TÉLÉVISION

Les jeunes quittent la télé en direct

« Qui a regardé la télé hier ? Personne. Qui était sur YouTube ? Les trois quarts d’entre eux. Pour vous, Netflix, c’est de la télé ? Bien sûr ! Quelle est votre part de consommation télé non linéaire et à la demande ? Bien plus de 50 %. Qu’est-ce que la télé pour vous ? Un écran comme un autre. »

Les réponses diffusées sur un blogue de Meta-Média (France Télévisions) livrées par une trentaine d’étudiants invités au MIPTV de Cannes, la semaine dernière, témoignent des habitudes de consommation du jeune public. L’échantillon est mince, mais il est en ligne avec les résultats d’une étude d’Eurodata TV Worldwide dévoilée au même moment confirmant que l’écoute de la télé en direct continue de s’effriter.

De 2014 à 2015, celle-ci a diminué de trois minutes par jour chez les adultes, passant de 3 heures 17 minutes à 3 heures 14 minutes. Chez les jeunes, on retranche 10 minutes aux 2 heures et 14 minutes regardées en 2014.

Inquiétant pour les diffuseurs ? « Il y a un défi de s’adapter aux changements qui vont à vive allure, répond Dominique Chaloult, directrice générale de la télévision de Radio-Canada. Tous cherchent des solutions. Mais la télé traditionnelle est encore beaucoup regardée. Ce n’est pas dans deux ou trois ans qu’il n’y en aura plus ! »

En quatre ans, l’écoute de la télé en direct est passée de 28,5 heures à 27,4 heures par semaine, selon des chiffres du CRTC inscrits dans le Rapport sur les tendances 2016 du Fonds des médias du Canada (FMC). « Mais l’écoute en différé est toutefois en hausse de 7 %, note Marleen Beaulieu, présidente et productrice exécutive d’Attraction Images. On regarde encore la télé, mais différemment. »

Néanmoins, les diffuseurs redoublent d’efforts pour joindre les auditoires où ils se trouvent. Pour séduire les 18-34 ans, Télé-Québec a lancé des sketches de l’émission humoristique Like-moi ! sur les réseaux sociaux avant la diffusion officielle à la télé, l’hiver dernier. « On a augmenté de 40 % notre auditoire des 18-34 ans à la télé ! », jure Denis Dubois, directeur général de Télé-Québec.

Diffusées au préalable sur Tou.tv avant ICI Radio-Canada, Série noire 2 et Le nouveau show ont attiré un autre type de public, selon Dominique Chaloult. « C’est positif, car ça permet de créer un buzz sur les produits, dit-elle. C’est une autre forme de marketing. »

Du côté de Groupe V Média, l’émission Lip Sync Battle a connu son heure de gloire à MusiquePlus, même si sa diffusion était aussi prévue à V plus tard. « Le nombre d’abonnés à MusiquePlus a crû de 10 000, alors qu’on en perdait depuis quelques années », relate Luc Doyon, vice-président exécutif et chef de l’exploitation de Groupe V Média.

La stratégie des diffuseurs : le multiplateforme. Chaque fois qu’Attraction soumet une nouvelle idée de contenu télé, elle y attache du contenu web, vidéo et écrit. 

« On doit se servir des autres écrans pour amener des gens sur nos propriétés. Si le produit est populaire, les gens vont le regarder. Et on obtient autant sinon plus de consommation de nos produits. »

— Luc Doyon, vice-président exécutif et chef de l’exploitation de Groupe V Média

« Mais notre stratégie Like-moi ! en était une très risquée pour nous, dit Denis Dubois. Car le défi est de mesurer l’écoute. »

MESURE NON ADÉQUATE

Voilà le nerf de la guerre pour les diffuseurs et producteurs : la mesure des auditoires. Or, en ce moment, il n’y a pas moyen de mesurer officiellement tous les types d’écoute et ainsi avoir des revenus publicitaires et du financement en conséquence.

Les cotes d’écoute d’une émission regardée en différé ne sont effectivement pas comptabilisées quand le visionnement, sur Illico par exemple, a lieu plus d’une semaine après sa diffusion initiale à la télé. « La migration n’est pas inquiétante, juge Jean Mongeau, directeur général et chef des revenus de Radio-Canada. Mais ça nous prend une mesure intégrale et l’ensemble de la mesure non linéaire est toujours manquante. Sur Tou.tv, par exemple, on mesure le trafic, mais on a peu d’infos sur qui sont les consommateurs. Du trafic nous glisse alors entre les doigts, donc de l’argent publicitaire. »

Et en ce qui a trait au financement, celui accordé par le FMC à la production d’œuvres numériques (diffusées sur les Tou.tv, Télé-Québec.tv…) a plus que doublé en six ans, de 33 millions à 70 millions de dollars. Mais pour y avoir droit, ceux-ci doivent être liés à un contenu qui sera diffusé à la télé. « Il y a un trou qu’on espère combler à court terme, soit la websérie seule, dit Stéphane Cardin, vice-président affaires publiques du FMC. On travaille avec le ministère du Patrimoine pour faire changer les choses. »

Pour l’instant, le Fonds indépendant de production se charge des produits non liés à d’autres contenus. 

« Il y a une réticence à ouvrir les vannes des fonds en général à ce qui n’est pas lié à la télé. »

— Claire Dion, directrice générale adjointe du Fonds indépendant de production

Bon an, mal an, le Fonds indépendant de production, qui accorde environ 1,5 million de dollars en financement, reçoit 180 demandes. De celles-ci, 10 % seront acceptées. « Cette année, la tendance est aux blogueurs, aux YouTubers », dévoile Claire Dion.

Tiens, tiens… Justement ce qui risque de plaire à un jeune public. « Il faut se poser la question : comment le joindre, répète Denis Dubois. On fait de la télé pour les jeunes de la même façon depuis des années. »

« Tous les réseaux font face au même défi : comment rajeunir les grilles et faire des propositions rassembleuses, note Luc Doyon. Pour y arriver, il faut désormais offrir du contenu que les gens veulent voir à l’heure et au jour désirés. »

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