Persévérance scolaire  Témoignage de Sophie Desmarais

« On me traitait d’idiote »

Sophie Desmarais, fille cadette de l’homme d’affaires Paul Desmarais, mort en 2013, est la marraine d’honneur de la Fondation Jasmin Roy, qui lutte conte l’intimidation. À 54 ans, elle a décidé de raconter l’intimidation dont elle a été victime pendant son adolescence dans un collège privé, en Suisse.

De 14 à 18 ans, Sophie Desmarais a été humiliée, rejetée et est devenue anorexique. Elle est restée marquée par cette période douloureuse de sa vie. Dans le cadre de la Semaine de la persévérance scolaire (15 au 19 février), elle a souhaité se confier pour tenter de faire bouger les choses.

Elle explique d’emblée que l’intimidation est un véritable fléau et n’a pas de statut social. « L’intimidation n’a pas de frontières, pas de passeport ni de visa. Ce n’est pas parce que tu viens d’un milieu privilégié que tu es épargnée, dit-elle. À 14 ans, les portes de ce collège se sont ouvertes et l’enfer a commencé. »

Elle se souvient très bien de cette école en Suisse, située au cœur des Alpes, dans un cadre majestueux. Les grandes familles aisées américaines, européennes ou suisses y inscrivaient leurs enfants pour qu’ils puissent recevoir la meilleure éducation. 

« C’était un autre monde pour moi, ces enfants avaient été trop gâtés, ils avaient tout. Moi, mes parents m’avaient inculqué le respect. Je n’appartenais pas à leur clan, mais j’aurais tout fait pour en faire partie. Je ne comprends pas la naissance de cette intimidation. Peut-être étais-je trop gentille, j’acceptais tout le monde, mais comme il y avait des clans, il fallait choisir, raconte Mme Desmarais.

« On se moquait de moi tout le temps, on m’insultait sur tout, sur mon physique, mes cheveux frisés, on me traitait d’idiote. » — Sophie Desmarais

HUMILIÉE

Elle gardait toute sa souffrance pour elle et n’a jamais parlé de quoi que ce soit à ses parents, même le jour où, humiliée, les élèves l’avaient traitée de voleuse et la gendarmerie suisse avait fouillé intégralement sa chambre. Tout ça s’était avéré être une mauvaise plaisanterie. Elle s’était retrouvée dans le bureau du directeur et lui avait demandé s’il allait prévenir ses parents. « On ne va pas déranger vos parents pour cela, tout ça va se calmer », lui avait répondu la direction.

 « J’avais peur et je ne voulais pas décevoir mes parents. J’avais tellement honte, honte de ce qui m’arrivait, c’était tellement profond et c’était presque dur à croire. Comment pouvais-je vivre un enfer dans un cadre aussi fantastique ? Dans ce collège privé avec des gens qui doivent être bien élevés ? On ne m’aurait jamais cru si j’avais raconté l’enfer que je vivais. Et même à l’école, on n’en parlait pas. La direction n’en parlait pas. J’étais la plus vulnérable de l’école ! Je n’ai pas passé une journée avec un sourire. Pas une seule journée entre mes 14 et 18 ans. »

Elle a gardé des séquelles de l’intimidation. « Je suis devenue anorexique », dit-elle. Elle a vécu de grandes périodes d’instabilité, que ce soit dans sa vie amoureuse ou affective, ou encore avec ses deux enfants (qui ont 21 et 29 ans). Elle manquait de confiance en elle. « Avant de se retrouver soi-même, ça prend du temps », explique-t-elle.

À 54 ans, pour la première fois, la semaine dernière, elle a dévoilé son histoire à sa mère. « Je lui ai montré la capsule vidéo où je parle d’intimidation et de mon anorexie. Au début, je pense qu’elle n’a pas bien compris. En tant que parent, on se sent mal de voir qu’un de ses enfants a subi un tel choc. Elle a voulu en savoir plus, je lui ai tout raconté et on avait les larmes aux yeux. » 

«  À 87 ans, elle s’est exclamée avec toute sa force : “Si j’avais su ce que ces gens-là t’ont fait subir, je serais allée les voir et j’aurais réglé le problème tout de suite ! Jamais je n’aurais laissé ma fille se faire traiter de la sorte !” » Sa mère a été surprise que l’école ne la mette pas au courant.

APPEL À LA TOLÉRANCE 

Les établissements scolaires ont une grande responsabilité à jouer dans la lutte contre l’intimidation, croit Mme Desmarais. « Il est de la responsabilité de l’école de s’assurer que les enfants soient en sécurité entre ses murs, estime-t-elle. L’intimidation est de plus en plus violente, il n’y a plus de tolérance dans les écoles, et c’est pour cela que je m’implique auprès de la Fondation Jasmin-Roy. Je souhaite enrayer ce fléau qu’est l’intimidation. Depuis deux ans, il y a eu de vrais progrès au Québec, l’intimidation a chuté de 50 % grâce à la Fondation et parce qu’on en parle ouvertement. »

« Il faudrait commencer par devenir plus tolérants. Ce serait bien si on pouvait ajouter des cours obligatoires de civisme dans les écoles ou commencer la classe une fois par semaine en discutant des problèmes d’intimidation. Il faut parler des différences et apprendre à vivre en société de manière civique », conclut-elle.

Elle évoque avec fierté que la Fondation est en voie d’être agréée par les Nations unies. Elle contribue également à ce que la Fondation soit implantée en Corse, puis souhaiterait faire de même pour la France.

Chanter contre l’intimidation

Un concert-bénéfice est organisé le mardi 16 février pour la Fondation Jasmin-Roy au Théâtre Corona. Il reste encore quelques billets. Le musicien corse Jean-Pierre Marcellesi (qui collabore actuellement avec Luc Plamondon à l’écriture d’une chanson sur l’intimidation) sera notamment de la partie, avec Jean-Pierre Ferland et Sophie Desmarais, qui chantera lors de ce concert.

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