SES DEUX PROCHAINS FILMS

2 nuits jusqu’au matin

De Mikko Kuparinen

Sortie le 24 juin

En voyage en Lituanie, Caroline (Marie-Josée Croze) a une brève liaison avec Jaako (Mikko Nousiainen), un DJ finlandais. Ce qui devait n’être qu’une histoire d’une nuit se prolonge lorsque l’éruption d’un volcan empêche les avions de décoller. Ils en apprendront un peu plus l’un sur l’autre, et ce dévoilement leur permettra de poursuivre leur route autrement. Croze porte littéralement ce film intimiste et atmosphérique sur ses épaules.

Au nom de ma fille 

De Vincent Garenq

Sortie le 17 juin

Lorsque André Bamberski (Daniel Auteuil) soupçonne Dieter Krombach (Sebastian Koch), le mari de son ex-femme Dany (Marie-Josée Croze), d’avoir assassiné sa fille Kalinka et masqué sa mort, il se lance dans une enquête et un combat judiciaire qui durera des décennies pour faire éclater la vérité. Le film est basé sur une histoire vraie, « l’affaire Dieter Krombach », qui avait fait la manchette pendant plusieurs années, notamment parce que Bamberski a commandé en 2009 l’enlèvement de Krombach pour le traduire devant la justice en France.

MARIE-JOSÉE CROZE

Les pieds sur terre

On se souvient d’elle il y a 13 ans, franche et ouverte en entrevue pour la sortie des Invasions barbares de Denys Arcand. Et puis ce fut le prix d’interprétation à Cannes, l’emballement médiatique et un changement draconien de trajectoire pour Marie-Josée Croze, qui s’est installée à Paris, où elle mène aujourd’hui une carrière prolifique. Elle est de la distribution de deux films qui prennent l’affiche au Québec en juin, 2 nuits jusqu’au matin de Mikko Kuparinen et Au nom de ma fille de Vincent Garenq. Nous en avons profité pour revenir sur son parcours. Discussion sur le métier, la célébrité et l’importance de garder les pieds sur terre.

Ça fait 13 ans que votre vie a changé lorsque vous avez reçu le prix d’interprétation à Cannes pour Les invasions barbares. Lorsque vous repensez à cette période, quels sont vos souvenirs aujourd’hui ?

Honnêtement, je n’aurais jamais pu imaginer ce qui m’est arrivé, ce qui m’arrive en ce moment. Depuis l’âge de 17 ans, j’avais pour projet secret de vivre en France, avant même que je fasse du cinéma. C’est arrivé presque en même temps. C’est le cinéma qui m’a ouvert l’esprit. J’avais une attirance particulière pour la France, pour la langue. [...] Quand j’ai eu le succès que j’ai eu, c’est sûr que j’en ai profité, j’ai saisi ma chance pour venir vivre ici. Je suis très heureuse. Des fois, je me pince, je me dis que, vraiment, j’ai réussi, ç’a marché et je ne regrette pas. Je suis toujours aussi heureuse. Mais je ne sais pas pourquoi ça m’est arrivé. Honnêtement, je me dis que j’ai eu beaucoup, beaucoup de chance.

Aujourd’hui, vous êtes établie, vous avez la nationalité française. Est-ce que ç’a été beaucoup de boulot ?

Le plus difficile quand on vit des choses comme ça, c’est de garder la tête froide, de conserver le désir, de garder les bonnes choses à la bonne place, quoi, de ne pas se perdre en route. C’est sûr que ça peut arriver, parce que ça va tellement vite, et des fois, on peut se mettre à ne plus trop savoir pourquoi on fait ça. Le plus difficile, c’est de maintenir une rigueur par rapport à son travail, à ce qu’on a envie de faire. [...] Ce n’est pas du travail au sens de labeur. Je ne fais rien de particulier, je n’ai pas de recette magique, pas de plan. C’est beaucoup d’instinct, de ne pas se mentir, d’être honnête avec les gens, avec soi. De prendre des risques, aussi. Ne pas écouter tout ce que les gens disent. [...] Moi, je réponds à mon désir, parce que si je n’ai pas envie de faire quelque chose, je ne suis bonne à rien, vraiment nulle à chier. J’ai envie d’être bonne, pas de mal jouer. Et je suis bonne lorsque je me sens aimée, pas au sens d’amour, mais de respect, de regard et de connivence. Je ne suis pas quelqu’un de froid et technique, j’ai besoin que le courant passe bien.

Vous vous protégez, aussi. On ne vous voit pas beaucoup dans les revues à potins.

Ah non, non, non ! Non ! Ça m’est tombé dessus, l’espèce de tourbillon, à l’époque où je suis partie. J’ai honte quand je pense à ça, de m’être laissé manipuler comme ça, comme un animal de cirque, faire tous les plateaux de télé pour répéter 150 fois la même affaire. Ç’a vraiment été une douche froide pour moi. [...] Et après, cette espèce d’engouement mélangé avec de la haine, les Croze bashings et les Croze lovers… Ça m’a fait beaucoup de tort, je n’ai pas aimé ça. Mais j’ai gardé la leçon. Si ça devait m’arriver de nouveau un jour, un truc aussi fulgurant, je me protégerais énormément, parce que c’est quelque chose qui ne me réussit pas [...].

Le fait d’avoir choisi de travailler en France vous a-t-il permis d’avoir une carrière plus centrée sur le cinéma ?

Il y a clairement des pays où on fait plus de films que d’autres. La France est l’un des pays où on en produit le plus. Au Québec, la production est plus restreinte, on tourne moins souvent. Ce que j’aime dans ce que je vis, c’est le fait de tourner beaucoup. C’est précieux pour une comédienne. Parce que c’est le problème avec le comédien, c’est le seul artiste qui ne fait pas ses gammes. L’acteur, il lui faut un regard. C’est comme le vélo, ça revient vite, mais ça se perd aussi. Quand on ne tourne pas beaucoup, on a plus le trac, on est plus inquiet. C’est un métier qui se joue beaucoup sur la confiance.

