Le pont Champlain est « entre la vie et la mort », et « il existe une possibilité qu’il y ait dans les chevêtres des défauts non visibles qui pourraient potentiellement affecter leur capacité portante », selon un nouveau rapport d’ingénierie rendu public hier par la société Les Ponts Jacques-Cartier et Champlain inc. (PJCCI).
« Comme les chevêtres n’ont pas de redondance, indique ce rapport, la détresse grave d’un chevêtre entraînerait la fermeture complète du pont, alors qu’une défaillance totale d’un chevêtre entraînerait l’effondrement de deux travées du pont. »
Malgré ces constats peu rassurants, le pont Champlain actuel pourrait devoir rester en service pour une ou deux années de plus que prévu, en raison des retards possibles dans la construction du nouveau pont qui devait le remplacer en décembre 2018.
Infrastructure Canada a demandé à la société PJCCI, responsable des ponts fédéraux de la région de Montréal, d’évaluer les conséquences financières et techniques d’un retard de livraison du nouveau pont, lequel pourrait coûter jusqu’à 250 millions aux contribuables canadiens.
Dans un rapport commandé à la firme d’ingénierie COWI (anciennement Buckland & Taylor), qui suit l’évolution de ce pont depuis plusieurs années, les consultants émettent 10 recommandations de travaux à entreprendre pour renforcer certaines poutres intérieures du pont, des chevêtres qui soutiennent ces poutres, ainsi que des diaphragmes de béton, qui servent à répartir les charges de la circulation sur l’ensemble des poutres.
Mais au-delà de ces recommandations de travaux, qui permettraient de prolonger la vie utile du pont jusqu’en 2020, la firme COWI presse Infrastructure Canada afin que « tout soit mis en œuvre pour éliminer ou minimiser les retards dans l’ouverture du nouveau pont. Plus le pont Champlain actuel demeurera ouvert à la circulation longtemps, plus il s’avérera difficile pour PJCCI d’assurer la sécurité publique ».
« COWI estime que l’actuel pont Champlain a largement excédé sa durée de vie effective et qu’il est entre la vie et la mort. Le niveau de détérioration n’a cessé d’augmenter, au point où l’actuel pont Champlain est considéré comme étant l’un des ponts d’importance les plus gravement détériorés au Canada. »
L’ancien et le nouveau
Le pont Champlain, inauguré en 1962, est la plus achalandée des traverses du fleuve Saint-Laurent entre la Rive-Sud et Montréal. On estime qu’environ 160 000 véhicules – dont 20 000 camions – le traversent chaque jour. La valeur des marchandises qui entrent à Montréal et en sortent par ce pont est estimée à 20 milliards par an.
Depuis plusieurs années, l’état du pont Champlain inquiète. En 2011, des rapports de la firme d’ingénierie Delcan avaient sonné l’alarme, signalant des risques d’effondrement partiel ou total d’une travée en raison de la détérioration accélérée des 100 poutres de rive, situées de part et d’autre de la structure.
Quelques mois plus tard, le gouvernement du Canada annonçait la construction d’un nouveau pont, présentement en cours, au coût de près de 4 milliards. En vertu du contrat signé entre le gouvernement fédéral et le consortium Signature sur le Saint-Laurent (SSL), contrôlé par SNC-Lavalin, ce nouveau pont doit être mis en service le 1er décembre 2018, au plus tard.
Entre-temps, un ambitieux programme de renforcement a été entrepris par la société PJCCI pour assurer la sécurité de l’ouvrage actuel jusqu’à l’ouverture du nouveau pont.
389 millions
Coût estimé des travaux nécessaires pour assurer la sécurité de l’infrastructure jusqu’en décembre 2018. Ce programme est toujours en cours.
Les 100 poutres de rive, considérées comme les éléments les plus vulnérables du pont Champlain actuel, ont toutes été renforcées et ne représentent plus, aujourd’hui, un risque important.
Des retards accumulés
Or, pendant que PJCCI s’échine à garder le vieux pont sécuritaire, les retards se sont accumulés sur le chantier de Signature sur le Saint-Laurent, qui se déploie à une dizaine de mètres à peine en aval du pont actuel.
Lors d’une rencontre de presse, SSL a attribué ces retards aux difficultés rencontrées pour le transport des pièces d’acier et de béton préfabriquées du nouveau pont, en 2016, à la grève des ouvriers de la construction en 2017 et à des moyens de pression exercés par les ingénieurs de l’État, au Québec, qui sont sans convention collective depuis mars 2015.
La construction du nouveau pont serait complétée à 50 %, environ. Les excavations au fond du fleuve, pour planter les fondations des piles, sont complétées. L’installation des semelles de piles sur l’ensemble de l’infrastructure, qui fait 3,4 kilomètres de longueur, est aussi terminée.
Dans une rencontre d’information, hier, le responsable du projet pour le consortium SSL, Daniel Genest, a toutefois affirmé que plusieurs mesures doivent maintenant être mises en place pour accélérer les travaux afin de rencontrer l’échéancier du 1er décembre 2018.
Sans ces mesures, a-t-il reconnu, le nouveau pont ne sera pas livré avant l’été 2019, soit un retard de sept à huit mois par rapport aux prévisions.
Ces mesures consistent principalement en une augmentation du nombre d’ouvriers sur le chantier, l’ajout de personnel de gestion et d’encadrement des travaux, des ajouts d’équipements et la conversion de certains sites pour augmenter l’entreposage des pièces préfabriquées sur le chantier.
La responsable des projets de construction de pont pour Infrastructure Canada, Chantale Côté, a affirmé pour sa part que des négociations étaient en cours pour déterminer comment sera partagée la facture des coûts d’accélération des travaux entre le consortium SSL et le gouvernement fédéral. Elle a refusé d’estimer le coût de ces ressources additionnelles, qui relève du secret commercial entre SSL et le gouvernement du Canada.
En vertu du contrat signé en 2014 entre Infrastructure Canada et le consortium SSL, un retard dans la livraison du pont, au 1er décembre 2018, pourrait valoir des pénalités de 100 000 $ par jour au constructeur pour les 7 premiers jours et de 400 000 $ par jour pour chaque journée subséquente.