Traitement

Prescription : yoga

Pour soulager la douleur, l’insomnie, l’inconfort de certains traitements ou encore la dépression, plusieurs médecins suggèrent maintenant à leurs patients la pratique du yoga. De plus en plus d’études tendent d’ailleurs à leur donner raison. Le yoga devient ainsi un outil supplémentaire… à condition qu’il soit adapté.

UN DOSSIER D’ISABELLE AUDET, DE CATHERINE HANDFIELD ET DE MARIE ALLARD

Soulager la douleur

« Est-ce que ça va ? » Annie Courtecuisse, professeure de yoga, aborde avec compassion une femme qui entre dans le local où elle s’apprête à donner un cours. « Oh… pas vraiment », lui souffle la dame, le visage crispé par la douleur, avant d’aller s’asseoir sur une des chaises, la main contre le dos.

« Vous irez doucement aujourd’hui pendant la salutation au soleil levant, d’accord ? », indique la professeure, qui travaille depuis 2012 auprès de patients souffrant de douleurs chroniques. Lorsque le cours commence, elle ajoute ces quelques mots à l’intention de tout le groupe : « Laissez de l’autre côté de la porte tout ce qui s’est passé avant, et idéalement, ne pensez pas à ce qui se passera après… »

L’appel d’Annie est entendu. Les femmes se détendent et imitent les mouvements qu’elle amorce doucement.

Johanne Jean connaît si bien les enchaînements qu’elle les exécute les yeux fermés, dans une détente qui semble totale. « Les gens me demandent comment ça se fait que ça ne paraît pas que j’ai mal, nous confie-t-elle plus tard. Je souffre de fibromyalgie, et j’ai mal partout, mais la différence, c’est que le yoga m’aide en me rendant plus relaxe. Ça m’aide à accepter la douleur, aussi. »

Johanne a commencé la pratique du yoga à la suggestion du Dr David Lussier, directeur de la clinique de gestion de la douleur chronique à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Lorsqu’on s’arrête à son bureau pour discuter des effets du yoga, le médecin s’anime. Il constate une amélioration de l’état de plusieurs de ses patients, tant et si bien que l’Institut de gériatrie offre ce service gratuitement à une partie de sa clientèle grâce à des dons et à l’implication d’Annie Courtecuisse. Ce sont essentiellement des femmes qui en profitent, mais les bienfaits peuvent toucher tout autant les hommes.

« On s’est rendu compte que ça aide beaucoup les gens. Ça donne un sentiment de contrôle aux [patients]. Ils font quelque chose pour améliorer la douleur, et ça, c’est important. C’est le facteur principal d’un bon pronostic pour que la douleur s’améliore. »

— Le Dr David Lussier

L’expérience est si concluante à l’Institut de gériatrie que la direction de la Clinique antidouleur du Centre hospitalier universitaire de Montréal a décidé d’ajouter à son tour ce même service aux soins offerts à sa clientèle en 2014. « Il y a un avantage certain pour une certaine population qui est limitée dans ses capacités fonctionnelles, ajoute la Dre Aline Boulanger, directrice de la Clinique antidouleur du CHUM. Le yoga, avec les différents mouvements, implique un volet d’équilibre et de souplesse important. Et puis, c’est bénéfique parce que c’est fait tout en douceur. »

Adaptation nécessaire

Le milieu hospitalier s’ouvre donc à la pratique du yoga. N’empêche, on ne s’improvise pas professeur de yoga auprès d’une clientèle souffrant d’un problème de santé du jour au lendemain. « Il y a un gros travail à faire pour aussi proposer un type de yoga adapté, explique Annie Courtecuisse, qui fait d’ailleurs partager son expertise à d’autres professeurs. On doit s’adapter constamment aux personnes dans nos cours. On n’arrive pas en disant : "Tiens, je vais faire une classe comme ci ou comme ça". Non ! C’est une approche d’accompagnement, de compassion, d’écoute… »

Voilà pourquoi elle a choisi d’offrir du yoga sur chaise aux patients souffrant de douleur chronique. Elle a aussi écrit un livre pour les guider lorsqu’ils souhaitent pratiquer le même type de yoga à la maison. « On adapte les postures sur la chaise pour qu’elles soient sécuritaires et adaptées aux pathologies de chaque personne. Même sur un groupe de cinq ou six, il n’y en a pas deux qui souffrent de la même chose. On fait des postures adaptées sur la chaise, mais c’est toujours du vrai yoga », assure la professeure.

