Chronique

Déjouez l’industrie du prêt-à-jeter

Jeudi midi au milieu du hall de l’École de technologie supérieure. À côté des brioches et du café, deux étudiants bénévoles se penchent sur un ordinateur défectueux. L’écran est noir. Tout est bloqué. Seul un message incompréhensible s’affiche en petites lettres blanches.

Ce n’est pas pour rien que son malheureux propriétaire s’est rendu au Réparothon, un concept « made in London » importé à Montréal par Insertech, qui se spécialise dans le recyclage de matériel informatique.

Trois quarts d’heure plus tard : miracle ! L’ordi fonctionne à merveille. Simple problème d’agencement des données sur le disque dur. Il suffisait d’utiliser une partie du disque qui était encore sain pour réaligner le reste.

« On a recopié dans Google le message qui figurait à l’écran. Puis, on a trouvé la solution en consultant un forum de discussion sur internet », m’explique tout bonnement Arthur Gambet, étudiant à la maîtrise qui fait partie du club de logiciels libres Cedille de l’ÉTS.

Pour de futurs ingénieurs, ça peut sembler simple, mais pour des dinosaures de la techno de ma trempe, disons que la solution ne sautait pas aux yeux !

Quand mon ordinateur bogue, quand mon mobile craque, quand mon lave-vaisselle rend l’âme, je suis prise au dépourvu. Trouver un réparateur, bonne chance ! Et souvent, la réparation de l’appareil coûte presque aussi cher que l’achat d’un produit neuf.

Dans certains cas, les pièces de rechange ne sont même pas disponibles. Ou encore, le fabricant n’offre carrément pas la réparation. Si vous entrez comme moi dans un Apple Store, avec l’iPod de votre enfant dont l’écran est fendu, on vous proposera d’en acheter un neuf en échange, plutôt que de réparer le vôtre.

Bienvenue dans l’industrie de la désuétude planifiée ! À l’ère du prêt-à-jeter, l’environnement en prend pour son rhume. On aime se croire verts, mais quand on remplace son téléphone intelligent après deux ans ou qu’on se débarrasse de son ancienne caméra, on ne réalise pas toute la pollution générée.

Cette année, 48 millions de tonnes métriques de déchets électroniques, toxiques à souhait, devraient se retrouver à la fourrière, selon les Nations unies. C’est 40 % de plus qu’il y a sept ans.

Pourtant, il existe des moyens de déjouer l’obsolescence programmée. C’est justement ce qui motive Thomas Cortina, étudiant en génie mécanique et « patenteux » assumé, à offrir ses services comme réparateur bénévole.

« Un jour, le connecteur de mon ordinateur a brisé. J’ai dû payer 200 $ pour le faire réparer. Je n’étais pas content du tout. Un peu plus tard, j’ai eu encore le même problème. Alors, j’ai commandé la pièce sur eBay pour 3 $ et je l’ai réparé moi-même », me raconte-t-il tout en rafistolant une lampe.

Comme quoi réparer un appareil brisé n’est pas si sorcier. D’ailleurs, l’objectif du Réparothon est aussi d’apprendre aux consommateurs à remettre leur équipement en état eux-mêmes, à se réapproprier leur appareil.

Bon, j’avoue que je serais la première intimidée s’il fallait que j’ouvre mon ordinateur pour regarder sous le capot.

« Mais parfois, un simple nettoyage peut faire des miracles. On pense que la carte-mère est finie. Quand on ouvre l’ordinateur, on découvre un amas de poussière ! », dit Saad Sebti, coordonnateur marketing et développement d’Insertech.

C’est Saad Sebti qui a eu l’idée d’organiser des Réparothons, après avoir entendu parler des « Restart Party » à l’émission de radio La Sphère.

Nés dans un pub de Londres en 2012, ces ateliers communautaires mettent en commun des gens qui cherchent à réparer leurs appareils brisés avec des experts qui ont les connaissances pour les aider. Le but est d’encourager une consommation plus durable en prolongeant la vie utile des produits électroniques.

La formule a fait des petits partout à travers le monde, de Tunis, à Oslo, en passant par Barcelone, Florence, Zurich… et maintenant Montréal.

Financés par la fondation Alcoa, les Réparothons en sont à leur troisième édition cette année. En 2017, Insertech compte organiser une dizaine d’événements, notamment dans les écoles et les entreprises. Mais le plus important Réparothon aura lieu dans les locaux de l’organisme le 19 avril prochain, dans le cadre de la semaine de la Terre.

Toutefois, l’atelier de réparation d’Insertech est ouvert à longueur d’année. Les consommateurs doivent alors payer pour la réparation, quoiqu’il n’y a pas de taxes puisqu’il s’agit d’un organisme à but non lucratif.

En fait, Insertech est une entreprise de réinsertion sociale qui aide les jeunes à retourner sur le marché du travail. Elle recueille le matériel informatique dont les entreprises se débarrassent, souvent très rapidement, et donne une deuxième vie aux ordinateurs au lieu de les envoyer au dépotoir.

En passant à sa boutique, les consommateurs peuvent aussi se procurer un ordinateur remis à neuf, pour une centaine de dollars à peine. L’appareil sera bien assez puissant pour la plupart des besoins de base : courriels, internet, traitement de texte.

Non, ce ne sera pas le modèle dernier cri. Mais les gens n’utilisent que 10 % de la capacité de leur appareil, fait valoir M. Sebti.

Alors avez-vous vraiment besoin de la dernière bombe qui vient de sortir sur le marché ? Ah, surconsommation quand tu nous tiens…

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