Lacunes en français des futurs enseignants

Des étudiants « trop faibles »

« Il y a déjà un certain temps que l’école à prise une place beaucoup plus importante dans la société », écrit une étudiante en enseignement dans un travail d’université obtenu par La Presse. Alors que le sujet des lacunes en français des futurs enseignants fait à nouveau la manchette, nous avons demandé à des experts en éducation de nous faire part de leurs solutions pour corriger le tir.

Un dossier de Caroline Touzin

Lacunes en français des futurs enseignants

« L’éducation est souvent leur dernier choix »

« Il y a déjà un certain temps que l’école à prise une place beaucoup plus importante dans la société. L’enseignement vient donc prendre une place de plus en plus apprécié et soutenu par toute la population. »

Pierre Paradis a vu trop de phrases pleines de fautes dans sa longue carrière de professeur au département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

Découragé par la piètre maîtrise du français des futurs enseignants, ce professeur a remis à La Presse une poignée de travaux écrits présentés par ses étudiants peu avant sa retraite, en 2015.

Cet expert en éducation le dit haut et fort : « Les étudiants nous arrivent trop faibles. L’éducation est souvent leur dernier choix. »

« Ils ne sont pas assez forts pour entrer en médecine, en génie ou en droit, alors ils se disent : j’aime les enfants, pourquoi pas l’éducation ? »

— Pierre Paradis, professeur retraité en sciences de l’éducation

Un autre professeur d’université qui enseigne toujours dans une faculté d’éducation québécoise fait le même constat. « J’ai l’impression que parfois, faire le choix d’étudier en enseignement, c’est une orientation par défaut, dit ce professeur qui a requis l’anonymat. Qu’est-ce qu’on fait quand on a un DEC en sciences humaines avec ou sans maths, qu’on veut aller à l’université, mais qu’on veut un diplôme qualifiant qui va nous mener à un job ? On choisit l’enseignement. »

La Presse a révélé hier qu’à leur premier essai, près de la moitié des futurs enseignants québécois ont échoué à l’examen de français obligatoire à l’obtention de leur brevet d’enseignement en 2016.

Travaux bourrés de fautes

Jusqu’à sa retraite, M. Paradis demandait chaque année à ses étudiants de réfléchir à des enjeux liés au monde de l’éducation dans un court texte après leur avoir fourni des articles sur ces enjeux.

Dans le cadre de cet exercice, un étudiant au baccalauréat en enseignement a formulé le souhait suivant : « Les ressources devraient être beaucoup plus présente dans les écoles afin d’apporter l’aide nécessaire au jeunes dans le besoin. »

Voici ce qu’a écrit une autre étudiante, cette fois-ci à la maîtrise : « On peut se rendre compte que le système éducatif québécois a subit un certain nombre de changement depuis les années 2000. L’école primaire s’est vu être réorganisée par cycle d’apprentissage comparable à un système déjà effectif en France depuis de nombreuses années. »

Pierre Paradis ne se contente pas de dénoncer les lacunes importantes des futurs enseignants en français. En une quinzaine d’années, il a colligé des milliers de fautes dans les travaux de ses étudiants pour documenter le problème. Avec trois autres collègues de l’UQAR, il a créé un test en ligne gratuit pour aider les futurs enseignants à cibler leurs difficultés et à les corriger.

Trop de futurs enseignants confondent toujours des homophones grammaticaux comme « a » et « à » ou encore « ce » et « se », selon les recherches de M. Paradis. L’accord du participe passé avec « avoir » leur cause bien des problèmes.

« L’apprentissage de l’écriture est basé sur l’apprentissage de règles. Il faut répéter ces règles et les répéter encore pour les acquérir », explique M. Paradis. « Dans les écoles d’aujourd’hui, on priorise la créativité, l’expression d’idées. C’est écrit tout croche, mais ce n’est pas important, les jeunes s’expriment », ironise cet expert en éducation.

Maîtrise « fragile » des règles de grammaire

La maîtrise des règles grammaticales des futurs enseignants de français au secondaire est « fragile ». Et ils se pensent meilleurs en grammaire qu’ils ne le sont en réalité, concluait une étude québécoise – la première sur la question – dévoilée l’hiver dernier.

Cette étude a été réalisée auprès de 85 étudiants sondés lors de leur troisième année de baccalauréat alors qu’ils avaient terminé tous les cours obligatoires de grammaire et de didactique du programme.

« On ne peut pas utiliser cette étude pour dire : les futurs enseignants de français sont incompétents. Ce n’est pas vrai, avertit la vice-doyenne aux études de premier cycle à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, Pascale Lefrançois.