Pendant le cours auquel nous assistons, elle s’enquiert d’ailleurs régulièrement de l’état des participantes. « Accueillez les sensations sans les cacher. Écoutez votre corps », précise Annie Courtecuisse à quelques occasions. Les participantes enchaînent ainsi, à leur façon, des postures comme la salutation au soleil levant et le guerrier.

Bienfaits physiques et psychologiques

Médecin de famille en Montérégie, le Dr Éric Sauvageau est lui aussi convaincu des bienfaits du yoga, chez les patients de tous âges. Il a d’ailleurs compris quels en étaient les avantages en le pratiquant lui-même depuis 2014. « Je commençais à être surchargé par mon travail et je cherchais un moyen d’apaiser mon esprit et d’apaiser mon corps de toutes les tensions musculaires. Ma conjointe faisait une formation pour être professeure de yoga, et j’ai compris que c’était plus qu’une activité physique : ça touche plusieurs dimensions de l’être humain. »

Depuis, il a suivi une formation pour être professeur de yoga. Lorsque cela s’applique, il lui arrive de suggérer la pratique de cette activité ou encore certaines postures à ses patients. « Je donne souvent l’exemple que j’ai un coffre à pêche avec un étage de plus que la plupart de mes collègues, explique le médecin, qui constate un réel intérêt chez les autres médecins. Il y a par exemple des étirements pour des maux de dos à faire régulièrement, ou encore pour ceux qui font de l’insomnie, il y a des exercices de relaxation pour s’apaiser avant d’aller se coucher. Le yoga apporte aussi un côté plus méditatif pour aider à la gestion de l’anxiété, de la dépression, du stress, finalement. »

Le Dr Sauvageau précise du même souffle que le yoga « n’est pas une panacée ». « Ça ne va pas nécessairement guérir la maladie, mais ça va aider les gens à mieux vivre avec », précise-t-il.

C’est en effet ce que croit Annie Courtecuisse. « Quand les patients arrivent, certains ne sont que la douleur. Le yoga peut les reconnecter avec eux-mêmes. Ils retrouvent cette force qu’ils ont toujours au fond d’eux-mêmes. C’est là qu’on a des résultats : quand ils sont avec eux-mêmes, avec leur corps dont ils ne voulaient plus entendre parler… »

Le yoga contre le cancer

Véronique Laberge était craintive avant son premier cours de yoga, en octobre 2016. « Je me disais : “Ah ! mon Dieu, je n’ai pas de cheveux ! D’un coup tout le monde est bon, sauf moi ?” »

À 31 ans, Véronique Laberge a eu un diagnostic coup-de-poing de cancer du sein. « En huit jours ouvrables, ma vie a basculé, décrit-elle. Je me suis retrouvée sur une chaise de chimiothérapie. » Auparavant très sportive, la jeune femme est devenue très fatiguée. Ce n’est qu’après quelques mois de traitement qu’elle s’est rendue à une séance de yoga pour femmes atteintes d’un cancer du sein. Ç’a été une révélation.

« Les bienfaits que j’en ressens, il n’y a pas une autre discipline qui me les offre, estime-t-elle. Je suis toujours en traitement, mais pas aussi intensif. J’ai perdu beaucoup de ma condition physique. Au yoga, je me coupe de tout : la maladie, les soucis à la maison ou au travail. C’est quétaine à dire, mais on est vraiment dans le moment présent. »

Gérer l’anxiété

En compagnie de Véronique Laberge et d’une quinzaine d’autres femmes ayant eu un diagnostic de cancer du sein, La Presse a assisté à une séance d’« onco-yoga » offerte dans un grand local de briques blanches, à la Fondation du cancer du sein du Québec, rue Sherbrooke Ouest, à Montréal.

Après avoir salué à l’indienne, en disant « namasté », l’instructrice de yoga Candace Labbé demande aux participantes comment elles se sentent. « Sereine », répond l’une d’elles. Plusieurs acquiescent. « N’hésitez pas à modifier une posture pour être en position confortable », souligne la professeure.

« J’aime voir le courage de ces femmes, qui me donnent tellement une belle leçon de vie, témoigne Candace Labbé, qui enseigne notamment à la clinique Atma, à Longueuil. Même quand il y a une tempête de neige, il y en a huit qui viennent ! »

Après un moment de réflexion, yeux fermés et jambes croisées, les participantes prennent la posture du guerrier, une jambe derrière l’autre, puis celle de la déesse, genoux fléchis. « On aime ça, dire bonjour aux cuisses », dit avec humour l’instructrice, tandis que ses élèves s’échinent un peu. Le reste de la courte séance, plutôt axée sur les étirements et la relaxation, s’avère plus doux.

