Chronique

Chacun ses héros

PyeongChang — Je vous écris de Biathlonie, un pays aussi lointain que la Corée. Le relais des hommes vient de prendre fin. Les Français, qui comptaient sur le meilleur au monde, Martin Fourcade, se sont plantés. Les athlètes bleus passent un à un se confesser devant les journalistes français, agglutinés sur la clôture. Les enregistreurs sont tendus par des mains gelées, ça se bouscule un peu, laisse-moi une place, rahlala, fallait venir plus tôt…

À 20 mètres de là, les athlètes canadiens, une fois toutes les sortes de radio-canadas passées, sont accueillis par un journaliste spécialisé, et moi. C’est normal.

Depuis Myriam Bédard et ses deux médailles d’or historiques, ce sport est redevenu presque aussi exotique pour nous.

Pourtant, une seule visite convertit l’amateur. Les gradins sont pleins, tout le monde est debout, ça crie. Dans ce relais, chaque skieur fait une boucle de 2,5 km, un tir couché, une boucle de 2,5 km, un tir debout, une dernière boucle de 2,5 km, on touche le suivant, il part à son tour. C’est un sport spectaculaire, plein de rebondissements. Mais qui au Canada va voir du biathlon ?

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« J’ai vu qu’il y avait une ouverture, j’ai foncé, je sais combien c’est frustrant d’être pris dans le milieu », a dit le Canadien Christian Gow, qui a été premier et deuxième pendant la moitié de son circuit.

C’est son frère Scott qui prenait le relais. Les deux ont commencé à pratiquer la discipline après un camp d’été à Calgary où l’on faisait essayer des sports olympiques aux enfants. Les Canadiens ne se débrouillent pas trop mal, mais ils sont loin de l’élite. Le relais a néanmoins décroché le bronze au Championnat du monde en 2016, en Norvège.

« Il y a tellement de vent aujourd’hui, ton corps bouge, c’est difficile d’être stable pour atteindre la cible », a dit Macx Davies, substitut inscrit hier à la course. Il avait le sourire du gars qui n’en revenait pas d’avoir vraiment « fait » les Jeux olympiques in extremis.

Le quatrième s’appelle Brendan Green et il a déjà gagné le prix Myriam-Bédard, remis au meilleur athlète de biathlon au pays. Eh non, moi non plus, je ne savais pas que ça existait.

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Revenons à Martin Fourcade. Trois médailles d’or à ces Jeux. Il devient l’athlète olympique le plus titré. Il entre dans la légende du sport. La France entière espérait une dernière médaille ce matin, mais quand son coéquipier lui a tapé dans le dos pour prendre le troisième relais, il n’y avait plus rien à faire.

Hier, Le Figaro publiait un article pour mesurer la notoriété de Fourcade. À part les pays européens où le biathlon est un sport immensément populaire, et où il est vénéré… Martin qui ?

Tous les pays couvrent leurs athlètes, c’est normal, et couvrent les sports qui sont populaires à la maison. Il n’y a aucun athlète canadien au combiné nordique, vous ne lirez pas grand-chose là-dessus à Montréal.

Les couvertures télé suivent les mêmes principes, avec plus ou moins de chauvinisme. Mon propos n’est pas ici de déplorer ces visions en tunnel. Mes collègues français qui s’étonnent de voir le rayonnement de Martin Fourcade sombrer dès qu’il arrive au niveau de l’Atlantique seraient bien en peine de nommer le vainqueur canadien du 10 000 m en patinage de vitesse, ou les champions du courte piste, du ski acrobatique, etc. Mikaël Kingsbury, dans un vox pop à Lyon…

Je ne fais que relever ceci : les vedettes de sport olympique réellement « mondiales » sont très rares.

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En arrivant dans la zone mixte de l’ovale olympique, il n’est pas très difficile de repérer les Néerlandais, tant par la taille que par le nombre. Pour leur public, Ireen Wüst, Sven Kramer ne sont pas des noms entendus une fois tous les quatre ans. Ce sont les plus grandes figures sportives du pays, à l’égal des joueurs de soccer, ou pas loin. Mais en dehors de leur pays, en dehors du monde des spécialistes de l’ovale, ces noms ne résonnent pas beaucoup.

Même chose pour Kamil Stoch, que j’ai vu gagner devant des Polonais en délire sa deuxième médaille des Jeux au saut à ski. On peut tracer un rayon très précis des pays qui se passionnent pour ce sport infiniment étrange vu de chez nous. Mais se passionner vraiment. Une autre immense star inconnue. Non pas un grand athlète méconnu de tous. Mais un athlète vénéré dans quelques pays et totalement inconnu ailleurs.

Ce qui rend d’autant plus méritoire l’émergence d’un athlète au plus haut niveau dans un sport peu populaire, sans base d’élite très large, comme Alex Harvey en ski de fond ou Myriam Bédard en biathlon.

Ou, non moins spectaculaire, l’équipe féminine de curling de la Corée du Sud, qui s’est qualifiée hier pour la finale. Je prends pour elles, je l’avoue.

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