Industrie aéronautique

Un avenir prometteur pour la C Series

Nous avons assisté à une victoire du bon sens vendredi dernier lorsque les membres de la Commission du commerce international des États-Unis se sont rangés derrière Bombardier, dans le cadre de son litige avec Boeing, avec un vote de 4 voix contre 0. Ce revirement de situation représente à mes yeux les États-Unis à leur meilleur.

J’ai passé six années aux États-Unis, d’abord comme étudiant au premier cycle, ensuite au MBA, et j’y ai fait mes études postdoctorales. À l’Université de la Caroline du Sud, l’un de nos plus éminents professeurs était Art Laffer, l’un des principaux idéateurs de la Reaganomics, politique économique qu’a menée Ronald Reagan. C’est aux États-Unis que j’ai appris à mesurer l’importance des principes entourant la puissance des marchés et la saine concurrence.

La Commission a pris une décision qui reflète véritablement ces valeurs. Une victoire de Boeing aurait bloqué l’accès de Bombardier à l’important marché des compagnies aériennes américaines pour l’avion C Series, et les voyageurs américains en auraient fait les frais. Les États-Unis ont donc vu juste en prenant cette décision.

Une victoire surprenante

Tous ceux à qui j’ai parlé sont aussi étonnés que moi de la tournure des événements. Les analystes de l’industrie, les journalistes spécialisés et même les communiqués officiels diffusés par le gouvernement canadien annonçaient sans l’ombre d’un doute la défaite de Bombardier.

J’ai moi-même accordé une entrevue à la CBC à 12 h 45 et à un chroniqueur du New York Times cinq minutes plus tard, alors persuadé que Boeing sortirait vainqueur. La journaliste de la CBC a précisé que dans le cas où mes propos prédisaient une victoire de Bombardier, le segment n’allait pas être utilisé.

Deux heures plus tard, elle me téléphonait pour m’annoncer la victoire de Bombardier. Cela me semblait tellement improbable que j’ai demandé que des preuves me soient envoyées par courriel. 

Je ne croyais pas qu’il s’agissait d’une blague, mais j’étais néanmoins convaincu qu’il s’agissait d’une erreur. Une autre preuve qui confirme qu’il ne faut pas toujours croire les soi-disant experts.

Difficile de faire des prédictions

Comment est-il possible qu’un si grand nombre d’entre nous ait mal jugé l’issue de ce litige ? Je crois que cela s’explique, en grande partie, par notre perception – erronée, on le voit maintenant – de l’influence qu’allait exercer l’administration Trump auprès des membres de la Commission du commerce international des États-Unis.

La sixième ronde de négociations entourant l’Accord de libre-échange nord-américain entre les États-Unis, le Canada et le Mexique se termine à Montréal et certains journaux ont soulevé la possibilité que le président Trump se retire de l’accord. Entre-temps, à Davos, le président Trump a précisé que « l’Amérique d’abord n’est pas l’Amérique seule » (« America First policy is not America alone »). À la lumière de ces propos – et à ma défense –, il est difficile de prédire le dénouement d’une situation donnée.

Vendredi dernier, j’ai eu l’occasion de m’entretenir brièvement avec Alain Bellemare, président et chef de la direction de Bombardier, qui, entouré de son équipe d’avocats, savourait pleinement cette victoire absolument spectaculaire.

Dans le cas où le marché des États-Unis – le plus grand au monde – lui aurait été bloqué, il y a fort à parier que le sort réservé à cette famille d’avions n’aurait pas été aussi favorable.

Advenant une véritable fermeture du marché américain, les compagnies aériennes des quatre coins du monde auraient été considérablement plus préoccupées par l’avenir de cet avion.

En lui donnant accès au marché américain, la décision rendue vendredi assure à la C Series un avenir bien plus prometteur. S’il est vrai qu’un nombre important d’appareils seront assemblés en Alabama, cette décision permet néanmoins le maintien d’emplois au Québec. Un jugement autre aurait entraîné d’importantes pertes d’emplois au Canada. Si l’on tient compte du portrait global de la situation, force est de constater qu’il s’agit d’un dénouement heureux pour la province.

Partenariat avec Airbus : une bonne décision

Certains se demandent si Bombardier n’a pas brûlé les étapes en cédant, pour ainsi dire gratuitement, la participation majoritaire à Airbus, avançant qu’avoir attendu la décision de vendredi aurait permis à l’entreprise de continuer à exercer un contrôle majoritaire.

Bien humblement, je crois qu’ils ont tort.

Alain Bellemare et son équipe ont pris la bonne décision en formant un partenariat avec Airbus. Je suis persuadé que, sans l’assemblage final en Alabama, l’issue de ce litige aurait été tout autre. Par ailleurs, au cours des prochaines années, faire partie du réseau mondial de vente et de service d’Airbus sera un atout majeur pour la famille d’avions C Series. 

Rattaché à la majeure partie des compagnies aériennes, le réseau de vente d’Airbus est largement supérieur à celui de Bombardier Aéronautique.

D’ici deux ans, une fois que des transactions de vente auront été conclues et que la livraison d’appareils aura été amorcée, on reconnaîtra alors pleinement la force du réseau d’Airbus. Sans le partenariat noué avec Airbus, l’avenir des C Series était sérieusement menacé.

Alain Bellemare a dit plus d’une fois que ce partenariat était une excellente décision. Bien que j’apporterais quelques nuances à ce constat, je dois admettre que je suis plutôt de son avis.

Somme toute, il s’agit là d’une nouvelle formidable pour Bombardier, pour les compagnies aériennes et les voyageurs américains, pour le marché de l’emploi et pour les contribuables québécois. Les experts ont vraiment fait fausse route, mais dans ce cas-ci, il était, avouons-le, nettement préférable d’avoir tort que d’avoir raison.

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