« Ils sont en formation. S’ils méritaient déjà leur brevet d’enseignement, la quatrième année du baccalauréat serait superflue. »

— Pascale Lefrançois

Mme Lefrançois – l’une des cochercheuses de l’étude – fait une comparaison avec une auto-école. « C’est normal que dans une auto-école, des fois, on freine trop tard », dit la professeure de l’Université de Montréal.

Mais comment ces futurs enseignants pourront-ils enseigner les règles de grammaire à leurs élèves si leurs connaissances sont fragiles et qu’ils ne sont même pas conscients de leurs difficultés ?

« On prend conscience pour la première fois du décalage. C’est sûr qu’il faut sensibiliser nos étudiants à cet écart, indique pour sa part Isabelle Gauvin, chercheuse principale de l’étude et professeure de didactique des langues à l’Université du Québec à Montréal. En même temps, c’est à nous comme formateur de prendre cela en charge. On ne peut pas leur reprocher de ne pas le savoir. »

Le problème doit être réglé en amont, dès le premier cycle du primaire, pour que les jeunes arrivent à l’université avec des connaissances plus solides, selon la doyenne de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Monique Brodeur. « Beaucoup de travaux se font actuellement pour consolider l’enseignement de la lecture et de l’écriture dès la maternelle. On peut penser que les compétences et les connaissances de base seront plus solides dans les années à venir qu’elles le sont actuellement », souligne Mme Brodeur.

Lacunes en français des futurs enseignants

Si j’étais ministre de l’Éducation...

Comment mieux préparer les futurs enseignants ? Et comment faire en sorte qu’une fois le brevet acquis, ils continuent à parfaire leurs connaissances ? Des spécialistes proposent des pistes de réflexion.

Calquer le modèle de l’hôpital universitaire

Lorsque vous demandez à Isabelle Gauvin son rêve le plus fou, elle répond : la création d’une école universitaire calquée sur le modèle de l’hôpital universitaire. La professeure de didactique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) croit qu’une formation théorique et pratique en alternance, comme celle des étudiants en médecine, permettrait aux futurs enseignants d’être mieux outillés pour faire leur travail. « Je suis loin d’être convaincue qu’en ce moment, dans la formation initiale, avec des cours de 45 heures cloisonnés par session, sans lien véritable avec le terrain, on y arrive », dit la professeure de l’UQAM.

Imposer une formation de deuxième cycle

À l’image des psychoéducateurs et des orthophonistes, qui ont une formation de maîtrise, les futurs enseignants seraient mieux préparés avec une formation de deuxième cycle obligatoire, croient plusieurs experts en éducation. « On peut penser qu’une formation de deuxième cycle pourrait être fort intéressante à explorer, dit la doyenne de la faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM Monique Brodeur. D’une part parce qu’elle permet une spécialisation professionnelle plus poussée, tout en favorisant la formation continue et l’apprentissage de résolution de problèmes complexes, notamment par une meilleure initiation à la recherche et une meilleure capacité à prendre en compte les connaissances issues de la recherche et les résultats probants. »

Limiter la durée du brevet d’enseignement

Le brevet d’enseignement est actuellement bon pour toute la carrière. « Serait-il possible de dire que l’autorisation est bonne pour cinq ans par exemple et qu’après cinq ans, pour renouveler son autorisation, l’enseignant devra avoir fait la démonstration d’une formation continue ? Les règles actuelles, sans aucune modification de la loi, permettraient de le faire », lance le président de l’Association des doyens, doyennes et directeurs, directrices pour l’étude et la recherche en éducation au Québec, Serge Striganuk. Actuellement, le budget pour la formation continue accordé aux écoles est famélique, déplore celui qui est aussi doyen de la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke.

Repenser les journées pédagogiques

En faveur d’une formation continue obligatoire, Pascale Lefrançois croit qu’il faudrait repenser la formule des journées pédagogiques. Le problème avec le modèle actuel, c’est que les enseignants assistent à une conférence inspirante par-ci, par-là, mais de retour dans leur salle de classe le lendemain, ils n’ont ni le temps ni l’appui nécessaire pour mettre en application les nouvelles connaissances apprises, résume la vice-doyenne aux études de premier cycle à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. « Ne pourrait-on pas faire une semaine de formation à un moment donné, peut-être avant le début de l’année scolaire, plutôt que des journées perlées ? Ou encore moins de journées pédagogiques, mais avec plus de suivi après ? », avance Mme Lefrançois.

