Chronique

À quoi sert le pardon ?

Le pardon est un concept complexe et mystérieux. À quoi sert-il vraiment ? Est-il vraiment nécessaire ? À qui profite-t-il réellement ? Au fautif ou au témoin ? Qu’offre-t-il à celui ou celle qui pardonne ? Une libération ? Une image de bienfaiteur ?

Toutes ces questions, vous allez vous les poser en regardant l’excellent documentaire d’Ilan Ziv, Œil pour œil. À travers l’histoire d’un homme que la haine de l’Autre a guidé vers l’enfer, le cinéaste israélien propose une profonde réflexion sur le difficile geste du pardon.

Dans les semaines qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001, diverses agressions contre des musulmans, des sikhs et d’autres groupes minoritaires ont eu lieu aux États-Unis. Celles commises au Texas par un certain Mark Stroman ont fait les manchettes.

Ultraraciste et prônant la suprématie blanche, cet homme enragé a pris une arme et s’est rendu dans des épiceries et des stations-service dans le but d’abattre ces « salauds » qui avaient oser s’attaquer à son pays au nom de l’islam. Stroman fera deux victimes. Un troisième homme qu’il a tenté de tuer, Rais Bhuiyan, un Américain né au Bangladesh, a survécu à ses blessures.

Le film trouve sa véritable essence à partir du moment où Bhuiyan tente d’empêcher la peine de mort à laquelle Stroman sera condamné. S’ensuit alors un véritable suspense qui nous tiendra en haleine jusqu’à la dernière minute.

Cette production canadienne, fort bien réalisée, est d’abord un film sur la vengeance. Mais il pose de graves questions sur la notion du pardon. Tout en remuant notre morale avec beaucoup de vigueur, le documentaire nous oblige à prendre position. Et moi, qu’aurais-je fait à la place de la victime ? se demande-t-on.

Quand vous verrez Mark Stroman à l’écran, vous comprendrez la véritable dualité à laquelle fait face le spectateur. Pas facile d’aimer et de comprendre un tel homme, pas facile de croire à sa « rédemption » non plus. Est-il sincère lorsqu’il dit au cinéaste venu l’interviewer en prison qu’il regrette ses gestes ? Les larmes qui emplissent ses yeux à plusieurs moments sont-elles vraies ou est-ce du théâtre ? Serait-il un nouvel homme, comme il le prétend, s’il pouvait échapper à la peine de mort ?

On s’interroge également sur la véritable nature de la croisade que mène Rais Bhuiyan. Fait-il cela pour lui, pour se libérer, pour se conformer aux principes de l’islam, ou fait-il cela pour l’image de la communauté musulmane ?

Douleur et pardon

Ce documentaire a trouvé dans ce sujet une extraordinaire façon de parler du rôle du pardon, une approche de plus en plus prônée par les psychothérapeutes. La personne qui a eu mal camoufle son mal en tentant de rationaliser, d’oublier. Le pardon fait prendre conscience de la douleur, cette douleur qu’il faut d’abord ressentir avant de passer à autre chose. C’est entre autres l’une des conclusions du film.

Ce film m’a rappelé un autre évènement qui place le pardon au cœur de mille et une interrogations. Kim Phúc, cette Vietnamienne devenue célèbre en raison d’une photo prise en 1972 où on la voit courir nue, alors qu’elle a 9 ans, en tentant de fuir son village bombardé, participait un jour à une cérémonie. C’était à Washington, en 1997. À un moment donné, elle a dit : « Si je pouvais retrouver l’homme qui a bombardé mon village, je lui dirais que nous ne pouvons pas changer le passé, mais que nous devons faire de notre mieux pour pardonner au présent. »

Ce que Kim Phúc ne savait pas, c’est que l’officier qui avait ordonné qu’on largue des bombes de napalm sur son village était présent à cet évènement. Devenu pasteur, John Plummer est tombé dans ses bras en pleurant. Elle a dit simplement : « Tout va bien, j’ai pardonné. » À qui sont allés le soulagement et la délivrance, croyez-vous ?

Le film Œil pour œil ne tente pas d’apporter de réponses aux méandres du pardon. Mais il pose toutes les bonnes questions. C’est à nous de faire notre travail de spectateur. Notre travail d’humain.

Œil pour œil prend l’affiche aujourd’hui.

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