Chronique : Politique québécoise

Les plaques tectoniques

Si vous suivez un peu l’actualité politique québécoise, même entre la Saint-Jean et la fête du Canada, le dossier dont vous avez sans doute le plus entendu parler, c’est celui des pourparlers entre Québec solidaire et Option nationale, une formation si marginale que les sondages l’incluent dans « autres partis ».

Pendant ce temps, les vraies affaires se passent ailleurs. Un sondage Léger-Le Devoir, publié samedi dernier, montre que les tendances du printemps semblent bien se confirmer. Nous assistons à un réalignement important des forces politiques, à un déplacement des plaques tectoniques, marqué, comme dans d’autres sociétés, par l’affaiblissement des partis traditionnels, et surtout par l’effondrement du PQ, par la montée des tiers partis, celle de Québec solidaire, mais plus particulièrement par celle de la CAQ, devenue l’alternative au pouvoir libéral.

Selon ce sondage, le Parti libéral bouge à peine. Ses appuis sont passés de 32 % à 31 % entre mai et juin, soit en gros le même niveau qu’il y a 12 mois, quoique beaucoup moins que les 42 % des élections de 2014. Le Parti québécois perd encore un point, de 23 % à 22 %, bien en dessous des 30 % d’il y a un an. La Coalition avenir Québec gagne encore deux points, de 26 % à 28 %, quatre points de plus qu’en juin 2016. Quant à Québec solidaire, il prend lui aussi deux points, de 13 % à 15 %, considérablement plus que les 10 % d’il y a un an.

L’élément le plus significatif reste la remontée discrète de la CAQ. Le fait qu’elle dépasse maintenant le PQ change complètement la dynamique électorale.

Ce sondage de juin semble montrer que l’accession au deuxième rang, en mai, n’était pas qu’un sursaut temporaire. D’autant plus que l’écart entre la CAQ et le PQ s’est creusé pour maintenant atteindre 6 points de pourcentage, que la CAQ domine confortablement chez les francophones, avec 33 %, contre 26 % pour le PQ et 22 % pour le PLQ, qu’elle est en tête dans la région de Québec et partout ailleurs, sauf à Montréal. En outre, c’est François Legault qui est perçu comme le meilleur premier ministre, avec 23 %, devant les 20 % de Philippe Couillard.

Ce mouvement de plaques tectoniques impose certainement aux partis politiques et à leurs leaders des devoirs d’été assez substantiels pour se préparer à une rentrée, celle de l’année préélectorale.

Commençons par celui dont la situation est la plus désespérée. Le défi de Jean-François Lisée, c’est d’enrayer une implosion du PQ dont il est en partie responsable. Sa stratégie de rapprochement avec QS a été une véritable catastrophe. Pas seulement parce qu’elle n’a pas abouti, mais parce qu’elle lui a fait perdre des appuis des deux bords. Chez les gens qui n’ont pas apprécié le virage à gauche pour séduire les solidaires et qui sont allés vers la CAQ. Chez d’autres qui, sans référendum à l’horizon, semblent avoir délaissé la gauche tactique du PQ pour la vraie gauche, celle de QS. Y a-t-il « une sortie de secours », pour reprendre le titre d’un essai de M. Lisée ? On ne voit pas laquelle, sinon espérer que les succès de la CAQ et de QS ne reflètent que des sautes d’humeur.

Très bas dans les sondages, Philippe Couillard ne perd plus de plumes, sans doute parce qu’il ne peut pas descendre davantage.

Il se retrouve avec un nouvel adversaire contre qui l’hydre référendaire ne sera pas une arme efficace. Son défi : faire oublier la période d’austérité et réussir à mettre un peu d’empathie dans ses politiques. À regarder aller le gouvernement Couillard depuis un mois, sa stratégie semble justement façonnée pour affronter ce nouvel adversaire. Un peu d’identité, avec son document constitutionnel. Des politiques plus sociales – réussite scolaire, culture, environnement – pour recentrer le parti et l’humaniser. Des arguments économiques, avec le faible chômage et la forte croissance. Et bien sûr, la santé financière retrouvée qui permettra certainement des largesses.

Le défi de François Legault, c’est de consolider ses gains, de transformer la déception à l’égard des partis traditionnels en appuis durables.

Cela reposera sur un rééquilibrage délicat sur l’identité pour pouvoir s’implanter dans la région montréalaise et attirer des non-francophones. Cela exigera aussi plus de retenue dans son rôle d’opposition pour se présenter en solution de rechange au pouvoir. Le fait que la CAQ soit maintenant en deuxième position est un atout qui donnera plus de poids à ses interventions. Il pourra aussi miser sur les faiblesses de ses deux adversaires.

Québec solidaire a un tout autre défi. Ce parti est toujours plus fort en sondage qu’au moment des élections. Pour faire de véritables progrès et transformer ses 15 % d’appuis en vrais votes, il devra s’attendre à ce que les électeurs regardent son programme et ses idées de beaucoup plus près. Or, les Québécois ne sont pas des post-marxistes. S’il veut les attirer, pour sortir de la marginalité, QS devra se résoudre à une révision substantielle et douloureuse de son programme.

On verra, en septembre, si l’été a porté conseil.

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