Le virage « vert » le mur ?

Nous sommes le vendredi 22 avril 2016. C’est le Jour de la Terre et les chefs d’État de la planète se succèdent pour signer l’accord de Paris sur les changements climatiques.

Si certains semblent sincèrement croire à la chose, pour la majorité, l’histoire nous démontrera rapidement que tout ça n’était que verbiage creux. Même quelques dictateurs africains, dont les présidents Denis Sassou Nguesso du Congo et Robert Mugabe du Zimbabwe, qui sont au pouvoir depuis la dernière glaciation, se sont sentis interpelés par le problème.

Que voulez-vous ? Quand on a résisté au changement dans son pays depuis si longtemps, on peut mettre son expérience au service de la stabilité du climat global.

Le jeudi précédant la grande messe, notre premier ministre a convié les caméras à une séance de réchauffement plus médiatique que climatique en enfilant ses gants de boxe sur un ring du mythique Gleason’s Gymsur. Mais pendant qu’il brûlait des calories, on apprenait qu’à moins d’un changement drastique et immédiat, le Canada ne pourrait même pas s’approcher des cibles de réduction des gaz à effet de serre qui ont été fixées par M. Harper pour qui, pourtant, environnement rimait souvent avec emmerdement.

On apprenait aussi par le Conference Board du Canada que pour ce qui est de la performance environnementale, sur 16 pays étudiés, le Canada se classe à l’avant-dernière place, juste avant les États-Unis et l’Australie.

Toutes ces mauvaises nouvelles n’ont pas empêché le premier ministre Trudeau de marteler à juste raison à un auditoire étudiant qu’on allait finir par se sortir des hydrocarbures, mais que ce n’était pas pour maintenant. Mais entre augmenter la production des sables bitumineux et abandonner leur exploitation demain matin, il y a une troisième voie qui s’appelle le statu quo.

Autrement dit, on peut simplement garder le niveau de production actuel qui est déjà largement suffisant pour ramener la prospérité en Alberta quand les prix du pétrole remonteront. Ensuite, il faudrait diminuer progressivement la cadence en gardant en tête le seul objectif salvateur pour la planète qu’est l’abandon de ce type de combustible.

À mon humble avis, c’est cette voie, et non celle du gros pipeline, que devrait peut-être emprunter le premier ministre Trudeau s’il veut garder un minimum de crédibilité quand il parle d’environnement sur la scène internationale.

MAINTENANT OU JAMAIS

Si on ne négocie pas le virage maintenant que les prix du pétrole sont bas, quand va-t-on le faire ? Est-il vraiment logique de penser que lorsque l’industrie aura dépensé des sommes astronomiques dans le projet Énergie Est, dont l’objectif premier est d’augmenter de 40 % la production des sables bitumineux, ce sera le temps de parler de ralentissement pendant qu’elle cherche à rentabiliser cet investissement ?

Décupler la production est la seule motivation première de ce projet et la rhétorique argumentaire de sécurité opposant les pipelines et les trains ne tient pas la route. Non seulement le pipeline comporte beaucoup plus de risques pour l’environnement, mais sa mise en marche n’empêchera pas les trains de continuer de charrier du pétrole.

Alors, si le premier ministre choisit clairement d’être pro-pipeline, il faut qu’il arrête de faire croire à la population qu’il a l’environnement à cœur. Quand on veut négocier un virage trop serré, M. Trudeau, on n’accélère pas en s’approchant de la courbe.

Comme on dit dans ma Gaspésie d’adoption, si tu ne veux pas ralentir avant de pogner « un croche », tu vas prendre le clos.

Maintenir le statu quo est au virage vert ce que poser le pied sur la pédale de frein est à l’automobiliste qui ne veut pas finir dans le fossé, car il n’y a aucune technologie assez verte à ce jour qui permet d’augmenter de 40 % la production des sables bitumineux tout en réduisant les gaz à effet de serre de façon concomitante.

Vous êtes, monsieur le premier ministre, un papa de trois enfants, et votre amour et votre attachement pour eux ne font aucun doute. Alors, avant de peser sur l’accélérateur, pensez à vos trois gamins sur la banquette arrière, parce que la planète n’attendra pas plus tard. Comme disait un grand-père qui n’est pas le mien : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents. Nous empruntons plutôt celle de nos petits-enfants. »

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