Opinion : Discours du général De Gaulle

La dette de Louis XV

« Ce soir ici, et tout le long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération… La France entière sait, voit, entend, ce qui se passe ici et je puis vous dire qu’elle en vaudra mieux. »

« Vive Montréal ! Vive le Québec ! Vive le Québec libre ! Vive le Canada français ! et vive la France ! »

— Extraits du discours historique du général de Gaulle du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, le 24 juillet 1967

Charles de Gaulle n’était pas homme à improviser. Historien de la chose militaire, il n’ignorait pas que le roi Louis XV, deux siècles plus tôt, avait abandonné les siens. Oui, abandon par la France d’un peuple de colons et de paysans français venu en terre d’Amérique pour peupler et développer la Nouvelle-France.

Après la bataille des plaines d’Abraham en septembre 1759, la France aurait pu, selon certains, reprendre la Nouvelle-France si elle y avait consacré les ressources nécessaires.

Faut-il rappeler qu’en avril 1760, ce sont les Anglais sous Murray qui ont perdu la bataille de Sainte-Foy ?

Avec la signature du traité de Paris en 1763 à l’issue de la guerre de Sept Ans impliquant la France, l’Angleterre et leurs alliés respectifs, les Français ont préféré la Guadeloupe et la Martinique à la Nouvelle-France. Comment pouvait-il en être autrement puisque selon Voltaire, ce pays était couvert de neige et de glace huit mois de l’année, habité par des barbares, des ours et des castors !

Par la mer

C’est à la lumière de cette toile de fond historique qu’il faut considérer l’acceptation du général de participer à l’Exposition universelle de 1967 à la suite de l’invitation de Québec et d’Ottawa. Au lieu d’atterrir en avion à Ottawa comme le souhaitait le gouvernement fédéral, le général préféra arriver directement à Québec par mer en empruntant le trajet de l’estuaire du Saint-Laurent comme l’avait fait jadis Jacques Cartier. Tout le long du chemin du Roy, de Québec à Montréal, de villes en villages, de Gaulle de répéter dans ses discours : la France a le devoir de vous aider. Il y a longtemps qu’elle vous doit quelque chose…

Les discours prononcés par le général avaient été préparés à Paris avant son voyage, révisés, corrigés et réécrits par lui sur le vaisseau amiral Le Colbert.

Il avait déclaré à son entourage avant de quitter le port de Brest : voilà la dernière chance de racheter la lâcheté de la France. Les quatre mots explosifs VIVE LE QUÉBEC LIBRE étaient prémédités. Il fallait pour le général, choisir le bon moment… Rien n’était officiellement prévu pour que le général prenne la parole au balcon de l’hôtel de ville de Montréal mais un micro providentiel s’y trouvait, au grand dam du maire Jean Drapeau.

Le discours du balcon de l’hôtel de ville fit grand bruit. Pour certains il s’agissait d’une incitation à la sécession et une immixtion étrangère inacceptable dans les affaires internes du Canada. Pour d’autres, le général n’a fait que souligner la liberté du peuple québécois de choisir sa destinée et son droit à l’autodétermination. Le Québec n’est-il pas aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement ? Il ne faut pas par ailleurs négliger la pensée géopolitique du général face à l’hégémonie américaine et anglo-saxonne.

Ce discours du balcon de l’hôtel de ville doit être situé dans le contexte de la Révolution tranquille et de l’accélération des échanges culturels, économiques et techniques entre la France et le Québec à partir de 1961, sous l’impulsion du général de Gaulle : voici que l’évolution, si elle a pu nous séparer, nous rapproche maintenant directement. Il s’agit cette fois, non point seulement de sentiments à partager, mais de choses à faire ensemble.

De Gaulle a payé la dette de Louis XV !

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