Opinion : Salaire minimum

On oublie les programmes de soutien du revenu

Le débat sur l’augmentation du salaire minimum ne cesse de faire la une depuis plus d’un an. Une fois de plus, le débat public est polarisé entre deux options apparemment irréconciliables, où chaque partie tend à dévaloriser les arguments de l’adversaire. Les deux sont pourtant valides.

De fait, il est possible de concilier l’objectif d’assurer un revenu décent à tous les travailleurs et celui d’éviter qu’une hausse du salaire minimum ait des conséquences économiques néfastes en optant pour une bonification des programmes de soutien du revenu de travail.

Je propose de combiner une augmentation modérée du salaire minimum avec une bonification des programmes de soutien du revenu de travail existants.

On connaît bien l’argument : au salaire minimum de 10,75 $ l’heure, une personne qui travaille à temps plein n’atteint pas le seuil de faible revenu. Il faudrait un salaire minimum d’environ 12,50 $ l’heure pour s’assurer que tous les travailleurs à temps plein atteignent ce seuil. Mais même un tel salaire ne permet pas nécessairement de subvenir aux besoins d’un ménage, et certains avancent qu’un « salaire viable » de 15 $ l’heure est nécessaire. Dans tous les cas, le phénomène des travailleurs pauvres est inacceptable et on doit trouver une façon de hausser le revenu des travailleurs pour qu’il atteigne de 12,50 $ à 15 $ l’heure.

L’augmentation du salaire minimum est certainement le moyen le plus intuitif pour y parvenir, mais pas nécessairement le meilleur. En effet, on ne peut ignorer son externalité économique. Les défenseurs d’une hausse du salaire minimum minimisent avec raison ses effets sur l’emploi, mais il faut admettre que si la hausse du salaire minimum n’a pas d’effet sur l’emploi, elle devra être payée soit par les employeurs, qui diminueront leurs profits, soit par les consommateurs, qui paieront plus cher.

Et dans le cas des produits de base, une hausse des prix touche davantage les personnes à faible revenu (elles y consacrent une plus grande part de leur revenu), surtout celles qui ne travaillent pas et ne pourraient donc bénéficier d’une hausse du salaire minimum.

De simples transferts fiscaux

Au contraire, les programmes de soutien du revenu de travail n’ont d'effet ni sur les prix ni sur les profits et peuvent même avoir des effets positifs sur l’incitation au travail. Ils constituent simplement des transferts fiscaux offerts par l’État aux travailleurs qui gagnent un faible revenu. Le montant du soutien du revenu augmente progressivement jusqu’à ce que le travailleur atteigne un seuil de salaire préétabli, et diminue par la suite, à mesure qu’il gagne davantage.

En 2007, le gouvernement Harper a introduit ce type de programme avec la Prestation fiscale pour le revenu de travail (PFRT). Quelques provinces, dont le Québec, offrent un complément au programme fédéral. Toutefois, cette prestation manque de générosité et n’atteint pas suffisamment de travailleurs. Au Québec, la prestation maximale combinée avec celle du fédéral atteint à peine 1723 $. À partir d’un salaire d’environ 10 000 $, la somme diminue progressivement et devient nulle lorsque le salaire atteint le seuil de 11 132 $ (au fédéral) et de 17 721 $ (au Québec). Ainsi, non seulement les sommes ne sont pas particulièrement élevées, mais un travailleur à temps plein payé au salaire minimum n’y a tout simplement pas droit.

Ces programmes pourraient devenir des compléments au salaire minimum si on bonifiait les sommes offertes et, surtout, si on s’assurait d’y inclure tous les travailleurs à faible revenu en augmentant les seuils maximaux de revenus. Dans ce cas, en doublant la prime au travail, le salaire minimum « effectif » grimperait de 1,77 $ l’heure, ce qui permettrait de hisser les travailleurs au salaire minimum au-dessus du seuil de la pauvreté.

On critique les programmes de soutien du revenu de travail parce que c’est l’État, donc les contribuables, qui assume les coûts de ces programmes, alors qu’une hausse du salaire minimum fait porter le fardeau aux employeurs. Pourquoi serait-il déraisonnable que l’État bonifie les revenus en accordant une prime au travail, alors que les gouvernements offrent une multitude d’autres programmes sociaux qui servent à augmenter les revenus des particuliers ?

Les programmes de soutien du revenu ne sont qu’une politique sociale particulièrement efficace qui permet de diminuer la pauvreté et les inégalités.

Certes, comme toute politique sociale, un soutien du revenu peut s’avérer onéreux. Pour diminuer les coûts assumés par les contribuables et répartir le fardeau entre les employeurs et les consommateurs, combiner une hausse des programmes de soutien du revenu de travail avec une hausse modérée du salaire minimum semble l’avenue la plus réaliste.

Cette politique serait plus consensuelle qu’une hausse élevée du salaire minimum. En effet, les syndicats, les groupes anti-pauvreté et les employeurs peuvent s’entendre sur les bienfaits des programmes de soutien du revenu de travail, mais ne pourront trouver à s’accorder sur un salaire minimum à 15 $ l’heure. Il faut pourtant déployer plusieurs mesures en vue de trouver une solution aux problèmes des travailleurs pauvres.

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