« Mon but, c’est de donner aux participantes des outils simples pour les aider à gérer le stress et l’anxiété, tout en cultivant le calme et la détente quotidienne. »

— Candace Labbé

« On travaille aussi la flexibilité, l’amplitude des mouvements et l’équilibre. Le traitement et la maladie ont beaucoup d’impact sur l’équilibre. »

Événement en plein air

La Fondation du cancer du sein du Québec finance des séances de yoga thérapeutique pour les femmes, gratuites jusqu’à deux ans après la fin de leur traitement, à Rosemère, Sainte-Thérèse, Saint-Basile-le-Grand et Longueuil. « Dans les années à venir, on aimerait en offrir dans d’autres régions », précise Marie-Pier Cornellier, chargée de projet à la Fondation du cancer du sein. D’autres organismes, comme la Fondation Virage pour le soutien au cancer, proposent également des séances de yoga.

La Fondation du cancer du sein du Québec organise un grand événement de yoga en plein air à Montréal (samedi 9 juin), Québec et Sherbrooke (dimanche 10 juin). Yomni – c’est le nom de l’événement – est aussi l’occasion de recueillir des fonds, l’entrée coûtant 30 $.

y prendre goût

« J’ai fait du yoga pendant mes traitements de radio et de chimiothérapie à la Cité de la santé de Laval, témoigne Carole-Anne Rousseau. Le mieux-être qu’on y trouve est irremplaçable. Encore aujourd’hui, même si je vais bien, quand je vis une situation de stress – si j’ai par exemple mal aux os et que j’ai peur que ce soit des métastases – , je fais du yoga chez moi, et je peux dormir après. Ça crée une bulle de bien-être et de calme. »

Même constatation pour Sylvie Cholette, qui a commencé le yoga le lendemain de son premier traitement de chimiothérapie. « Le yoga, c’est comme faire une activité manuelle, illustre-t-elle. Comme on est concentrée sur notre posture, on oublie notre maladie. » Sylvie Cholette n’a plus de trace de cancer, mais a gardé un fort intérêt pour le yoga, qu’elle pratique désormais dans des classes ordinaires. « Une fois qu’on a commencé, on réalise qu’on a besoin de ce petit moment pour soi », constate-t-elle.

Un yoga immobile… pour relaxer

Le yoga nidra – ou yoga du sommeil éveillé – est une technique de relaxation consciente. La Presse a assisté à une séance.

Un yoga totalement immobile

Au Centre Ganga yoga, dans l’est de Montréal, une vingtaine de participants sont étendus sur un tapis de yoga, paumes vers le ciel. Leur corps est recouvert d’une couverture, et leurs yeux, d’un masque de sommeil. Tout au long de la séance, ils resteront immobiles, en écoutant simplement les instructions de Véronique Jean, professeure de yoga et formatrice. Car en yoga nidra, il n’y a qu’une seule position : le shavasana, couché sur le dos, bras et jambes légèrement écartés. La Presse ose une question de néophyte : le yoga nidra, ça ne ressemble pas vraiment à du yoga, non ? « Le yoga, ce n’est pas que les postures de yoga, rappelle Véronique Jean. Il y a huit membres au yoga, dont les postures (asanas), mais aussi le retrait des sens (pratyahara), la concentration (dharana), l’état de méditation (dhyana)… »

C’est quoi, le yoga nidra ?

Le yoga nidra est une technique de « relaxation consciente » développée en Inde par Swami Satyananda Saraswati, qui a puisé son inspiration dans les pratiques traditionnelles tantriques. Nidra signifie sommeil. Mais en yoga nidra, il faut rester éveillé : Véronique Jean le répète d’ailleurs à plusieurs reprises pendant la séance. Le yoga nidra vise à atteindre un état entre le sommeil et l’éveil, mais en restant conscient. « Un état où l’esprit est exceptionnellement réceptif », soutient Swami Satyananda Saraswati dans son livre Yoga nidra, publié en 1976. Les gens qui le pratiquent passent par un état « dans l’éventail de l’hypnose », mais le yoga nidra et l’hypnose sont deux techniques différentes, précise l’auteur. « En yoga Nidra, écrit-il, le cerveau est complètement éveillé. »

Plusieurs étapes

Après une relaxation préparatoire, Véronique Jean invite les participants à prononcer intérieurement une résolution personnelle qui commence par « je suis » – comme « je suis paix », par exemple. Puis, elle énumère une à une les parties du corps – assez rapidement – et invite les participants à les relâcher. « Votre corps est de plus en plus lourd et vous êtes de plus en plus relax et détendu », dit-elle. Elle leur demande ensuite de prendre conscience de leur respiration, dans le ventre, d’abord, dans le thorax et dans la gorge, puis de ressentir tour à tour des sensations dans leur corps : la lourdeur, la légèreté, le froid, le chaud, la souffrance, la joie.

