Traitement contre le cancer

De belles surprises pour une molécule québécoise

Non seulement il semble remplir ses promesses, mais on lui découvre des vertus insoupçonnées. Un traitement expérimental contre le cancer développé au Québec vient de montrer son efficacité sur une vingtaine de patients… en plus de révéler des bénéfices inattendus.

Le pouvoir de guérir

Ils étaient 22 à souffrir de graves maladies du sang comme des leucémies, des cancers du système lymphatique et des cancers de la moelle osseuse. Leurs cellules sanguines avaient été détruites soit par le cancer, soit par la chimio et la radiothérapie utilisées pour le combattre. Leur dernier espoir : une greffe de cellules souches, une intervention à double tranchant qui équivaut à jouer sa vie à pile ou face. La moitié de ces traitements échouent. Soit le cancer revient, soit le greffon se retourne contre le malade et finit par le tuer.

Mais cette fois, le greffon avait été exposé au préalable à une molécule développée au Québec, appelée UM171, où UM veut dire Université de Montréal. Après avoir été greffés avec ces cellules souches, 21 des 22 malades ont survécu, un taux de loin supérieur à la normale.

Mieux : dans aucun cas, le greffon n’a attaqué son patient. Le seul cas de mortalité est attribuable au cancer qui est revenu.

« Nous continuons de suivre les patients. Il y en a trois qui ont eu des rechutes [du cancer], mais les autres sont en rémission. Il y a une grosse proportion d’entre eux qui sont retournés travailler », se réjouit Guy Sauvageau, chercheur à l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie de l’Université de Montréal, qui précise qu’on parle ici de gens qui étaient très malades.

Le grand multiplicateur

La découverte de la molécule UM171, en 2014, avait fait grand bruit. Elle avait été décrite dans la prestigieuse revue Science et Guy Sauvageau avait été nommé scientifique de l’année par Radio-Canada. La molécule a un pouvoir : multiplier les cellules souches, des cellules qui soulèvent un grand engouement en médecine parce qu’elles ont la capacité de devenir n’importe quelles cellules du corps. On les greffe notamment aux patients cancéreux dont les cellules sanguines ont été détruites afin de régénérer ces dernières.

Ces précieuses cellules souches peuvent être prélevées dans la moelle osseuse d’un donneur, mais elles provoquent alors souvent des réactions dangereuses. Une source plus sécuritaire est le sang de cordon, ce sang prélevé dans le cordon ombilical des nouveau-nés. Le hic : un cordon contient très peu de sang et donc très peu de cellules souches. La magie de UM171 est qu’elle permet de multiplier de 10 à 80 fois le nombre de cellules souches du sang de cordon. « À l’époque de la publication dans Science, on n’avait aucune idée de la façon dont ça fonctionne. Ça nous a pris six ans pour trouver le mécanisme ! », lance Guy Sauvageau, qui compte publier bientôt un article scientifique à ce sujet.

Des effets inattendus

En plus d’amener les patients à tolérer les greffes de cellules souches, UM171 semble avoir eu d’autres effets bénéfiques.

« Les résultats cliniques nous ont rapidement démontré des choses un peu surprenantes. On trouvait que les patients se sentaient relativement bien – et de façon anormale par rapport à ce qu’on voit habituellement », raconte Dr Sauvageau.

Un exemple : un tiers des patients n’ont pas développé de fièvre après la greffe, ce qui est hautement inhabituel. « Au début, on se disait que c’était de la chance, raconte Dr Sauvageau. Ça a pris plusieurs patients avant que je me dise : “Oups, il se passe quelque chose”. Notre réflexe a alors été de retourner au laboratoire. » Là, les chercheurs ont eu la surprise de découvrir qu’UM171 n’avait pas qu’amplifié les cellules souches : elle avait fait la même chose que les cellules qui activent le système immunitaire.

L’effet était foudroyant : les cellules dites dendritiques avaient étaient été multipliées par 600, tandis que d’autres cellules appelées mastocytes avaient été multipliées par… 8000.

« Là, on a fait : “Oh mon Dieu”, lance Dr Sauvageau. Je vous dirais que si on avait su ça dès le début, on aurait été encore plus prudents qu’on ne l’a été. » Heureusement, cet effet multiplicateur semble n’avoir eu que des impacts positifs sur les patients.

« Comme je dis souvent aux gens ici, avant de nous péter les bretelles, il faut reconnaître qu’on a eu beaucoup de chance dans cette étude clinique. Il y a eu des choses auxquelles on ne s’attendait pas et ça nous a fait travailler très fort au laboratoire », lance Guy Sauvageau.

La suite

Les résultats positifs de l’étude sur les patients n’ont pas échappé à la communauté scientifique. Une autre étude menée à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont sur des patients atteints de myélome multiple est déjà en cours. Une autre, approuvée par la Food and Drug Administration américaine, démarrera sous peu à Seattle afin de confirmer les résultats de celle qui vient de se terminer à Montréal.

Une troisième, qui portera celle-là sur 150 patients répartis dans plusieurs hôpitaux un peu partout dans le monde, vise à comparer la greffe standard à la greffe de sang de cordon amplifié par UM171. Des résultats positifs à cette dernière étude permettraient au médicament d’être approuvé pour la commercialisation. Une entreprise, ExCellThera, a été créée pour gérer ces études et, éventuellement, commercialiser la molécule. Guy Sauvageau, lui, retourne au laboratoire pour essayer d’extraire les secrets d’UM171.

« Moi, ce qui m’intéresse le plus, c’est de comprendre les mécanismes qui font que cette molécule fonctionne si bien », dit-il.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.