Opinion

Neutralité religieuse et incroyance

Les récentes déclarations moqueuses de la gouverneure générale, Julie Payette, au sujet de la croyance en une création divine rappellent que, pour plusieurs, l’obligation de neutralité religieuse ne paraît concerner que les religions. 

Rappelons ses propos les plus litigieux, prononcés le 1er novembre à Ottawa, dans le cadre de la Canadian Science Policy Convention : « Pouvez-vous croire que… nous continuons à débattre et à nous questionner à savoir si la vie proviendrait d’une intervention divine, plutôt que d’un processus naturel ou d’un processus aléatoire » ? ! 

Divers commentaires estiment qu’elle s’en est prise au créationnisme, mais ce n’est pas le cas. Le créationnisme au sens strict est une croyance littéraliste dans le texte biblique selon lequel notre univers aurait été créé en six jours. Mme Payette attaque plus généralement la philosophie théiste et la plupart des conceptions croyantes mondiales en une création ou une origine divine de la vie (la foi dans la création ne signifiant aucunement la négation de la théorie de l’évolution et de la complexité du développement de la vie). Elle attaque les croyances d’une majorité de Canadiens, sans compter les Premières Nations qu’elle a pourtant eu l’élégance d’honorer en parlant l’une de leurs langues lors de son discours inaugural.

Il est clair que la gouverneure générale a outrepassé les limites de son rôle impartial de gouverneure générale et porté atteinte à la neutralité de l’État, qu’elle représente. 

Elle a aussi outrepassé les limites de ses compétences scientifiques. Sa maladresse attire l’attention sur le fait que l’expression de propos antireligieux se présentant comme une opinion inoffensive ou non offensante peut passer comme lettre à la poste, si l’on se fie à l’indifférence manifestée dans l’opinion publique québécoise. 

Pourtant, la neutralité doit aussi être attendue des athées et des incroyants. 

Trop souvent, l’incroyance se confond avec une approche rationnelle supposément objective des choses, qui évacue tout le domaine symbolique et spirituel de la vie. Cette confusion fait en sorte que des convictions (et non pas des savoirs) a-religieuses ou anti-religieuses sont transmises depuis plusieurs années dans le milieu scolaire et collégial par des enseignants et certains manuels scolaires. La seule attention portée à l’impartialité de l’enseignant lorsqu’il enseigne le programme d’éthique et culture religieuse est à ce titre trop limitée. Des convictions a-religieuses ou anti-religieuses se voient aussi depuis quelques années défendues parfois par le Conseil du statut de la femme qui présente dans certains avis une compréhension caricaturale des religions. Mais, qu’on se le dise : les avancées du principe de neutralité concernent aussi les convictions non religieuses.

Revenons à la gouverneure générale. La nomination d’une scientifique de haut niveauest en principe une bonne nouvelle pour le Canada. La promotion des sciences naturelles et techniques y fait souvent défaut, notamment à l’école et dans la culture populaire. 

Encore faut-il que les scientifiques ne promeuvent pas leur discipline avec arrogance, prétendant qu’elle surplombe tous les savoirs, voire, qu’elle constitue la seule considération légitime sur la vie. 

La personne scientifique cultivée a conscience des limites de son propre domaine expérimental, et peut être croyante ou athée, tout en faisant preuve de curiosité et d’ouverture à l’égard des autres types de compréhension de la vie. 

La bourde de la gouverneure générale rappelle à ce titre que, comme dans le cas de la culture scientifique, une solide culture religieuse manque chez beaucoup de gens et d’experts se prononçant sur le sujet à tort et à travers.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.