ENTREVUE AVEC LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

« Notre priorité, c’est la paix »

Ottawa n’a pas favorisé la paix sous le gouvernement précédent, estime Stéphane Dion, qui veut maintenant faire du Canada un « architecte » en la matière. Quitte à dialoguer avec les régimes les plus brutaux ou à accepter le maintien de Bachar al-Assad en Syrie, par exemple. « Notre priorité, c’est la paix », a-t-il confié à La Presse dans sa première grande entrevue depuis sa nomination comme ministre des Affaires étrangères.

Pour une Syrie sans Assad

Stéphane Dion semble sur la même longueur d’onde que son homologue américain John Kerry au sujet du conflit qui déchire la Syrie depuis maintenant plus de cinq ans. Les deux hommes souhaitent le départ du président Bachar al-Assad, mais semblent ouverts à un compromis. « On préférait de beaucoup un avenir sans M. Assad, étant donné le sang qu’il a sur les mains, mais notre priorité, nous, le Canada, c’est la paix », a lancé le ministre canadien des Affaires étrangères, que La Presse a rencontré en marge du Forum Saint-Laurent sur la sécurité internationale, vendredi, à Québec. Stéphane Dion souhaite un cessez-le-feu pour permettre à la communauté internationale de concentrer ses efforts sur la lutte contre le groupe armé État islamique.

Palestine : le Canada à la table ?

Le Canada « doit » participer au processus de paix entre Israël et la Palestine que la France prévoit relancer, estime Stéphane Dion. Se rendra-t-il à la conférence sur le sujet qui réunira les représentants d’une vingtaine de pays à Paris le 30 mai ? « Je ne voudrais pas annoncer quelque chose avant que le gouvernement français annonce quoi que ce soit », a-t-il répondu, énigmatique. Le ministre Dion reproche au gouvernement de Stephen Harper de s’être « effacé » du dossier et d’avoir « tenu un discours qui était presque de promotion du statu quo ». Or, il estime que « le statu quo est nocif pour le peuple israélien comme pour le peuple palestinien ».

Raif Badawi : Ottawa fait le « maximum »

Même s’il n’en parle pas publiquement, le gouvernement canadien fait le « maximum » pour faire libérer le blogueur saoudien Raif Badawi, assure Stéphane Dion. « Le premier ministre et moi […], on doit résister à la tentation de vouloir vous montrer tout ce qu’on fait si le faire pourrait avoir des effets néfastes sur la personne qu’on essaie d’aider. » Le ministre, qui nie être « tendre » envers le régime saoudien, se défend par ailleurs d’avoir autorisé la vente de véhicules militaires canadiens à Riyad, un sujet qui lui a valu plusieurs questions lors de son allocution au Forum Saint-Laurent. « Pour faire avancer les droits humains en Arabie saoudite, il faut être présents, dit-il. Si vous résiliez un contrat, vous rompez les liens avec ce pays. »

Iran : réparer des pots cassés

« Il faut se rapprocher de l’Iran pour les mêmes raisons qu’il ne faut pas s’éloigner de l’Arabie saoudite », a affirmé Stéphane Dion. Or, le rapprochement se fait lentement. « On est en train de réparer des pots cassés », résultat de la fermeture de l’ambassade canadienne à Téhéran et de l’expulsion des diplomates iraniens en poste à Ottawa en 2012, a-t-il dit. « Certains liens » ont été créés et le Canada a levé les sanctions qu’il avait imposées à l’Iran, a souligné le ministre. Seules les « sanctions collectives » de la communauté internationale liées au nucléaire sont maintenues. « On pense qu’on serait plus efficaces si on avait une ambassade », a affirmé Stéphane Dion, qui a toutefois reconnu que ça prendrait « beaucoup de temps ».

Architecte de la paix

Si le nouveau gouvernement libéral s’affaire toujours à développer sa politique étrangère, il est néanmoins clair qu’elle s’articulera autour de la paix et de la justice, dont le Canada sera « un architecte résolu », clame Stéphane Dion. Au-delà des « conflits géopolitiques classiques » et de « la montée de la méfiance » entre les peuples qui retiendront l’attention d’Ottawa, c’est dans la prévention des conflits environnementaux que le ministre voudrait voir le Canada jouer un rôle prépondérant.

« Quatorze des trente-trois pays qui manquent le plus d’eau sont en Afrique du Nord et au Moyen-Orient », a lancé le ministre Dion, citant la Somalie et la Syrie, où le « stress hydrique » est venu exacerber un conflit. « Il nous faut développer une véritable diplomatie de l’eau », a-t-il dit, évoquant l’expertise canadienne dans la gestion des bassins versants.

« Nous, on peut absorber une situation aussi épouvantable que l’incendie de forêt en Alberta […], mais imaginons qu’on serait 10 fois plus pauvres, qu’on aurait 100 fois moins de ressources, qu’on aurait des États et des institutions plus fragiles, ça pourrait être un facteur d’éclatement. »

— Stéphane Dion, ministre canadien des Affaires étrangères

Casques bleus :  finis les simples soldats

Stéphane Dion ne nie pas l’intention du Canada de se réengager de façon plus substantielle au sein des opérations de paix des Nations unies, mais il n’envisage pas l’envoi de soldats d’infanterie. « Les missions de paix ont changé de nature », et beaucoup de pays en développement fournissent maintenant d’importants contingents de Casques bleus, a-t-il constaté. « Notre responsabilité, c’est que ces Casques bleus soient bien formés, qu’ils ne soient pas une menace, que les femmes et les filles soient mieux protégées », pense le ministre. Il croit que le Canada doit mettre de l’avant les « atouts » de ses forces armées, notamment en matière de formation militaire, un domaine où la compétence canadienne est reconnue et appréciée, affirme-t-il.

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