OPINION FÉLIX-ANTOINE JOLI-COEUR

INFRASTRUCTURES montréalaises
Mettre de l’ordre dans la maison

Excavez une rue pour y refaire à neuf les infrastructures souterraines, élargissez les trottoirs en saillie où vous aménagerez des jardinets qui, en plus d’embellir le quartier, le sécurisent en ralentissant la circulation, puis refaites l’asphalte.

Vous avez là un projet de rénovation urbaine réussi qui améliore pour de bon la qualité de vie des citoyens. Oui, mais non… parce que ces interventions n’ont pas visé une artère, mais trois rues parallèles : le sous-sol de l’avenue du Parc a été rénové, puis la chaussée de la rue Jeanne-Mance et, finalement, les trottoirs de l’avenue de l’Esplanade.

Depuis le début de la période d’investissement massif dans nos infrastructures urbaines, sous Gérald Tremblay et son initiative de l’eau, on entend les maires successifs et leurs administrations nous répéter que la situation actuelle est le résultat de décennies de sous-investissement en entretien des actifs.

Si cela explique le niveau record d’investissement en infrastructures, l’opération de rattrapage ne justifie pas qu’on travaille aujourd’hui en jambon.

En d’autres termes, ce n’est pas parce que les tuyaux et les égouts n’ont pas été rénovés qu’il est par exemple normal d’asphalter la rue Hutchison (2017) pour ensuite l’éventrer (2018) afin de consolider les puisards qui s’effondraient, laissant comme résultat final une rue rapiécée.

Absence de plan

Cette absence de plan global est d’autant plus curieuse que s’il y a un ordre de gouvernement qui devrait avoir les idées claires, c’est bien la Ville de Montréal. La Ville s’est effectivement dotée d’une panoplie de politiques, de chartes et de désignations qui jouent le rôle de boussoles : ville UNESCO de design, métropole culturelle, politique de l’arbre, politique du patrimoine, plan de transports et toute une quantité de fascicules sur les quartiers verts, la géométrie, les aménagements cyclables, l’éclairage, etc.

Il y a même une « charte du piéton » doublée d’une « politique sur les aménagements piétons universellement accessibles », ce qui est difficile à croire lorsqu’on marche dans les quartiers centraux, des centaines de trottoirs étant barrés sans passage de contournement, et cela, même lorsque les deux trottoirs d’une même rue sont fermés.

Corriger la situation n’est pas une mince affaire et demandera un effort soutenu. Un passage obligé sera de débrancher la pompe à gaz hilarant qui doit nécessairement se trouver cachée quelque part dans les officines des responsables qui répètent que tout est au mieux.

Une pleine reconnaissance de l’état des choses, soit que la rénovation de la métropole se fait actuellement dans le désordre, est un passage obligé pour recevoir l’appui du public pour une opération majeure de redressement. 

Étant donné l’extrême complexité du dossier des infrastructures, qui va de l’absence de gain de productivité du secteur de la construction aux limites de toutes sortes qui restreignent l’attribution intelligente des contrats, l’organisation du travail et la surveillance des chantiers, mettre de l’ordre dans la maison demandera des ressources majeures et l’appui du gouvernement du Québec. Ne sous-estimons pas l’effort.

Le milieu de la construction doit aussi fournir sa part. Il y a quatre ans, la société civile de Montréal avait été réunie à l’initiative de L. Jacques Ménard, de la BMO, et de Michel Leblanc, de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, pour se doter d’un plan de mobilisation autour de la relance économique du Grand Montréal. On pourra débattre de l’apport de tel ou tel projet qui avait été présenté lors de l’événement « Je vois mtl » : force est cependant de constater qu’une telle mobilisation, dans le contexte québécois, est un passage obligé pour faire avancer les choses. Aux leaders du secteur de prendre l’initiative.

Finalement, il faut rendre aussi concret que possible le résultat final que nous recherchons. Les grands projets de société sont longs à aboutir : il faut donner la saveur du fruit à venir dès aujourd’hui.

Pour ce faire, on pourrait s’inspirer du BIM, un outil en vogue dans le milieu de la construction qui permet, en substance, de modéliser les plans, devis et interventions de l’ensemble des professionnels impliqués dans un projet – architectes, ingénieurs, constructeurs, etc. – sous mode collaboratif, de façon à dessiner un plan numérique précis de ce à quoi rassemblera l’ouvrage une fois achevé.

Une vaste carte de Montréal pourrait être mise en ligne. Au premier niveau, on y verrait l’état des lieux, rue par rue, au sous-sol comme en surface. On y déposerait ensuite le plan directeur de rénovation et les actions planifiées selon les différentes politiques en vigueur, de façon à ce qu’on puisse comprendre l’aspiration portée pour chaque coin de la ville. 

Les citoyens pourraient enrichir ce plan de façon interactive en proposant leurs propres idées. En somme, non seulement ceux qui doivent ouvrir les rues y penseraient à deux fois avant de les refermer sans demander que les travaux prévus soient faits dès maintenant, mais en plus et surtout, l’avenir de Montréal et de ses quartiers se dessinerait à livre ouvert.

Cela n’enlèvera pas les éléments irritants qui découlent du fait d’être pris dans un bouchon de circulation ou d’entendre le marteau-piqueur à longueur de journée, mais au moins, il y aurait une vision globale et un plan. Les sacrifices d’aujourd’hui, me semble-t-il, seraient mieux compris et acceptés.

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