Alimentation

Santé Canada mijote un nouveau Guide alimentaire

Neuf ans après sa dernière parution, un nouveau Guide alimentaire canadien est enfin en marche.

« C’est un document très important », a précisé Hasan Hutchinson, directeur général du Bureau de la politique et de la promotion de la nutrition de Santé Canada. Il était présent au Congrès annuel de l’Ordre professionnel des diététistes du Québec, qui se tenait à Montréal vendredi et samedi.

Dans une présentation sibylline, le représentant de Santé Canada a plusieurs fois répété que la refonte du Guide n’avait pas été officiellement enclenchée, tout en présentant la première étape de ce processus. De 2013 à 2015, Santé Canada a tenu son premier « cycle d’examen des données probantes » afin de s’appuyer sur la science en alimentation pour écrire le nouveau Guide.

Au congrès québécois, certains professionnels de l’alimentation, qui espèrent pouvoir remplacer rapidement l’actuelle version, sont restés sur leur faim après la présentation de Santé Canada. « Ce guide, c’est une honte à ma profession, a lancé au micro la nutritionniste Hélène Laurendeau. C’est tellement déconnecté d’où nous sommes rendus. »

Bien que M. Hutchinson ait refusé de confirmer la date de publication du prochain guide, sa préparation est un secret de Polichinelle dans le milieu de la nutrition. L’équipe de Santé Canada a eu des rencontres avec des diététistes, des chercheurs et des organisations professionnelles. Si tout va rondement et si la ministre de la Santé finit par lancer officiellement le processus, les Canadiens peuvent s’attendre à avoir un nouveau guide dans quelques années, peut-être dès 2018.

Ce ne sera pas trop tôt, estime Yoni Freedhoff, professeur de médecine familiale à l’Université d’Ottawa.

« Leur recherche est complétée et prête à être publiée. Je ne comprends pas trop ce qu’on attend. Ce guide est important, il influence la santé des Canadiens. Qu’est-ce qui bloque ? »

— Yoni Freedhoff

LA PLACE DE L’INDUSTRIE PRIVÉE

Au mois de mars dernier, le rapport du comité sénatorial permanent des affaires sociales recommandait à Santé Canada de réviser le Guide, et vite, car il est dépassé. Il demandait aussi l’exclusion de représentants de l’industrie agroalimentaire dans le processus de renouvellement.

Impossible d’obtenir l’avis de la ministre de la Santé, Jane Philpott, sur ce sujet, puisqu’elle a décliné les demandes d’entrevue de La Presse à propos du nouveau Guide. On sait par contre qu’elle a pris le temps de rencontrer certains représentants de l’industrie alimentaire depuis son arrivée en poste, il y a un peu moins d’un an.

Parmi ces privilégiés, le groupe Produits alimentaires et de consommation du Canada a eu droit à deux rencontres avec la ministre cette année. Cette association représente des multinationales de l’alimentation présentes ici. Lors d’une rencontre, au mois d’avril, la présidente de ce lobby était accompagnée du président de Kellogg Canada, du président de McCain Canada, du président de Hershey Canada et du président de Coca-Cola Canada.

« Durant notre rencontre, la ministre Philpott a parlé de l’importance d’encourager les Canadiens à faire les meilleurs choix possible pour leur santé – et à travailler ensemble pour trouver des solutions », a indiqué Produits alimentaires et de consommation du Canada dans un communiqué diffusé à la suite de la rencontre.

Bon nombre de professionnels de la santé croient que, lorsque le Guide sera officiellement en révision, Santé Canada devrait se tenir loin de l’industrie alimentaire.

« On ne peut pas vraiment savoir quel impact a l’industrie alimentaire sur le choix des aliments et le nombre de portions [conseillés dans le Guide] », estime Chantal Blais, nutritionniste responsable du service de nutrition clinique de l’Institut de recherches cliniques de Montréal.

« L’idéal serait que Santé Canada consulte uniquement des experts scientifiques complètement indépendants. »

— Chantal Blais 

Le professeur de l’Université de Waterloo David Hammond s’intéresse de près au Guide. « L’industrie alimentaire est très diversifiée, dit-il. Cela va des cultivateurs de fruits à McDonald’s. Il n’est pas question de les démoniser, c’est simplement une question de conflits d’intérêts. C’est normal de voir les producteurs de lait faire du lobby, mais quelle est l’utilité de les consulter ? C’est certain qu’ils vont vous dire de boire du lait. »

« Je travaille beaucoup sur le tabac, poursuit ce spécialiste de la santé publique. Il serait impensable que le gouvernement consulte les compagnies de tabac lorsqu’il écrit ses politiques de santé. On devrait avoir les mêmes principes lorsqu’il est question d’alimentation. »

Hasan Hutchinson a indiqué, lors de sa présentation au Congrès, que l’influence de l’industrie sur le Guide alimentaire canadien était « une légende urbaine ». Il n’a pu donner de précisions sur ce sujet, Santé Canada lui ayant interdit d’accorder une entrevue à La Presse.

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

L’exemple brésilien

Parmi les professionnels de l’alimentation qui ont déjà été consultés par Santé Canada se trouve le chercheur en nutrition Jean-Claude Moubarac, qui a participé à la rédaction du dernier guide alimentaire brésilien, devenu un modèle en la matière. Ce guide conseille de cuisiner davantage, plutôt que de calculer les portions de ceci ou de cela. En faisant cela, les Brésiliens s’éloignent inévitablement des aliments ultra-transformés, ceux qui sont vendus en boîtes et qui affichent souvent, néanmoins, de beaux profils nutritionnels sur leurs emballages. « Les gens de Santé Canada se sont montrés très ouverts », raconte Jean-Claude Moubarac, qui fait maintenant partie de l’équipe de l’École de nutrition de l’Université de Montréal. « Le prochain Guide canadien doit aussi avoir une vision plus large de l’alimentation, tranche-t-il. [...] Si Santé Canada ne dit pas que cuisiner, c’est important, on ne pourra jamais ramener la cuisine dans les écoles. Le Guide alimentaire est un instrument politique. »

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