Opinion : Maladie de Lyme

Le nouveau bastion de l’antiscience

La maladie de Lyme est une infection bactérienne causée par la bactérie Borrelia burgdorferi et transmise par une tique, Ixodes scapularis.

Elle connaît une importante progression au Québec depuis 2011, et les données de l’Institut national de santé publique du Québec nous montrent que 125 cas ont été déclarés au Québec en 2014, dont un peu plus de la moitié avaient contracté leur infection dans notre province.

Bien qu’elle ne soit pas banale, cette infection non mortelle se traite efficacement avec des antibiotiques pour une durée de 2 à 4 semaines.

La maladie de Lyme se manifeste principalement par une lésion cutanée caractéristique, survenant à l'endroit de la morsure d’une tique. Dans les semaines et les mois suivant l’infection initiale, certains patients non traités pourront développer des complications neurologiques, de l’arythmie cardiaque ou de l’arthrite. À titre de spécialistes en microbiologie médicale et maladies infectieuses, nous diagnostiquons et traitons sur une base régulière les patients atteints de cette infection, bien réelle et bien connue par le corps médical.

TRAITEMENTS DANGEREUX

Malheureusement, cette maladie est aussi devenue la cible d’un mouvement antiscience qui supporte des traitements médicaux alternatifs dont l’utilité n’a pas été démontrée et qui s’avèrent parfois dangereux. Ce mouvement, représenté par l’International Lyme and Associated Diseases Society, est déjà bien implanté aux États-Unis depuis plusieurs années et présente la maladie de Lyme comme une maladie chronique, omniprésente, difficile à diagnostiquer et incurable.

Les promoteurs de ce mouvement affirment que les tests utilisés actuellement en clinique ne sont d’aucune valeur et proposent aussi que cette maladie est responsable de plusieurs symptômes non spécifiques, qui ne peuvent être traités qu’avec des antibiothérapies à long terme et d’autres traitements peu orthodoxes (antifungiques, antioxydants).

Cette vision de la maladie de Lyme n’est pas en accord avec la connaissance scientifique actuelle. En plus d’exposer les patients inutilement aux effets secondaires d’une antibiothérapie à long terme, les diagnostics, souvent posés dans des cliniques prétendument spécialisées en maladie de Lyme, peuvent être faussement rassurants pour les patients.

Les tests diagnostiques et les médicaments étant vendus directement par ces cliniques, les patients y engloutissent souvent des dizaines de milliers de dollars, bernés par le rêve d’une guérison. Des études scientifiques d’excellente qualité, dont une récente publiée dans le New England Journal of Medicine, ont d’ailleurs démontré que les traitements antibiotiques à long terme ne sont pas plus efficaces qu’un placebo dans le traitement de la maladie.

LE PHÉNOMÈNE GAGNE LE QUÉBEC

À titre de cliniciens, nous observons malheureusement la montée de ce phénomène au Québec. Comme pour d’autres mouvements antiscientifiques, les activistes et certaines fondations appuyant ce mouvement sont bien financés et parfois soutenus par certaines sphères politiques et médiatiques. Ce soutien est objectivé par la loi sur le cadre fédéral relatif à la maladie de Lyme, sanctionnée en décembre 2014, faisant état de plusieurs éléments où la science fut manipulée.

En conclusion, bien que nous constatons sur le terrain une augmentation bien tangible des cas de maladie de Lyme et que nous espérions sensibiliser le corps médical à l’émergence de cette maladie, nous sommes aussi inquiets de la montée de l’activisme autour de diagnostics imprécis attribués de façon abusive à la maladie de Lyme.

Ces comportements menacent la santé publique québécoise à court terme et il demeure impératif de fonder nos décisions médicales et politiques sur des études scientifiques de haute qualité.

Il serait aussi souhaitable que le Collège des médecins du Québec soutienne les pratiques conformes à la science médicale en ce domaine, à la manière de sa mise en garde récente sur le dosage spécifique des immunoglobulines G anti-aliments, pour lesquelles il n’existe pas de données scientifiques valables.

Alex Carignan, MD, MSc, FRCPC, microbiologiste-infectiologue, Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, professeur agrégé, faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke ; Karl Weiss, MD, MSc, FRCPC, microbiologiste-infectiologue, hôpital Maisonneuve-Rosemont, professeur titulaire de clinique, faculté de médecine, Université de Montréal, président, Association des médecins microbiologistes-infectiologues du Québec ; François Boucher, MD FRCPC, pédiatre-infectiologue, CHU de Québec, professeur agrégé de pédiatrie, Université Laval, directeur, Société canadienne de pédiatrie ; Louis Valiquette, MD, MSc, FRCPC, microbiologiste-infectiologue, Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, professeur titulaire, faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke

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