« Il y a déjà un certain temps que l’école à prise une place beaucoup plus importante dans la société. L’enseignement vient donc prendre une place de plus en plus apprécié et soutenu par toute la population. »
Pierre Paradis a vu trop de phrases pleines de fautes dans sa longue carrière de professeur au département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).
Découragé par la piètre maîtrise du français des futurs enseignants, ce professeur a remis à La Presse une poignée de travaux écrits présentés par ses étudiants peu avant sa retraite, en 2015.
Cet expert en éducation le dit haut et fort : « Les étudiants nous arrivent trop faibles. L’éducation est souvent leur dernier choix. »
« Ils ne sont pas assez forts pour entrer en médecine, en génie ou en droit, alors ils se disent : j’aime les enfants, pourquoi pas l’éducation ? »
— Pierre Paradis, professeur retraité en sciences de l’éducation
Un autre professeur d’université qui enseigne toujours dans une faculté d’éducation québécoise fait le même constat. « J’ai l’impression que parfois, faire le choix d’étudier en enseignement, c’est une orientation par défaut, dit ce professeur qui a requis l’anonymat. Qu’est-ce qu’on fait quand on a un DEC en sciences humaines avec ou sans maths, qu’on veut aller à l’université, mais qu’on veut un diplôme qualifiant qui va nous mener à un job ? On choisit l’enseignement. »
La Presse a révélé hier qu’à leur premier essai, près de la moitié des futurs enseignants québécois ont échoué à l’examen de français obligatoire à l’obtention de leur brevet d’enseignement en 2016.
Travaux bourrés de fautes
Jusqu’à sa retraite, M. Paradis demandait chaque année à ses étudiants de réfléchir à des enjeux liés au monde de l’éducation dans un court texte après leur avoir fourni des articles sur ces enjeux.
Dans le cadre de cet exercice, un étudiant au baccalauréat en enseignement a formulé le souhait suivant : « Les ressources devraient être beaucoup plus présente dans les écoles afin d’apporter l’aide nécessaire au jeunes dans le besoin. »
Voici ce qu’a écrit une autre étudiante, cette fois-ci à la maîtrise : « On peut se rendre compte que le système éducatif québécois a subit un certain nombre de changement depuis les années 2000. L’école primaire s’est vu être réorganisée par cycle d’apprentissage comparable à un système déjà effectif en France depuis de nombreuses années. »
Pierre Paradis ne se contente pas de dénoncer les lacunes importantes des futurs enseignants en français. En une quinzaine d’années, il a colligé des milliers de fautes dans les travaux de ses étudiants pour documenter le problème. Avec trois autres collègues de l’UQAR, il a créé un test en ligne gratuit pour aider les futurs enseignants à cibler leurs difficultés et à les corriger.
Trop de futurs enseignants confondent toujours des homophones grammaticaux comme « a » et « à » ou encore « ce » et « se », selon les recherches de M. Paradis. L’accord du participe passé avec « avoir » leur cause bien des problèmes.
« L’apprentissage de l’écriture est basé sur l’apprentissage de règles. Il faut répéter ces règles et les répéter encore pour les acquérir », explique M. Paradis. « Dans les écoles d’aujourd’hui, on priorise la créativité, l’expression d’idées. C’est écrit tout croche, mais ce n’est pas important, les jeunes s’expriment », ironise cet expert en éducation.
Maîtrise « fragile » des règles de grammaire
La maîtrise des règles grammaticales des futurs enseignants de français au secondaire est « fragile ». Et ils se pensent meilleurs en grammaire qu’ils ne le sont en réalité, concluait une étude québécoise – la première sur la question – dévoilée l’hiver dernier.
Cette étude a été réalisée auprès de 85 étudiants sondés lors de leur troisième année de baccalauréat alors qu’ils avaient terminé tous les cours obligatoires de grammaire et de didactique du programme.
« On ne peut pas utiliser cette étude pour dire : les futurs enseignants de français sont incompétents. Ce n’est pas vrai, avertit la vice-doyenne aux études de premier cycle à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, Pascale Lefrançois.
« Ils sont en formation. S’ils méritaient déjà leur brevet d’enseignement, la quatrième année du baccalauréat serait superflue. »
— Pascale Lefrançois
Mme Lefrançois – l’une des cochercheuses de l’étude – fait une comparaison avec une auto-école. « C’est normal que dans une auto-école, des fois, on freine trop tard », dit la professeure de l’Université de Montréal.
Mais comment ces futurs enseignants pourront-ils enseigner les règles de grammaire à leurs élèves si leurs connaissances sont fragiles et qu’ils ne sont même pas conscients de leurs difficultés ?
« On prend conscience pour la première fois du décalage. C’est sûr qu’il faut sensibiliser nos étudiants à cet écart, indique pour sa part Isabelle Gauvin, chercheuse principale de l’étude et professeure de didactique des langues à l’Université du Québec à Montréal. En même temps, c’est à nous comme formateur de prendre cela en charge. On ne peut pas leur reprocher de ne pas le savoir. »
Le problème doit être réglé en amont, dès le premier cycle du primaire, pour que les jeunes arrivent à l’université avec des connaissances plus solides, selon la doyenne de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Monique Brodeur. « Beaucoup de travaux se font actuellement pour consolider l’enseignement de la lecture et de l’écriture dès la maternelle. On peut penser que les compétences et les connaissances de base seront plus solides dans les années à venir qu’elles le sont actuellement », souligne Mme Brodeur.