque ont besoin d’un milieu sécuritaire ; c’est la seule façon de les aider. Mais on peut intervenir auprès de la grande majorité », assure le D Martin Gignac.
« Plusieurs viennent de milieux favorables », renchérit le D Louis Morissette, qui se souvient d’un garçon, « tout petit, pris dans sa bulle », entré à Pinel après avoir poignardé un élève qui le traitait de « fifi » et de « laid ».
« Il n’en pouvait plus de se sentir poire et nul. Pendant un an et demi, ici, il a amélioré ses habiletés sociales. Aujourd’hui, il est retourné dans sa région et il a une copine. »
« On peut les aider à trouver une juste place dans la société. »