Agriculture

Plus de poulets !

Le Québec veut plus de volaille : les consommateurs sont nombreux à se tourner vers le poulet en remplacement de la viande rouge, les éleveurs sont prêts à en faire davantage, mais le système actuel freine la croissance du poulet, disent-ils. Explications.

Un dossier de Stéphanie Bérubé

Agriculture

Diversité au menu

Vous cherchez de la volaille de race patrimoniale, des pilons halals ou même un petit poulet biologique au supermarché ? Bonne chance.

Au Québec, Olymel et Exceldor contrôlent 94 % de l’abattage de tout le poulet qui se produit dans la province. Ce qui laisse un maigre 6 % pour les autres.

Ce n’est pas assez et ça brime le développement de la volaille, disent les Éleveurs de volailles du Québec. Le syndicat de producteurs demande à la Régie des marchés agricoles de mettre la hache dans ce mécanisme.

« Ce sont des volumes d’approvisionnement garantis », explique Jean-Philippe Deschênes-Gilbert, directeur des affaires réglementaires aux Éleveurs de volailles du Québec, qui représentent 744 entreprises agricoles. Les producteurs doivent donc assurer ce taux minimum à Exceldor et à Olymel. « Quand ç’a été établi, en 1994, ce n’était pas 94 %, précise M. Deschênes-Gilbert. Mais des petits abattoirs ont fermé et ces géants-là les ont rachetés au fil du temps. »

On se retrouve maintenant avec cette impressionnante proportion. Les producteurs demandent l’abolition des volumes garantis.

« C’est devenu sclérosé. […] Un petit nouveau qui voudrait se développer est limité dans sa croissance. On veut juste un peu plus de souplesse pour créer plus de compétitivité et mieux desservir les marchés. »

— Jean-Philippe Deschênes-Gilbert, directeur des affaires réglementaires aux Éleveurs de volailles du Québec

« Ces abattoirs ont une situation de quasi-monopole et des garanties réglementaires », confirme l’économiste Maurice Doyon, de l’Université Laval, qui connaît bien le dossier pour avoir été appelé en tant qu’expert devant la Régie, à la demande des producteurs. Résultat : « Nos abattoirs l’ont facile, dit-il, et leurs états financiers le démontrent. » L’économiste note que la hausse des marges brutes des abattoirs atteint des sommets historiques. Tant que ce système restera en place, précise Maurice Doyon, ces transformateurs ont intérêt à ne pas augmenter significativement les quantités pour conserver un contrôle sur les prix du poulet. D’autant que dans un contexte de gestion de l’offre, le détaillant ne peut pas se tourner vers de la volaille américaine, puisque les droits de douane freinent son entrée au pays.

innovation

Du point de vue des Éleveurs, en laissant tomber ces minimums garantis, Exceldor et Olymel ne perdraient pas de quantité, car on pourrait poursuivre la croissance et développer certains marchés, notamment du poulet de spécialité, ce que les consommateurs réclament.

Il y a de la place pour l’innovation, confirme le président des Éleveurs de volailles du Québec, Pierre-Luc Leblanc. « Imaginez un fermier qui ouvre sa boucherie et qui présente son poulet qu’il a nourri d’une certaine façon, élevé d’une certaine façon », rêve-t-il tout haut.

« On pourrait développer des races différentes. Le poulet sasso, par exemple, qui est une race rustique, qui a une croissance plus lente et qui produit un poulet plus brun. Ce n’est pas pour la masse, mais le produit serait là, disponible pour ceux qui veulent goûter quelque chose de différent. »

— Pierre-Luc Leblanc

Selon Jean-Philippe Deschênes-Gilbert, il y aura toujours beaucoup de demande pour les ailes et les cuisses traditionnelles, mais plus de souplesse favoriserait plus d’innovation avicole. « C’est la tarte qui grossirait », illustre-t-il.

Le sujet est néanmoins très délicat dans le milieu du poulet, les deux parties – éleveurs et transformateurs – étant à la fois des partenaires commerciaux et des adversaires dans ce cas. Le litige entourant la Convention de mise en marché du poulet s’est retrouvé devant la Régie des marchés agricoles du Québec l’année dernière et a demandé plus de 40 jours d’audience.

Olymel ne veut pas commenter cette histoire tant que la Régie n’a pas rendu sa décision. Exceldor offre la même réponse. Un transformateur spécialisé a aussi refusé de commenter la situation en demandant plusieurs fois que son nom n’apparaisse pas dans le journal.

Et le prix ?

Le poulet est de plus en plus populaire, mais curieusement, cette hausse de popularité vient avec une diminution du prix de la viande payé au producteur. Le prix payé à l’éleveur a diminué de 0,10 $ par kilo durant les trois dernières années.

Pourquoi ?