Sélectionner des candidats aux profils différents

Hausser les critères d’admission dans les facultés d’éducation en exigeant une cote R plus élevée ? La directrice du Centre d’aide à la réussite de l’UQAM Isabelle Gauvin ne croit pas que ce soit la solution. « Je serais prête à accepter des étudiants avec une cote R plus basse, mais avec des profils différents », souligne-t-elle. « Les meilleurs enseignants ont une grande capacité d’adaptation ; cette capacité à se remettre en question constamment. Des candidats curieux, capables de travailler en équipe. Des gens qui savent que la connaissance n’est pas quelque chose d’achevé », énumère la professeure de didactique des langues.

Réactions politiques

« Le jour de la marmotte »

Les partis de l’opposition à Québec accusent le gouvernement libéral de « traîner les pieds » dans le dossier de la piètre qualité du français des futurs enseignants, alors que le problème est connu depuis des années.

La Presse a révélé hier qu’à leur premier essai, près de la moitié des futurs enseignants québécois ont échoué à l’examen de français obligatoire pour l’obtention de leur brevet d’enseignement en 2016. À l’échelle de la province, le taux de réussite au Test de certification en français écrit pour l’enseignement (TECFEE) à la première passation est même en baisse, oscillant entre 58 % en 2011 et 53 % l’an dernier, selon nos informations.

« Ces dernières années, les ministres de l’Éducation se sont succédé au gouvernement libéral. Tour à tour, ils promettent – la main sur le cœur – qu’ils vont s’attaquer au problème, puis ils sont remplacés. C’est prendre le monde pour des imbéciles », critique le porte-parole de l’opposition officielle en matière d’éducation, Alexandre Cloutier, du Parti québécois (PQ).

Même son de cloche à la Coalition avenir Québec (CAQ) : « Malheureusement, c’est le jour de la marmotte », s’exclame le porte-parole du parti en matière d’éducation, Jean-François Roberge.

« Les résultats au TECFEE ne s’améliorent pas d’une année à l’autre. Les ministres de l’Éducation passent au sein du gouvernement libéral, mais personne ne bouge sur la question. »

— Jean-François Roberge

revoir les critères d’admission

Le PQ et la CAQ croient que les critères d’admission au baccalauréat en enseignement doivent être resserrés.

La réussite du TECFEE doit devenir une condition d’admission, propose la CAQ. À l’heure actuelle, les futurs enseignants passent le TECFEE à mi-chemin de leur parcours universitaire. Ils doivent avoir réussi le test pour faire leur troisième et avant-dernier stage. Or, ils ont droit à un nombre de reprises illimité.

« Les étudiants doivent être avertis avant leur entrée au baccalauréat : “Attention, la barre est haute. Si vous voulez avoir le privilège d’enseigner, vous devez avoir une excellente maîtrise de la langue française” », dit le député caquiste Jean-François Roberge.

« On nous dit que les critères d’admission varient beaucoup d’une université à l’autre, explique pour part le député péquiste Alexandre Cloutier. Ce n’est pas rendre service à un étudiant de le laisser faire un baccalauréat de quatre ans avant de lui dire qu’il n’a pas ce qu’il faut pour enseigner. »

restreindre les passations

Depuis au moins deux ans, l’Association des doyens, doyennes et directeurs, directrices pour l’étude et la recherche en éducation demande au ministère de l’Éducation de restreindre à quatre le nombre de passations.

Le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx a répondu à La Presse, hier en fin de journée, par l’intermédaire de son attachée de presse Marie Deschamps, qu’il avait « toujours exprimé l’intention de limiter le nombre de passations au TECFEE ». Aucun échéancier n’a cependant été fixé pour concrétiser cette promesse, indique le bureau du ministre.

« La Politique de la réussite éducative prévoit d’ailleurs le renforcement de la formation initiale et continue du personnel scolaire et du personnel des services de garde éducatifs à l’enfance puisqu’il s’agit d’un facteur de réussite éducative », ajoute le bureau du ministre.

Le problème dans le contexte

De son côté, Québec solidaire (QS) trouve aussi la statistique « inquiétante ». Cela dit, il est « trop facile » de lancer la pierre aux futurs enseignants et enseignantes du Québec, avertit le député de QS Gabriel Nadeau-Dubois. « Il y a des ministres actuels qui ne l’auraient pas réussi, ce test-là », lance M. Nadeau-Dubois.

« Il faut mettre le problème dans un contexte, poursuit le député de QS. Notre système d’éducation est de moins en moins capable d’apprendre le français correctement aux jeunes. On doit améliorer l’enseignement du français en amont. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.