Chronique

La justice sur des roulettes

Vers 13 h hier, les gens qui se tenaient au parc Émilie-Gamelin ont vu apparaître un étrange véhicule. Les « juristes urbains » ont débarqué avec leur bureau à roulettes. Tiré à vélo, ce cabinet mobile va se promener cet été à Montréal pour offrir des consultations d’avocats et de notaires gratuites – et confidentielles.

Après avoir lancé les cliniques dans le métro et toutes sortes d’initiatives, Juripop s’en va encore répandre ses conseils hors des sentiers juridiques battus.

« Ce n’est surtout pas un show d’avocats, insiste Julien David-Pelletier, directeur général sortant. On veut aller rejoindre les gens dans les quartiers populaires, souvent simplement pour les mettre en contact avec des ressources. »

Démarré par une gang d’étudiants et de tout jeunes avocats, Juripop est un bureau de six juristes à but non lucratif qui, en plus de consultations gratuites, offre des services à ceux qui ne sont pas admissibles à l’Aide juridique (ceux qui font un peu plus que le salaire minimum), ou pour des actes qui ne sont pas couverts. On exige une contribution de 55 à 70 $ l’heure, selon le revenu, pour couvrir les frais. On devine que les avocats y sont par conviction plus que pour la paye – 35 000 à 45 000 $ par an.

Malgré la promesse d’un financement stable du gouvernement libéral en 2012, c’est toujours de grippe et de grappe que Juripop boucle son budget. Sociofinancement, soirées-bénéfices, contributions de la Chambre des notaires (beaucoup) et du Barreau (pas beaucoup).

« On remplit une des fonctions essentielles de l’État, on le fait avec enthousiasme, mais c’est toujours à recommencer. »

— Julien David-Pelletier, directeur général sortant de Juripop

Au départ, les autres avocats étaient méfiants, certains craignant une sorte de concurrence déloyale. « On ne vole aucune clientèle, on offre des services essentiellement à des gens qui n’auraient pas recours à un avocat ; on estime que 80 % des besoins juridiques ne sont pas comblés. »

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Les procès sont de moins en moins nombreux, mais ils sont de plus en plus longs. Et malgré les succès de l’arbitrage, de la médiation (par avocats ou par juges), malgré une réforme de la procédure, les délais ne semblent pas fondre encore.

Alors, en attendant que les robots épluchent la jurisprudence pour les avocats (ça se fait beaucoup aux États-Unis, et ça s’en vient ici), une nouvelle génération essaie d’emprunter de nouvelles avenues. Des avenues hors système. On a vu apparaître des initiatives comme Onregle.com (lire « On règle »). Il s’agit d’un site de règlement à l’amiable et de procédures à faible coût. Ça ne remplacera évidemment jamais les avocats, mais ça peut aider à les contourner.

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L’élection récente du plus jeune avocat à avoir présidé le Barreau en 168 ans d’existence ne provoquera peut-être pas la « révolution » qu’il a promise en campagne électorale. Mais l’arrivée de Paul-Matthieu Grondin, avocat de 33 ans issu d’un petit bureau montréalais, est en soi un phénomène.

« Le problème des délais, il est connu depuis longtemps, mais pour que le Ministère agisse, il a fallu l’arrêt Jordan » (et la libération d’accusés, certains dans des causes de meurtre).

Il décrit un système qui comporte trop d’étapes, encore trop dépendant du papier, en retard d’une génération au moins en matière d’informatisation et qui n’a que très peu de données sur son efficacité : la justice n’a pas encore changé de siècle.

« Pour déclencher une procédure, je dois envoyer un messager faire timbrer la procédure au palais de justice, je dois ensuite remettre la procédure en papier à un huissier qui ira la signifier à l’autre partie. Alors que tout pourrait très bien se faire par informatique. »

Le coût de la justice la rend inaccessible à la majorité, mais il n’y a jamais eu tant d’avocats sur le marché : 27 000 pour le Québec. « Plusieurs exercent au rabais, dans leur sous-sol, sans compter ceux qui n’ont pas d’emploi. Je veux mettre ça en lumière. »

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En attendant la révolution, les Juristes urbains rouleront vers leur public, dans différents terrains vagues transformés en parcs grâce à l’organisme Lande, qui a verdi des bouts de Montréal naguère en friche. Après Émilie-Gamelin hier et aujourd’hui, ils iront entre autres au parc Basile-Patenaude à Rosemont les 17 et 18 juin, puis au terrain de l’Arpent vert à Hochelaga-Maisonneuve les 8 et 9 juillet.

Cette clinique populaire réinventée, c’est du microdroit, au plus près des gens, pour parler logement, famille, travail, répondre à des questions, vulgariser, etc.

Ce n’est pas une révolution, mais cet été, il y a au moins ça qui fonctionnera vraiment sur des roulettes dans ce système qui tarde à se réinventer…

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