Quels sont les critères qui ont guidé votre envie de jouer dans ces deux films qui prennent l’affiche au Québec ?

Je tournais 2 nuits jusqu’au matin en Lituanie et on m’a approchée pendant le tournage pour aller faire Au nom de ma fille. C’est Daniel Auteuil qui a parlé de moi au réalisateur, parce que l’actrice qui devait jouer le rôle s’était désistée, je crois. Pour le premier film, le jeune réalisateur Mikko, quand je l’ai rencontré, j’aimais beaucoup ce qu’il dégageait. Il avait envie d’aller dans la sobriété du jeu, le naturalisme aussi. Ça m’a beaucoup intéressée de travailler avec lui. Au nom de ma fille, c’était l’histoire qui était intéressante. Le fait que Daniel me propose, ça m’a touchée, parce qu’on avait beaucoup aimé travailler ensemble sur Je l’aimais. Daniel, c’est quelqu’un qui change une énergie quand il débarque sur le tournage, peu importe le temps et le climat avant qu’il arrive. Dès qu’il met les pieds sur un plateau, c’est fou. Il apporte une vraie énergie positive. [...] De [la] simplicité aussi. Il est efficace, instinctif, c’est très, très agréable de travailler avec lui.

Dans 2 nuits jusqu’au matin, quelles sont à votre avis les motivations de votre personnage, Caroline, qui collectionne les liaisons de passage ?

Je me suis dit que c’est une fille qui est dans une histoire finie avec sa conjointe, mais qui ne veut pas se l’avouer. C’est plus simple de travailler comme une malade, de voyager et d’avoir des histoires. Il y a de tout, des hommes, des femmes, mais c’est comme des proies. Comme si elle n’avait plus accès à son cœur, comme si elle était devenue extérieure à elle-même. Les deux personnages qui se rencontrent vont déclencher chez l’autre une réflexion, histoire de remettre les pendules à l’heure. La vie, on peut la traverser d’un coup et s’apercevoir qu’on est dans le mauvais choix. Des fois, c’est quelqu’un qui nous le dit. Je trouvais qu’il était surprenant, ce film-là. Il y a des retournements inattendus, mais on n’est pas manipulé. C’est ça que j’aime. Mikko a vraiment fait un film personnel, c’est chouette.

Ce sont deux films qui ont la particularité de se dérouler dans plusieurs langues. Votre bilinguisme vous aide-t-il dans votre carrière ?

Oui, c’est assurément un atout de pouvoir jouer dans plusieurs langues. J’aimerais même pouvoir jouer en italien. Le travail d’un acteur, c’est la parole, les mots. J’adore ça, les accents. Plus on parle de langues, plus on peut changer de visage. C’est un métier de transformiste. Tu es au service d’un rôle, d’une histoire. Il y a des fois des gens qui me disent : « Ah, je préférais tes cheveux de telle couleur. » Je m’en fous, je n’ai pas mes cheveux, quand est-ce que j’ai mes cheveux ? Si je tourne trois films par an, je ne peux pas avoir mes cheveux. J’ai les cheveux du personnage précédent ou du personnage qui suit. Un acteur qui travaille beaucoup ne s’appartient plus tellement. Quand je joue un rôle, je ne veux surtout pas qu’on pense à Marie-Josée Croze. Je n’existe pas, ce sont les personnages qui prennent le contrôle.

Quel bilan faites-vous des 13 dernières années ? Qu’avez-vous appris de plus important sur votre métier ?

J’ai appris qu’on est les seuls à savoir ce qui est bon pour nous, qu’il faut s’écouter, se méfier des idées reçues. Il ne faut pas arrêter d’essayer d’apprendre. C’est juste de l’ouverture, de l’honnêteté envers soi-même et envers les autres. La simplicité, quoi. C’est ça que j’ai appris qui était le mieux. Et vraiment, il n’y a pas de gagnant, il n’y a pas de perdant, il y a juste quelqu’un qui vit sa vie comme du monde ou pas. Je vis ma vie comme moi j’ai envie de la vivre [...].

Vous reste-t-il un rêve à réaliser ?

Non. Parce que mon rêve, en fait, partait de quelque chose de terrible, qui était que mon enfance a été épouvantable. Ce que j’avais vécu n’était vraiment pas bien pour moi. Je n’étais pas une personne heureuse, depuis ma naissance jusqu’à… Je viens d’un milieu difficile, je ne veux pas revenir là-dessus. Je ne suis pas une personne qui rêve, je voulais surtout m’en sortir. C’est tout ce que je voulais, et je m’en suis sortie plus que de raison, plus que j’aurais pu imaginer. Ce qui pourrait être mon rêve, c’est que ça continue comme c’est là, que je sois en santé demain, que ça ne s’arrête pas, que ça s’épanouisse, que je fasse des projets au théâtre, où j’ai des croûtes à manger. Je n’étais pas heureuse, aujourd’hui je le suis, et je suis contente !

Vous n’avez pas changé…

Moi ? Je ne changerai jamais, je suis tellement plate ! (rires) Ça se saurait ! Je suis pareille depuis que j’ai 4 ans, je suis exactement la même personne aujourd’hui. Je me dis que j’ai un sens super fort, parce que je ne me sens pas dériver, je ne me demande pas : qui suis-je ? Je suis bien ordinaire. Je n’ai aucune singularité. Je ne me casse pas la tête non plus, on est comme on est, et je vis ma platitude sans aucun problème !

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