OPINION MARIAGE

À quand une vraie séparation de l’Église et de l’État ?

D’autres territoires l’ont fait, notamment l’Allemagne, qui a clairement coupé le cordon

De nombreuses personnes ont vivement réagi au jugement de la Cour supérieure rendu le 2 février dernier déclarant notamment que les ministres du culte, lorsqu’ils célèbrent des mariages religieux, sont habilités, mais non contraints de faire parvenir la déclaration de mariage au Directeur de l’état civil.

En d’autres termes, selon l’interprétation du tribunal de première instance, un prêtre catholique pourrait, en toute légalité, marier religieusement deux personnes sans que cela n’entraîne d’effets civils, notamment la contribution aux charges du mariage, la protection de la résidence familiale ou la constitution du patrimoine familial.

Contrairement à plusieurs de mes collègues que j’ai lus ou entendus dans divers médias, j’estime le jugement juridiquement bien fondé. Historiquement, avant l’entrée en vigueur du Code civil du Québec en 1994, il est vrai que le mariage religieux entraînait d’office des effets civils. Le prêtre catholique qui mariait deux personnes devant Dieu, sa signature de l’acte de mariage en tant que prêtre, jumelée à celle des époux, ainsi que la consignation de l’acte religieux au presbytère de la paroisse dans laquelle ils s’étaient mariés entraînaient d’office des conséquences sur le plan civil.

À l’église, il n’y avait qu’un seul mariage, le religieux, qui entraînait des effets sur le plan civil. C’était la période d’un véritable « amalgame » entre la religion et l’État. Les choses ont beaucoup changé avec la réforme sur la laïcisation des actes de l’état civil incluse dans le nouveau Code civil de 1994.

Bien que la possibilité d’un mariage strictement civil existe au Québec depuis 1969, c’est en effet depuis le nouveau Code civil que le droit a véritablement décidé de tourner le dos à la religion, de manière à ce que l’état des personnes ne devienne fixé uniquement par des actes laïques. Aux yeux du droit, désormais, seul le mariage civil compte.

Toutefois, contrairement à la France qui, dès 1791, s’est émancipée de la dimension religieuse du mariage, le Québec a eu du mal à s’affranchir complètement de la tradition catholique qui l’a vu naître. En effet, bien que dorénavant seul l’acte civil de mariage consigné à la Direction de l’état civil n’entraîne d’effets civils, la loi habilite néanmoins les ministres du culte, dont les prêtres catholiques, à officier ce mariage civil, dans des églises.

Mais attention ! Ce n’est plus l’acte de mariage canonique qui entraîne les effets civils comme autrefois, mais bien le mariage civil officié par le ministre du culte (le prêtre) habilité par la loi à le faire et qui se charge ensuite de transmettre la déclaration de mariage civil au Directeur de l’état civil. Il y a désormais deux mariages.

Le problème réside dans le fait que, en apparence, les choses n’ont pas changé. On continue de se marier à l’église, nouveau Code civil ou pas, comme on l’avait toujours fait.

Mais, en réalité, les deux mariages sont maintenant disjoints, permettant ainsi que soient célébrés des mariages uniquement religieux, ce qui était impossible avant 1994. En ce sens, le jugement de première instance dont il est question ici me semble tout à fait fondé en droit.

À l’inverse, en appeler à la défense de l’intégrité du Code civil ainsi qu’à la clause dérogatoire de la charte, comme l’ont fait certains collègues dans les médias, afin que ce code continue de reconnaître des effets civils aux mariages religieux qu’il n’a plus depuis 1994 surprend. On a décidé, à cette époque, que le religieux n’avait plus son mot à dire dans l’état des personnes et que seul le mariage civil allait désormais compter. Ce qui n’empêche pas que le Code civil puisse reconnaître à des ministres du culte l’habilitation à célébrer des mariages civils, au même moment que des mariages religieux (et il est vrai qu’à cet égard, le Québec est distinct – du moins par rapport à la France, où cela est impossible).

Quoi qu’il en soit, même si on semble l’ignorer et même si en pratique cela demeure marginal, rien dans la loi actuelle n’empêche les prêtres catholiques (ni d’autres religions d’ailleurs) de célébrer des mariages strictement religieux. Ce qui se fait, exceptionnellement.

Il est peut-être temps que le Québec sépare une fois pour toutes, et surtout sans ambiguïté aux yeux de la population, l’Église et l’État en matière de mariage. D’autres territoires l’ont fait, notamment l’Allemagne, qui a clairement coupé le cordon récemment. En effet, le 1er janvier 2009, une nouvelle loi autorisant le mariage religieux sans qu’un mariage civil n’ait été conclu au préalable y est entrée en vigueur, remplaçant la législation qui prévalait depuis 1875.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.