Des images

Si, jusqu’à maintenant, le yoga nidra rappelle des techniques de méditation et de relaxation bien connues, comme le balayage corporel et la cohérence cardiaque, l’étape suivante est plus surprenante. Véronique Jean invite les participants à visualiser des images : la flamme d’une chandelle, une pluie torrentielle, une croix au sommet d’une église… Selon la théorie de Swami Satyananda Saraswati, la visualisation permettrait de libérer des tensions physiques et les tensions émotionnelles emmagasinées dans l’inconscient. « Sans savoir ce que tu es en train de libérer, tu fais de grandes libérations », assure Véronique Jean. Au terme de la séance, une cloche retentit. L’espace d’un instant, la représentante de La Presse croit qu’il s’agit de la sonnette de son domicile. « Entre l’éveil et le sommeil » décrit bien l’état dans lequel nous nous trouvions.

Une approche « décomplexée »

Contrairement au yoga classique, le yoga nidra a fait l’objet de peu d’études scientifiques. On sait néanmoins que l’éventail des approches corps-esprit (méditation, yoga classique, taï-chi, etc.) provoque une réponse physiologique de relaxation (relaxation response), qui contrecarre les effets physiologiques du stress. « Je serais prêt à faire l’hypothèse que le yoga nidra déclenche aussi la relaxation response », indique le Dr Hugues Cormier, professeur à la faculté de médecine de l’Université de Montréal et vice-doyen associé à la vie étudiante, facultaire et du monde – humanisme, résilience et bien-être. Contrairement à la médiation pleine conscience, le yoga nidra, qui a une dimension spirituelle, n’est pas laïcisé, sécularisé et au niveau occidental, souligne-t-il. « Je trouve ça intéressant. C’est une approche décomplexée », dit le Dr Cormier, qui aime l’idée de l’intention (« je suis paix », etc.).

Témoignages

Qu’est-ce que le yoga nidra leur apporte ? Nous avons posé la question aux participants.

« Quand je vis quelque chose de pénible, j’écoute le disque du yoga nidra. Après, on dirait que tout s’organise. Je me sens plus calme, plus détendue. »

— Nicole Malenfant Renaud

« Dépendamment de la séance, de la durée, des images qui vont nous être données, ça va travailler mes énergies de façon différente. »

— Denis Dubé

« Il y a des choses qui se libèrent et on ne veut pas nécessairement savoir ce que c’est. Ce qui compte, c’est qu’on soit bien. »

— Pénélope Bergeron-Lavallée

« Moi, ça me stimule ! Je le fais des fois en me levant le matin et ça m’énergise pour la journée. »

— Francine Marquis

Ce qu’en dit la science

Un peu partout dans le monde, plusieurs études sérieuses ont indiqué au cours des dernières années que la pratique du yoga avait des effets positifs à court et à moyen terme sur des patients. Le soulagement des maux de dos et des traitements contre le cancer a tout particulièrement été documenté.

Au Québec, la psychologue Dominique Lanctôt s’est d’ailleurs penchée précisément sur la qualité de vie de 100 femmes atteintes d’un cancer du sein dans une étude de doctorat en psychologie, menée à l’Université du Québec à Montréal. Elle a détaillé les effets d’une approche de huit semaines développée par le maître yoga Madan Bali.

Appuyée par plusieurs professionnels de la santé, la psychologue a souligné que ce programme avait amélioré la qualité de vie des patientes, mais aussi prévenu l’augmentation de symptômes dépressifs. « C’est un complément aux traitements médicaux, auxquels je crois beaucoup, indique la psychologue. Tu as des outils pour diminuer ton anxiété et être dans le moment présent. Tu peux trouver des moments de bonheur même à travers cette épreuve », explique Dominique Lanctôt.

Elle sait d’ailleurs de quoi elle parle. En 1989, elle a elle-même souffert d’un cancer du sein. C’est à ce moment qu’elle s’est tournée vers le yoga. Puis, au moment de soutenir sa thèse, en 2012, elle a vécu une récidive dans le même sein. Mieux outillée, elle ajoute toutefois avoir mieux vécu les traitements la deuxième fois. « Ça prendra plus d’études, évidemment, mais c’est très prometteur. »

— Isabelle Audet, La Presse

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