Diversité

Tous pareils ? Oui, mais…

« Des mots comme fif, tapette, fag, homo… vous avez déjà entendu ces mots-là ? Levez la main si vous avez entendu ces mots-là dans la dernière semaine seulement. »

La trentaine d’élèves de troisième secondaire à qui l’on pose la question réfléchit un court instant. Puis, la presque totalité des jeunes lève la main.

« Ces mots-là, quand vous les utilisez entre vous, est-ce que c’est pour dire à un ami : "Je sais que tu es homosexuel, et sache que je suis homophobe" ? », lance Maureen Adegbidi, animatrice pour l’organisme Ensemble pour le respect de la diversité.

« Non… », répond le groupe à l’unisson.

« Alors, est-ce que c’est utilisé de façon positive ? Genre "c’est vraiment beau ce que tu portes, c’est vraiment classe, c’est vraiment fif !" », ajoute Sarah Bilodeau, coanimatrice de l’atelier.

« Non ! rétorquent de nouveau les élèves en riant.

— Alors, comment on utilise ces mots ? demande Sarah.

— C’est péjoratif, résume un garçon assis en première rangée.

— Oui, mais madame, quand on le dit, c’est un peu juste pour rire, risque une élève assise tout près.

« C’est vrai, mais il y a quelque chose de très stressant quand tu découvres que tu es ce avec quoi les gens s’insultent, explique Sarah après quelques minutes de discussion. Ça vaut la peine de trouver d’autres termes, vous ne croyez pas ? » Les jeunes opinent, et l’atelier se poursuit.

Pendant une heure, les deux intervenantes abordent ainsi, de façon très directe, des sujets comme le sexisme, le racisme et l’homophobie. L’objectif : briser les préjugés en présentant des faits aux jeunes et en les amenant à se mettre à la place de ceux qui en souffrent. L’organisme Ensemble pour le respect de la diversité offre un atelier plus général et des séances plus ciblées lorsque les écoles désignent un problème en particulier. Nous avons assisté à la séance d’introduction au Collège de Montréal, au début du mois d’avril.

Un jeu pour comprendre

Afin d’illustrer les effets des inégalités qui touchent les personnes vivant avec un ou plusieurs traits minoritaires, l’organisme invite les jeunes à participer à un jeu de rôle. Quatre adolescents se trouvent devant la classe, sur une même ligne imaginaire. Chacun reçoit un carton avec des caractéristiques spécifiques (homme, femme, Noir, Blanc, hétérosexuel ou homosexuel).

Sarah invite les jeunes à avancer d’un pas chaque fois qu’une affirmation les concerne.

« Avance si tu peux marcher la nuit à l’extérieur sans t’inquiéter. »

« Avance si tu peux embrasser ton amoureux ou ton amoureuse en public sans craindre le jugement des autres. »

« Avance d’un pas si personne ne te dit de retourner dans ton pays si tu n’es pas content. »

À mesure que les questions se succèdent, un jeune distance les autres. Les adolescents l’ont deviné : sur son carton, il est écrit « homme, Blanc, hétérosexuel ». Derrière lui, le groupe comprend que ses camarades jouent le rôle d’une femme blanche homosexuelle, d’un homme noir hétérosexuel… et, loin derrière, d’une femme noire homosexuelle, toujours au point de départ.

« On dit qu’on vit dans une méritocratie. Que dans notre société, on donne le pouvoir aux plus méritants. On dit que si on travaille tous aussi fort, on va tous être capables d’atteindre le même objectif. On va faire le test. »

— Sarah Bilodeau

Elle tend une balle à chaque jeune. Chacun doit lancer la sienne dans un panier à l’avant. Le premier, collé sur l’objectif, y arrive sans peine. Plus on s’éloigne, plus le lancer s’avère difficile pour les participants. Le jeune qui joue le rôle de la femme noire homosexuelle rate le panier.

« Qu’est-ce que tu as fait de spécial pour mériter d’être devant les autres ? », demande Sarah au jeune premier.

— Euh… je suis né ?

— En effet ! Tu es né comme ça. D’un autre côté, est-ce que c’est de ta faute ? Est-ce que tu as fait des jambettes aux autres pour les empêcher d’avancer ?

— Non. »

L’échange se poursuit et, au bout d’un moment, les jeunes conviennent qu’en collaborant (en se passant la balle les uns les autres), ils peuvent atténuer ces différences et permettre à la dernière personne de réussir, elle aussi. « Quand on est en avant, on a tendance à dire "travaille plus fort, arrête de chialer", rappelle Maureen. On n’est pas une mauvaise personne : on ne se rend juste pas compte de ces privilèges, qui sont invisibles. »

Les animatrices insistent d’ailleurs beaucoup sur ce point : l’idée n’est pas de trouver un coupable, mais de comprendre la réalité des personnes « qui cumulent ces traits minoritaires ».

« On pense que ce jeu peut susciter l’empathie, la solidarité des jeunes envers d’autres groupes, pour qu’ils puissent comprendre que l’idéal de la méritocratie n’est pas totalement présent dans notre société », ajoute Miguel Simão Andrade, animateur-recherchiste pour l’organisme.

Pourquoi en parler ?

À la fin de l’atelier, l’organisme distribue un bout de papier à chaque élève. Ils doivent notamment cibler quel est l’enjeu de discrimination le plus important dans leur école. En 2016-2017, pour les quelque 30 000 élèves sondés, l’homophobie s’avère la question la plus sensible dans leur environnement, suivie du racisme, du sexisme et des enjeux liés aux religions.

« Quand on pose la question aux jeunes pour savoir s’ils entendent des insultes homophobes, ils lèvent quasiment tous la main. On est en 2018 et il y en a encore, des insultes homophobes dans les écoles. Ce type d’atelier est essentiel. »

— Sébastien Barangé, président du conseil d’administration d’Ensemble pour le respect de la diversité

La nécessité de parler de diversité échappe d’ailleurs à certains jeunes. « Pourquoi on en parle autant ? Pourquoi on ne dirait pas : un humain, c’est un humain, that’s it ? », demande un garçon. L’adolescent ne comprend pas pourquoi des groupes demandent qu’il y ait une représentation plus grande des minorités à l’écran, notamment au cinéma.

« C’est plus compliqué que ça, commence Maureen. Quand moi, j’étais jeune, là où j’habitais, quand j’allais au magasin, il n’y avait pas de Barbie qui me ressemblait. Aucune n’avait la peau noire. Quand tu es jeune, tu te demandes comment ça se fait. Quand tu fais partie d’un groupe qui est représenté partout, tu vois qu’il y a beaucoup de rôles possibles pour toi. Quand ce n’est pas le cas, tu te demandes : “Est-ce que je peux faire ça, moi ?” »

Lorsque nous rapportons cet échange à la directrice du Collège de Montréal, Patricia Steben, elle explique que même si les jeunes font preuve d’une plus grande ouverture aujourd’hui, ces discussions sont nécessaires. « Plus on va en parler, moins il y aura de discrimination, soutient-elle. On a des élèves qui aiment bien comprendre pourquoi c’est comme ça. C’est correct de remettre certaines choses en question, et si c’est fait avec respect, nous sommes bien à l’aise avec ça. »

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