Dans un mécanisme de gestion de l’offre, les producteurs sont payés proportionnellement selon le coût de production. Et élever de la volaille coûte moins cher, notamment car il y a eu réduction du prix de la moulée. « On a eu une baisse de prix parce qu’on s’est améliorés grâce à la technologie. Nos oiseaux sont plus performants », précise aussi Pierre-Luc Leblanc.

Pour le producteur, la marge reste donc la même. « La gestion de l’offre fonctionne si on mise sur l’efficacité, précise Sylvain Charlebois, doyen de la faculté de management de l’Université Dalhousie. Et c’est ce qu’on semble voir dans ce cas. » Diminution du prix à la ferme, donc, mais pas au détail.

En ce début de saison du barbecue, il serait fort étonnant de voir des rabais sur la brochette de poulet parce que les producteurs sont plus efficaces dans leurs poulaillers, dit Sylvain Charlebois. « La dynamique à la ferme et la dynamique au détail sont deux choses complètement différentes », précise le professeur, qui est spécialiste des systèmes alimentaires.

Mais il n’y a pas que la demande qui explique le prix du poulet. « Le portefeuille de produits de poulet change », estime Yves Brodeur, vice-président, approvisionnement, chez Olymel. C’est-à-dire que les consommateurs achètent de plus en plus de produits à valeur ajoutée, qu’il s’agisse de poulet en crapaudine, de viande déjà marinée ou même de poulet élevé sans antibiotiques. Tous des produits qui font monter la facture d’épicerie. Yves Brodeur, qui est aussi vice-président de l’Association des abattoirs avicoles du Québec, précise également que la fixation du prix de la viande découle « d’une dynamique assez complexe » une fois que le poulet a quitté son poulailler.

Agriculture

Hausse de la consommation

Cette chicane entre ceux qui élèvent les poulets et ceux qui les transforment arrive au moment où le poulet a le vent dans les ailes.

L’année dernière, les agriculteurs québécois ont augmenté leur production de poulet de 5 %. C’est plus que la moyenne nationale, qui est aussi en hausse. La tendance pour le bœuf et le veau est inverse. Le porc se maintient, mais n’augmente pas.

« On est la viande préférée des Québécois et des Canadiens, alors on ne peut pas se plaindre ! lance Pierre-Luc Leblanc, président des Éleveurs de volailles du Québec. Et ça va aller encore mieux : le poulet, c’est une viande maigre, une viande santé, une viande écologique. Elle a toutes les vertus. Quand on parle de bien-être animal, on est là. On est capables de répondre à toutes les préoccupations des consommateurs. »

Pierre-Luc Leblanc fait du poulet depuis 20 ans. Il adore son métier, c’est évident, et en vit fort bien : son frère et lui produisent 1 192 365 kg de dindon et 1 230 656 kg de poulet annuellement.

Dans ce contexte de croissance, son entreprise vient d’investir une fortune dans un nouveau bâtiment qu’il décrit comme le poulailler de l’avenir. Plutôt que trois étages, le bâtiment n’en a qu’un seul. Les poulets perdent leur plafond à huit pieds au profit d’un plafond cathédrale. Le chauffage est fait avec une fournaise à granules, ce qui remplace le gaz qui émet du dioxyde de carbone. L’aération est à la fine pointe de la technologie. « C’est de l’investissement, mais je vais me donner des belles conditions de travail, je vais donner un bon milieu de vie à mes oiseaux », dit l’éleveur dans son poulailler neuf, à Saint-Pie.

L’élevage de volailles est un travail de précision. « Si un oiseau n’a pas froid, il ne cherche pas à se coucher et se coller sur les autres, dit l’éleveur. Il se lève, il court, il mange, il boit. Il va prendre du poids et il va se rendre plus vite à l’abattoir. Tout le monde est gagnant. »

La fin des antibios

Les poulets Leblanc ont aussi un peu plus d’espace que ce que commande le règlement : la norme canadienne maximale est de 38 kg par mètre carré. Pierre-Luc a prévu 31 kg par mètre carré, car il se prépare à cesser l’utilisation d’antibiotiques. « On est en retard au Québec, dit-il. Tout le poulet sans antibiotiques de A&W vient de Colombie-Britannique. Ce n’est pas normal. »

L’ensemble des producteurs de poulets du Québec est dans un processus de réduction des médicaments utilisés en médecine humaine. Ils seront graduellement retirés des poulaillers.

La faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal les accompagne dans l’exercice. « Nous avons développé un programme de recherche », explique Martine Boulianne, qui s’occupe du projet. Les résultats préliminaires sont très encourageants. Afin d’éviter que les oiseaux tombent malades dans ce milieu de grande proximité, les antibiotiques sont remplacés par des produits qui ne sont pas utilisés en médecine humaine. Certains tests sont même faits avec des huiles essentielles de romarin et d’origan.

