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Présents, mais pas trop

Un venteux lundi de mai, un peu passé 18 h, quelques parents observent, de loin, l’entraînement de jeunes joueurs de la préacadémie de l’Impact. Le groupe d’adultes est retranché derrière un muret de béton. Impossible pour eux de parler aux enfants.

« Notre fils est là-bas, au fond. C’est celui qui a beaucoup de cheveux. Vous voyez ? » Au bout de longues secondes à balayer le groupe du regard, on distingue avec peine Noah, 9 ans, membre de l’équipe U10 de la préacadémie. Le garçon s’amuse seul avec son entraîneur et ses coéquipiers. 

Et c’est très bien ainsi, en conviennent ses parents, Félicia Amilcar et Stephan Leduc. « C’est plus sain comme ça », constate M. Leduc. 

Avec humour et franchise, le couple fait remarquer qu’il est parfois difficile pour les parents, et pour eux aussi, de se détacher des performances sportives de leur jeune athlète. Surtout s’il fait preuve d’un grand talent. Noah joue au hockey élite toute l’année, en plus d’être l’un des rares joueurs sélectionnés à la préacadémie de l’Impact. Le sport, toute la famille en mange. 

« Oh, on sait, pas à pas, ce qu’il devrait faire, et parfois, on voudrait le faire à sa place !, lance Félicia en riant. En étant tenus un peu à l’écart, le détachement s’impose. Le réflexe est encore là, de lui dire ce qu’il devrait faire… mais on apprend à se contrôler ! »

C’est en partie l’objectif que poursuit l’Impact en demandant aux parents de laisser les jeunes joueurs, dès 8 ans, aux bons soins des entraîneurs. 

« Il faut faire comprendre aux parents que leur enfant ne réussira pas sans eux, mais il faut aussi leur faire comprendre que les parents, c’est une source d’échec pour les enfants. »

— Philippe Eullaffroy, directeur de l’académie et de la préacadémie de l’Impact, un programme de développement des joueurs de soccer de 8 à 23 ans

« Imaginez que l’entraîneur veut pratiquer la passe courte et qu’il y a des parents sur le bord du terrain, poursuit-il. Un jeune essaie de passer le ballon comme son entraîneur a dit, mais il rate son coup. Le parent va dire alors "passe plus loin !". Mais ce n’était pas ça, l’exercice ! Le petit va alors se demander qui écouter. Il faut éviter les distractions si on veut que le jeune progresse et les parents, à l’entraînement, c’est une distraction. »

AUTONOMIE… ET SUCCÈS

À l’ombre du Stade olympique, Joséfine Lindfelt observe elle aussi, de loin, ses jumeaux, Joaquim et Rafaël, lancer un ballon dans les airs, et le rattraper. L’entraînement prendra fin dans quelques minutes et bien qu’ils n’aient que 8 ans, ils seront responsables de rassembler eux-mêmes tous leurs effets personnels.

« Ils ont tellement plus d’autonomie ! Ils doivent penser à leurs affaires. Ils n’ont pas le choix : je ne suis pas là pour ramasser à leur place sur le terrain ! »

Cet apprentissage pourrait les mener loin, estime l’Impact. « Par expérience, on sait que ceux qui auront le plus de chances de réussir seront ceux qui auront appris à être autonomes plus jeunes, lance M. Eullaffroy dès le départ. Et pourquoi ? Parce que ce sont des jeunes qui prennent des initiatives. »

Une attitude essentielle, soutient-il, pour que le jeune progresse. 

« Ce sont des jeunes qui questionnent les autres et qui se questionnent aussi. Ils comprennent plus tôt pourquoi ça va bien, et pourquoi ça ne va pas bien. »

— Philippe Eullaffroy

Mais pour obtenir un tel détachement des parents, le directeur et ses entraîneurs doivent énoncer clairement leurs objectifs dès le départ et assurer une bonne communication toute la saison. Depuis le début du programme, l’académie n’a perdu qu’un joueur dont les parents voulaient à tout prix assister aux entraînements.

Plus sensibles aux bénéfices du lâcher-prise, Félicia et Stephan estiment que leur vision du hockey aussi a changé, même si les parents y sont très, très présents. 

Il suffit d’apprendre à faire confiance aux entraîneurs, soutient Stephan. « Moi, un des moments décisifs dans ma vision du sport, ç’a été une conversation avec un de ses entraîneurs de hockey. Je trouvais que Noah ne travaillait pas et je trouvais parfois ça dur de le regarder, parce que je savais qu’il était capable de faire mieux. J’en ai parlé avec son entraîneur. Je voulais savoir quoi faire pour l’aider. Et l’entraîneur m’a répondu que la meilleure chose que je pouvais faire pour l’aider, c’était de le laisser tranquille. Il m’a dit de ne pas le stresser, de ne pas casser son fun. Deux semaines plus tard, il a recommencé à bien jouer ! »

PRÉSENCE CRUCIALE

Donner plus d’autonomie aux enfants, bien sûr, mais pas aveuglément. Et surtout, jamais sans assurer une présence constante, assure le père de Noah. « On est vraiment impliqués quand même ! On est là pour le soutenir, mais sans trop en faire. Il va bientôt avoir à faire un choix entre le hockey et le soccer et on va lui laisser ce choix. On est des éléments de soutien, non ? »

Séverine Tamborero, directrice du développement des 10 ans et moins et des clubs de haute performance chez Tennis Canada, et coauteure du livre La performance… à quel prix ?, soutient que cette présence est essentielle : « Le parent fait partie intégrante du développement du jeune et nous, comme entraîneurs, on ne peut plus se permettre de dire " je suis le coach, je suis l’entité suprême et vous devez avoir confiance".» Philippe Eullaffroy croit que les parents devraient avoir deux préoccupations : « L’enfant est-il heureux ? Est-ce qu’il progresse ? S’il est heureux et qu’il progresse, il est dans un bon environnement. Tout va bien aller… »

Un modèle exportable ?

Au total, le programme de développement de l’Impact n’accepte, bon an, mal an, que 200 joueurs. Comment exporter un modèle où la communication et la confiance règnent dans une plus grande association, gérée par des parents bénévoles ? Philippe Eullaffroy en convient : la mission est difficile. Il conseille aux entraîneurs de communiquer très clairement leurs objectifs dès le début de la saison et d’y revenir de temps à autre. « Par exemple, comme entraîneur, il faut se demander quelles sont les valeurs que l’on veut transmettre à des enfants. Si c’est de gagner le tournoi de Granby au mois d’août, eh bien, ça ne marchera pas. Progression : 0. Plaisir : 0. Bilan à la fin de l’année : 0. Mais peut-être avec une médaille d’or autour du cou. Tu as des entraîneurs comme ça, et ils font fausse route. » Il ajoute que l'important est que les parents et les entraîneurs développent une relation de confiance. 

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