Chronique

Le nouveau « gros projet » de Kevin Gilmore

Du bureau de Kevin Gilmore, le coup d’œil est magnifique. D’un côté, la surface enneigée du stade Saputo ; de l’autre, le mât du Stade olympique. Sur une des larges fenêtres près de sa table de travail, le nouveau président de l’Impact a collé une cinquantaine de notes sur autant de bouts de papier. À l’évidence, les chantiers sont nombreux.

« Les gens me disent : “Vous avez de gros défis.” Je réponds non, on a plutôt de grosses opportunités. Parce que si on parle de défis, on pense aux obstacles à surmonter ; mais si on parle d’opportunités, on cherche des solutions pour les maximiser. Le discours change complètement. Ce message doit passer dans toute l’organisation. »

Endossant un complet et une chemise à col ouvert, Gilmore semble déjà à l’aise dans son nouvel environnement. S’il a travaillé loin des projecteurs avec le Canadien, le voici propulsé dans un rôle public : leader et porte-parole d’une organisation dont la vie est un feuilleton aux mille rebondissements.

L’accession de Gilmore à la présidence de l’Impact trouve son origine en novembre dernier. Joey Saputo a alors confié un mandat à la firme de consultants Deloitte : analyser les perspectives d’avenir de son équipe et de la Major League Soccer (MLS) à Montréal. À la recherche d’un expert en sport et divertissement pour contribuer à l’exercice, la firme a contacté Gilmore : « Au début, on m’a simplement dit que le client était dans le monde du sport, sans me donner son identité. »

Gilmore a signifié son intérêt. Le lendemain, sa sélection ayant été approuvée par cet intrigant client, il a appris qu’il s’agissait de l’Impact. « On a étudié à fond la situation de la ligue, le marché de Montréal et la structure de l’Impact, en plus d’analyser les opportunités d’avenir et d’émettre des recommandations. »

L’une d’elles touchait la hiérarchie de l’Impact. Dans le sport professionnel, peu de propriétaires exercent la gestion quotidienne des activités, déléguant cette tâche à un président. Si l’Impact souhaitait emprunter cette voie, une solution vers laquelle Saputo penchait déjà, Gilmore avait en tête un nom à suggérer. Et ce n’était pas le sien.

Le rapport conclu, les deux parties l’ont épluché ensemble. Un collaborateur de Saputo a ensuite demandé à Gilmore si le poste pouvait l’intéresser. « Je ne pense pas… », a-t-il répondu. Mais après une nuit de sommeil, il a reconsidéré l’affaire. Sa carrière, dit-il, a été une affaire de « gros projets », que ce soit avec les Ducks d’Anaheim, les Kings de Los Angeles ou le Canadien. Quand ceux-ci sont terminés, sa motivation n’est plus la même. « Je redeviens avocat… », dit-il avec un sourire résigné.

Alors si Saputo lui accordait l’autonomie et le contrôle nécessaires, pourquoi ne pas foncer ? Après tout, l’essor de l’Impact à Montréal correspond à la notion de « gros projet ». L’automne dernier, le propriétaire a mis en lumière les difficultés de l’organisation : pertes financières, nombre d’abonnements saisonniers insuffisant, discussions délicates avec la Ville de Montréal à propos des taxes foncières, stade inadéquat pour hausser les revenus.

Une remarque de Saputo a frappé Gilmore : « Kevin, je cherche un partenaire. » Il n’en fallait pas davantage pour qu’ils se serrent la main.

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Gilmore a du pain sur la planche. Ses mots sont différents, mais son diagnostic ressemble à celui déjà rendu par Joey Saputo ou son bras droit Richard Legendre : il faut transformer en partisans de l’Impact les centaines de milliers de personnes qui aiment le soccer au Québec.

L’inévitable électrochoc provoqué par l’arrivée du nouveau patron devrait aider l’Impact. Même si, à l’époque où il était vice-président du Canadien, Gilmore n’a jamais semblé le plus souriant des hommes quand il traversait la salle de presse en coup de vent. Et il reconnaît que son style de gestion a pu froisser quelques personnes.