« Il y a vraiment un changement de mentalité [quant à l’utilisation d’antibiotiques de manière préventive]. »

—La professeure Martine Boulianne, de la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal

« Je crois que les agriculteurs utilisaient des antibiotiques sans trop se poser de questions », dit aussi Pierre-Luc Leblanc.

Certaines entreprises ont déjà fait le saut.

Au Lac-Saint-Jean, Nutrinor a converti tous ses poulaillers en trois ans. L’entreprise est passée de 10 000 poulets élevés sans antibiotiques à 2 millions l’année dernière. Ça ne s’est pas fait en claquant des doigts. « Il faut être attentif à tous les détails », explique l’agronome Chantal Bélanger, coordonnatrice de la production porcine et avicole à la coopérative Nutrinor. Concrètement, ça veut dire que les agriculteurs doivent surveiller le pH de l’eau et l’humidité pour éviter la multiplication des bactéries.

Les poulets qui sortent de chez Nutrinor sont abattus à Berthierville, faute d’abattoir dans leur région. Pour le moment, la viande n’est pas commercialisée sous la marque Nutrinor, mais on la retrouve dans les épiceries présentée « sans antibiotiques ».

Si Nutrinor décidait de commercialiser sa viande sous son nom, les consommateurs seraient certainement sensibles aussi au fait que l’élevage a une certification de bien-être animal et que les oiseaux sont nourris avec des produits locaux, notamment de la farine… de bleuets !

Prochaine étape : le poulet vert. « Je pense qu’on peut être encore meilleurs, lance Pierre-Luc Leblanc, enthousiaste. On peut réduire les gaz à effet de serre. Est-ce qu’on pourrait introduire des panneaux solaires pour chauffer l’air ? Il faut s’améliorer, on peut faire un poulet avec des effets de serre neutres. »

Le dindon peine à s’envoler 

Dans un monde où les mangeurs remplacent la viande rouge par la viande blanche, la dinde devrait se multiplier. Bacon de dinde, hamburger de dinde, jerky de dinde à manger avant l’entraînement… Pourtant, ce n’est pas le cas. Au contraire : le dindon recule. L’année dernière, on a produit 6,7 % moins de dindes au Québec. Les gens ont de la difficulté à voir la dinde autrement que la grosse volaille de l’Action de grâces, estime Guillaume Côté, producteur de dindons à La Présentation. Et, manque de chance, en 2017, les Québécois ont préféré cuisiner d’autres choses pour les Fêtes, ce qui explique en partie le recul de la dinde. Guillaume Côté est toutefois confiant : les choses bougent, tranquillement pas vite, et on réussira à sortir la dinde de son utilisation traditionnelle.

Contradictions

Les chiffres de la firme Nielsen confirment la popularité de la viande blanche, mais notent aussi une hausse des ventes de saucisses à hot dog et de burgers congelés l’année dernière. Ce qui prouve que dans la quête d’une meilleure alimentation, les Canadiens se permettent aussi parfois des petits plaisirs coupables…

Agriculture

Production hors quotas

Au Québec, la volaille est sous gestion de l’offre, ce système économique qui freine l’entrée de produits importés et assure que les besoins nationaux seront comblés par la production locale. Cela vient avec une gestion serrée de la production : ne devient pas éleveur de poulet qui veut.

Pour avoir un poulailler commercial digne de ce nom, un agriculteur doit se procurer des quotas, ces droits de produire qui sont limités et transigent par les Éleveurs de volailles du Québec. Mais il existe ce qu’on appelle prosaïquement la production hors quotas et qui permet à qui le veut bien d’élever un maximum de 99 poulets à chair. Cela fait débat depuis des années, car de petits agriculteurs demandent que soit haussée cette limite afin de mieux fournir de la volaille de spécialité dans des marchés publics et locaux.

Les Éleveurs de volailles veulent mettre en place un projet-pilote qui permettrait à une dizaine de producteurs de produire 2000 poulets sans détenir de quotas, pour les marchés de proximité. Le projet doit être approuvé par la Régie, mais l’audience n’est pas prévue avant l’automne. Les 10 chanceux auraient un droit de production spécial, sans quotas.

Selon Benoit Girouard, porte-parole de l’Union paysanne dans ce dossier, la stratégie ne tient pas la route. « Laissons la latitude aux agriculteurs », dit-il. L’Union paysanne milite pour une hausse du nombre de poulets, et de poules pondeuses, qu’un artisan peut avoir sans détenir de quotas, pour tous, dans toutes les régions. À la coopérative La Mauve de Saint-Vallier, dans la région de Bellechasse, on croit aussi qu’il serait plus simple de hausser la production hors quotas dans le poulet et de laisser les artisans développer leurs marchés et approvisionner ceux qui en demandent déjà.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.