dossier spécial société

Du AC/DC pour relaxer ?

Non, écouter de la musique classique ne vous rendra pas forcément plus calme et attentif. Pas plus qu’une musique dynamique ne vous donnera miraculeusement du pep pour la journée. Parce que l’humain est une bête étrange. Aux goûts variés. Aussi uniques, multiples que changeants.

Ugo Éric, 28 ans, écoutait la trame sonore d’A Star Is Born quand on l’a croisé, rue Sainte-Catherine Ouest à l’angle d’Union, un petit vendredi matin frisquet du mois de janvier. « Ça me met de bonne humeur ! » À peine plus loin, Kenny, en marchant prestement vers l’Université McGill, avait plutôt le groupe rock 30 Seconds to Mars dans les oreilles. « Ça me réveille ! » Emma Digiovanni, 19 ans, écoutait quant à elle Kehlani, parce que le matin, elle préfère cette « vibe plus calme ».

Il serait tentant de croire que la musique douce relaxe et que la musique électronique stimule. Même si c’est parfois vrai, et si des études publiées ici et là le prétendent, c’est toutefois loin d’être toujours le cas.

« Je ne connais pas une seule étude rigoureuse à ce sujet », tranche Daniel J. Levitin, neuropsychologue à McGill, chef de file mondial en matière de recherche sur la musique et le cerveau. L’auteur de This Is Your Brain on Music a sondé pas moins de 100 000 personnes dans le cadre de son travail, leur posant des centaines de questions, sur plus de 5000 titres : Est-ce que cette chanson te met de bonne humeur ? de mauvaise humeur ? Aimerais-tu écouter ça si tu étais de bonne ou de mauvaise humeur ? etc.

« Ce qui est renversant, c’est qu’on n’est jamais arrivé au moindre consensus. »

— Daniel J. Levitin, neuropsychologue

M. Levitin cite l’exemple d’un répondant qui avait notamment affirmé écouter AC/DC pour relaxer. Qu’écoutait-il pour se réveiller ? « Du speed métal suédois, rit le chercheur. Pour lui, AC/DC, en comparaison, c’était relaxant ! » Les enfants de l’auteure de ces lignes ont aussi toujours eu tendance à s’endormir en auto en écoutant Daft Punk. Trouvez l’erreur…

De son côté, pour se mettre de bonne humeur, le psychologue dit aimer écouter Ariane Moffatt, Daniel Bélanger ou Adele. « Parfois, j’ai envie de les écouter. Mais parfois, je n’ai vraiment pas envie de les écouter ! »

Gare aux moyennes

En réalité, si un rythme est perçu par une majorité de gens comme « relaxant », il peut avoir l’effet inverse sur d’autres, voire en irriter plusieurs. Pensez ici à la musique d’ascenseur. « Et le problème avec les moyennes, poursuit le chercheur, c’est qu’on risque de passer à côté de nuances très importantes. » La preuve ?

« En moyenne, vous savez, les humains ont un seul testicule… »

— Daniel J. Levitin, neuropsychologue

Ces différences en matière de perceptions musicales seraient dues à nos gènes et au développement de nos cerveaux respectifs, de l’utérus à aujourd’hui, enchaîne-t-il. Un peu comme avec la nourriture : certains préfèrent l’épicé, le salé ou le sucré, selon les jours, l’humeur ou le contexte. « Et même si on dit que la glace à la vanille est la plus populaire, ça ne veut pas dire que tout le monde aime la crème glacée ni que tout le monde a envie de vanille… »

Du bonheur dans vos oreilles

Un neuroscientifique néerlandais a accouché d’une formule, il y a quelques années, pour déterminer la recette des chansons populaires qui auraient tendance à rendre les gens heureux. Invité à analyser une liste de chansons feel good mise au point par des clients d’une marque britannique d’appareils électroniques, le chercheur Jacob Jolij, dont les résultats ont été repris par tous les médias à l’époque, a conclu qu’il fallait trois ingrédients précis : un rythme supérieur à la moyenne (de 140 à 150 battements par minute), des paroles positives, le tout dans une tonalité majeure. Arrivaient ici en tête de liste : Don’t Stop Me Now (Queen), Dancing Queen (ABBA) et Good Vibrations (Beach Boys). « Mais combien de personnes ont été sondées ? L’échantillon était-il représentatif ? », s’interroge Daniel J. Levitin, tout en reconnaissant que les trois ingrédients suggérés tendent effectivement, « en moyenne » (avec toutes les nuances et limites qui s’imposent ici), à mettre les gens plutôt de bonne humeur.

« Si on prend une musique en particulier qui influence votre humeur, ça ne veut pas dire que ça va influencer 100 % des auditeurs de la même façon », renchérit Nathalie Gosselin, neuropsychologue à l’Université de Montréal et chercheuse au BRAMS, le laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son.

Si vous êtes endormi, telle musique stimulante pourrait effectivement vous aider à démarrer votre journée, avance-t-elle. En revanche, si vous avez un examen ce jour-là et que vous êtes plutôt stressé, mieux vaudrait opter pour quelque chose de plus calme.

Le secret ? Se connaître, se questionner et faire un choix en conséquence. J’ai besoin de me calmer parce que j’ai un examen médical à passer, ou me motiver pour aller courir dans le froid ? « Puis voir dans votre lecteur MP3 la musique qui tend vers l’état émotionnel que vous recherchez », résume-t-elle.

Bref, Mendelssohn, Tiësto ou, de grâce, ni l’un ni l’autre ?

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