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Opinion

Abandonnons la distinction entre cannabis « médical » et « récréatif »

Les termes « cannabis médical » et « cannabis récréatif » sont souvent utilisés pour distinguer le produit prescrit à des fins thérapeutiques – provenant des producteurs possédant une licence fédérale de Santé Canada – du produit qui sera en vente libre à partir du 17 octobre prochain. Or, il s’agit plutôt de deux modes d’approvisionnement des produits du cannabis.

Cette terminologie erronée ne prend pas en considération le fait que les mêmes produits se retrouveront dans les deux marchés. Le joint traditionnel deviendra une forme de consommation marginale tellement l’offre de produits proposés par l’industrie sera variée. De fait, beaucoup de produits qui seront offerts ne se fumeront pas : vaporisateurs d’huile, crèmes topiques, produits comestibles, etc. 

Cette terminologie masque également le fait qu’il y a bien des raisons autres que récréatives pour consommer du cannabis, que ce soit pour retrouver l’appétit, gérer le stress, diminuer l’insomnie ou calmer la douleur. Les gens pourront ainsi s’automédicamenter par des produits en vente libre sans passer par le marché du cannabis prescrit, ce qui multipliera les motifs d’achat, dans toutes les catégories d’âge, des plus jeunes aux plus âgés. D’ailleurs, aux États-Unis, l’augmentation de la consommation de cannabis dans les États qui ont légalisé cette drogue se retrouve chez les 35 ans et plus.

L’effet du cumul des licences

Si les gouvernements provinciaux et municipaux, tout comme les milieux de travail, mettent trop de restrictions aux possibilités de consommation du cannabis, il sera tentant pour les consommateurs d’aller s’approvisionner sur le marché du cannabis prescrit à des fins thérapeutiques, où il n’y a pas d’âge minimum pour s’en procurer. Ce marché est plus intéressant que le marché illégal, en fait, pour ceux qui en ont les moyens financiers – qualité et diversité des produits, livraisons à domicile, conseils et avis personnalisés, médecins accessibles rapidement sur internet. 

Ils savent y faire, puisque leur clientèle augmente de 10 000 nouveaux patients par mois, dépassant en mai 2018 les 300 000 au Canada, ce qui signifie plus de 125 000 livraisons à domicile/mois. Ces patients sont sur le marché du travail, dans les écoles, dans les foyers pour personnes âgées, les milieux policiers, etc. Il faudra satisfaire cette nouvelle clientèle de consommateurs, comme toute autre personne qui doit prendre une médication.

Dans les deux marchés, les critères de production, d’emballage et d’étiquetage des produits du cannabis sont les mêmes ; cela donne une longueur d’avance aux grands producteurs actuels du marché thérapeutique sur tous les autres acteurs.

Ainsi, il leur sera possible d’ajouter rapidement des licences fédérales pour la culture, la transformation et la vente de cannabis en vente libre à leur marché actuel. 

Ce cumul de licences fera également en sorte que ces grands producteurs éviteront la saturation du marché du cannabis au Canada, envoyant leurs surplus de cannabis dans le marché thérapeutique et autres marchés ouverts à l’exportation (produits du cannabis à des fins médicales pour les animaux, cosmétiques, « produits naturels », etc.). En effet, les acteurs les plus puissants de l’industrie diversifieront leurs licences de manière à utiliser au maximum toutes les parties de la plante.

Le modèle de l’industrie pharmaceutique

Trop souvent, l’industrie du cannabis, qui prend forme actuellement au Canada, est comparée à celle de l’alcool. C’est faire fausse route. Ses ramifications dans le financement de la recherche, ses liens avec les laboratoires, le milieu médical et les gouvernements, ainsi que ses capacités de construction sociale de la demande (à l’aide de sites Web, d’applications à télécharger sur les téléphones cellulaires, de présences sur les réseaux sociaux, etc.), les rapprochent beaucoup plus du modèle économique de l’industrie pharmaceutique. 

Ne pas prendre en compte le développement du marché du cannabis prescrit à des fins thérapeutiques et sa percée dans le marché en vente libre empêche de voir leur grande présence pour informer la population sur les produits, particulièrement les jeunes, d’appréhender les profils de consommation qui vont se développer et de réfléchir correctement aux réglementations à mettre en place. Cela ralentit également la diversification des stratégies d’information et de prévention de manière à rejoindre l’ensemble des clientèles en tenant compte de la diversité des motifs de consommation, mais également de l’information reçue par l’industrie.

Premier pas pour corriger le tir : abandonner les termes de « cannabis médical » et « cannabis récréatif ».

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