« J’exige de l’excellence à tous les niveaux. Si on veut un produit de première classe, toutes les petites choses à faire doivent être de première classe. »

— Kevin Gilmore

« Ai-je déjà été frustré par de petits manques ici et là ? Complètement d’accord ! Mes exigences pour les gens qui travaillent avec moi sont très hautes. Parce que je me les impose à moi-même. »

Dans ses rencontres avec les employés, Gilmore martèle ce message : la culture du secteur affaires de l’Impact doit changer. Il faut atteindre le niveau des clubs les plus performants de la Major League Soccer. « Le marché le permet, notre produit aussi. C’est juste une question de prendre les choses en charge », dit-il, en ajoutant que les employés doivent « augmenter leur niveau de jeu ».

Il veut aussi balayer ce sentiment voulant que Montréal ne soit pas un gros marché de sport. Des villes nord-américaines plus petites comptent davantage d’équipes professionnelles, note-t-il. Et leur croissance économique est moindre.

Idéalement, l’Impact doit prendre sa place à l’image du Los Angeles Football Club, qui a fait ses débuts en MLS la saison dernière. Dans le marché super concurrentiel de la mégapole californienne, l’équipe s’est imposée en faisant du bruit. Attendre que les gens achètent des billets ne suffit pas, rappelle Gilmore : « Peu importe le marché, ça ne fonctionne pas de même. »

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Au-delà de la plus-value apportée par le regard frais de Gilmore, existe-t-il un risque à voir Saputo se placer ainsi en retrait ? Si l’Impact n’atteint pas ses objectifs au cours des trois prochaines années, conclura-t-il qu’il a tout essayé avant de rendre les armes ?

Gilmore repousse cette interprétation, rappelant que l’immense majorité des propriétaires d’équipe ne se mêlent pas des opérations au jour le jour. « Joey ne se détache pas du club, mais du quotidien. Et il confie à quelqu’un avec 25 années d’expérience la tâche de prendre soin de son équipe et de la mener à un autre niveau. »

La passion de Saputo pour le soccer demeure vive, assure Gilmore. De cela, personne ne doute. Alors si l’Impact connaît des ennuis sur le terrain au point que l’avenir de l’entraîneur est mis en cause, qui décidera de son sort, Saputo ou Gilmore ? Qui sera le vrai patron dans une circonstance semblable ? « C’est une décision qui se prend par un propriétaire avec la contribution de son président », répond-il.

Compte tenu de l’impulsivité légendaire de Saputo, la discussion s’annonce animée si on en arrive là ! Car Gilmore, qui entend exercer un maximum de contrôle sur l’organisation, a une idée bien arrêtée sur une clé du succès dans le sport professionnel : « Je crois à la stabilité », dit-il, précisant l’importance de s’assurer que « l’émotion ne joue pas un rôle dans ces décisions-là ».

Le président de l’Impact ne plongera pas à tout moment son nez dans le volet soccer des opérations. « Avec les Kings, j’ai passé sept ans du côté sportif, explique Gilmore. Je sais combien il faut visionner de matchs et analyser toutes les données avant de prendre une décision à propos d’un joueur. »

Un président, même bien intentionné, n’a pas ce temps ou, sauf exception, cette expertise. Voilà pourquoi Gilmore privilégie une séparation entre les deux volets de l’entreprise. « Mais la personne qui gère ton côté sportif doit être arrimée à la vision globale de l’organisation, ajoute-t-il. Sinon, c’est très difficile d’opérer. On veut tous la même chose : un stade plein à craquer qui motive les joueurs et une passion pour notre équipe dans le marché. »

Avec l’arrivée de Gilmore, qui s’attaque à un nouveau « gros projet » dans sa carrière de gestionnaire, l’Impact entreprend la phase II de son parcours en MLS. Les attentes sont élevées, les enjeux aussi. Mais le nouveau président est déterminé à réussir.

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