QUATRE MOTS POUR COMPRENDRE

L’Allemagne s’inquiète de la liberté de sa presse

Depuis quelques jours, l’Allemagne est secouée par une crise mettant en scène des journalistes d’enquête, un ministre de la Justice accusé d’incompétence, un procureur général mis en retraite forcée et l’organisme responsable des renseignements internes, le tout sur fond de manifs de solidarité et de soutien à la liberté de presse. Quatre mots pour démêler l’affaire.

TRAHISON

La semaine dernière, la crise a éclaté quand Netzpolitik, un important site web d’information en Allemagne, spécialisé dans les questions de renseignement et de vie privée, a dévoilé que deux de ses journalistes faisaient l’objet d’une enquête. La raison ? Des soupçons de « haute trahison » liés à la publication de documents très secrets sur les agissements d’une équipe du ministère de l’Intérieur pour recueillir des renseignements privés sur l’internet. La procédure en justice contre les journalistes, en matière de trahison, a été entamée à la suite d’une plainte de l’agence intérieure de renseignement allemande, qui n’en peut plus de voir régulièrement certains documents confidentiels faire l’objet de fuites à la presse. « Sauf qu’en Allemagne, ce mot est très sensible, et une telle procédure n’a pas été entamée depuis plus de 50 ans, explique Matthias Spielkam, porte-parole de Reporters sans frontières (RSF) à Berlin. C’est un sujet vraiment énorme. » Y avoir recours, ajoute-t-il, c’est mettre en cause un des piliers de la liberté de la presse. Et une accusation de trahison peut mener à la prison à vie. Du sérieux.

SPIEGEL

Pourquoi l’Allemagne est-elle si sensible au mot « trahison » invoqué contre des journalistes ? Parce qu’en 1962, un rédacteur en chef de la revue Spiegel avait été ainsi accusé de haute trahison, à cause d’un article sur le sous-équipement de l’armée de l’Allemagne de l’Ouest de l’époque, article qui avait enragé le ministre de la Défense d’alors. La poursuite avait plongé le pays dans une crise et soulevé un important mouvement en faveur de la liberté de la presse – on était en 1962, face à l’Allemagne de l’Est, dont on dénonçait l’absence de liberté de la presse – et le tout avait mené à la démission du ministre de la Défense.

RETRAITE

En Allemagne, bon nombre de journalistes se demandent comment le ministre de la Justice a pu laisser le procureur général avoir même l’idée d’enquêter sur des journalistes pour une question de haute trahison. Certains se demandent aussi pourquoi on vise les journalistes qui publient les informations et non pas ceux, à l’intérieur des institutions gouvernementales ou parlementaires, qui ne respectent pas les engagements de confidentialité au sujet des informations sur la récolte secrète de renseignements sur l’internet. Mais c’est le procureur général, celui qui a poursuivi l’enquête et critiqué ouvertement l’ingérence du ministre de la Justice – son patron – dans cette affaire, qui a écopé. À 67 ans, il a été mis à la retraite forcée.

LIBERTÉ DE LA PRESSE

Dès que Netzpolitik a fait état de l’enquête, une vague de solidarité a déferlé sur l’Allemagne. Le week-end dernier, en pleines vacances, quelques milliers de Berlinois sont descendus dans la rue pour défendre la liberté de la presse. C’est après cela que le ministre de la Justice a écourté ses vacances pour tenter de mettre fin à la crise en limogeant son procureur. Les journalistes croient-ils que la liberté de la presse est menacée ? « Pas du tout pour les journalistes des grands médias », répond Matthias Spielkam qui, en plus d’être lié à RSF, travaille pour le site iRights, spécialisé dans les aspects juridiques de la numérisation de l’information. « Mais pour les plus petits sites, ça refroidit un peu, quand même… »

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