Enquête publique au Royaume-Uni

La tragédie des 100 000 enfants envoyés de force au Canada

Plus de 100 000 enfants pauvres anglais ont été envoyés de force au Canada de la fin de XIXe siècle jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Souvent traités comme des esclaves, ils ont souffert d’agressions et de violences sexuelles, rappelle une enquête qui vient de s’ouvrir cette semaine au Royaume-Uni.

Fait mal connu

Ils étaient des enfants de familles pauvres, des enfants de la rue et des orphelins. Dans la seconde moitié du XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle, le gouvernement anglais a décidé de les envoyer, souvent de force, aux quatre coins de l’Empire britannique, où ils pourraient travailler. Plus de 100 000 enfants non accompagnés ont ainsi « émigré » dans des fermes canadiennes, dont plus de 8000 au Québec. « Pour la quasi-totalité, ils ont travaillé dans des champs, dans des conditions d’esclavagisme », explique Lori Oschefski, présidente de l’Association canadienne des « Home Children » anglais. « Les agressions physiques, psychologiques et sexuelles qu’ils ont subies étaient courantes et sont bien documentées. »

Le gouvernement a fermé les yeux

Les enfants ne recevaient souvent aucune éducation et habitaient à l’écart de la maison familiale de la ferme. « À cette époque, la pauvreté était vue comme une maladie infectieuse, alors ces enfants étaient souvent isolés, dit Mme Oschefski. Certains dormaient dans des granges non chauffées, même durant l’hiver. Les enfants étaient transportés d’une ferme à l’autre, ils pouvaient déménager des dizaines de fois. Ma tante Mary était une de ces enfants. Elle a été battue, fouettée, violée. Elle a donné naissance à un enfant mort-né à l’âge de 14 ans. Quand ma tante est morte, on pouvait encore voir les cicatrices des coups de fouet sur son dos. »

Loi du silence

Au début du programme, ces histoires étaient peu connues. « Mais durant les années 1890, le gouvernement britannique et le gouvernement canadien savaient que le programme envoyait les enfants dans une vie de misère et d’abus, et ils ont continué à le soutenir », dit Lori Oschefski. Cette semaine, le gouvernement britannique a lancé une enquête publique sur les enfants qui ont émigré de force, un phénomène qui a continué jusqu’en 1974, notamment en Australie. David Hill, qui a été envoyé de force et violé en Australie à l’âge de 12 ans, a témoigné qu’il voulait que les responsables soient « nommés sur la place publique ». Ce mois-ci, la Chambre des communes à Ottawa a reconnu « la souffrance et l’abus » des enfants qui ont émigré de force au Canada. Mme Oschefski aimerait désormais entendre le premier ministre Trudeau s’excuser au nom du Canada auprès des familles de ces enfants.

Gilles Duceppe, petit-fils d’enfant émigré

Des enfants émigrés ont éventuellement eu des familles, et leurs descendants sont nombreux au pays. Parmi eux, l’ex-chef du Bloc québécois Gilles Duceppe, dont le grand-père paternel, John James Rowley, est arrivé à Montréal en 1906. « Mon grand-père a été chanceux, car il a été adopté par une bonne famille, qui voulait un enfant, à Saint-Benoît-du-Lac. Personne ne parlait anglais, alors mon grand-père allait parler avec les autochtones de la réserve de Kanesatake. » La pièce Ne m’oublie pas, actuellement présentée au Théâtre Jean-Duceppe, salle nommée en l’honneur du père de Gilles Duceppe, raconte justement l’histoire d’un « Home Child » envoyé en Australie. M. Duceppe dit souhaiter que cet épisode difficile et peu glorieux de l’histoire du Québec et du Canada soit mieux enseigné. « Nous, les descendants des British Home Children, on représente entre 3,5 et 4 millions de personnes à travers le Canada. Ce n’est pas rien, et pourtant, c’est une histoire qui est inconnue. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.