Chronique

Verdict du huard : Clinton a gagné

Hillary Clinton a gagné le débat. Haut la main. Mon opinion n’est pas partagée par tous, bien sûr. En revanche, c’est aussi l’avis des spéculateurs sur les marchés financiers, qui ont fait grimper fortement le dollar canadien et le peso mexicain devant la performance inattendue de Clinton.

Qu’est-ce qui me pousse à lier la hausse de ces monnaies à la performance de Clinton ? Je vous explique.

Les négociateurs sur les marchés financiers réagissent très rapidement aux nouvelles qui peuvent influencer la valeur de leurs titres. Une bonne nouvelle fait instantanément monter un titre, une mauvaise le fait reculer.

Pour le Canada et le Mexique, le principal enjeu de cette joute électorale est l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Trump affirme qu’il s’agit du pire accord négocié par les États-Unis, qu’il le déchirera s’il est élu. Son élection probable est donc de mauvais augure pour l’économie canadienne, ce qui fait pression à la baisse sur notre monnaie.

De son côté, Clinton ne vante certes pas l’ALENA, mais son opinion est moins catégorique, ce qui laisse croire aux observateurs – notamment aux spéculateurs – que la situation sous sa présidence se rapprochera du statu quo. Son élection probable a donc tendance à pousser le dollar canadien et le peso à la hausse.

En ce qui concerne l’Europe, l’ALENA n’est pas un enjeu, et l’euro ne devrait pas être influencé significativement.

Or, vérification faite, le comportement des trois monnaies durant les 94 minutes du débat reflète précisément ce phénomène. Pendant le débat, le huard a grimpé de 55 centièmes de cents, ou 0,73 %. Même chose pour le peso, avec une hausse de près de 2 %. Quant à l’euro, il est demeuré à peu près stable.

Deux cambistes montréalais le confirment. « La hausse du dollar durant le débat signifie que Clinton a relativement mieux fait que prévu ou que Trump n’a pas cartonné autant qu’on pensait », explique notamment Anthony Colizza, cambiste senior à la Banque Laurentienne.

Sortons la loupe. Durant les 30 premières minutes du débat, Trump avait l’avance. Il répétait que des milliers d’Américains avaient perdu leurs emplois à cause des pays étrangers, notamment la Chine et le Mexique. Il nommait des régions américaines dévastées, comme le Michigan et l’Ohio. Selon lui, les accords de libre-échange en sont la cause, notamment l’ALENA.

Face à cette offensive, qui était prévue, le dollar canadien et le peso sont demeurés à peu près stables.

Or, le comportement du huard a complètement changé lorsque Clinton est passée à l’attaque, à 21 h 35. Les premières salves de la candidate démocrate ont porté sur le refus de Trump de dévoiler ses déclarations de revenus, contrairement à tous les autres candidats présidentiels depuis 40 ans.

Elle a ainsi émis l’hypothèse que son concurrent ne payait pas d’impôt fédéral depuis plusieurs années. « Zéro impôt signifie zéro pour les troupes de l’armée, zéro pour les vétérans, zéro pour les écoles et zéro pour la santé. Cela doit être terrible à cacher [aux électeurs américains] », a-t-elle dit à 21 h 35.

Étonnamment, Donald Trump a qualifié d’« intelligent » ce comportement d’affaires (smart).

À partir de ce moment, le dollar canadien a bondi. Il a continué sur sa lancée quand Clinton a rappelé les plaintes de nombreux ex-employés de l’entreprise de Donald Trump, que l’entrepreneur aurait injustement refusé de payer. « Ne méritent-ils pas une forme d’excuses ? », a dit Clinton.

À 21 h 47, le huard a atteint un premier sommet, à 75,80 cents US, en hausse de 39 centièmes (0,54 %). Clinton se démarquait.

Un peu avant 22 h, le modérateur Lester Holt a fait prendre une autre tournure au débat. Il a interrogé Trump sur son entêtement (jusqu’en janvier 2016) à affirmer que Barack Obama n’était pas né aux États-Unis, malgré les documents produits en 2011. Trump s’est embourbé dans ses explications. Et Clinton en a rajouté.

« Écoutez ce que vous venez d’entendre, a-t-elle dit à la salle, ce qui a soulevé les rires. Trump a réellement commencé sa carrière politique en disant que le premier président noir n’était pas américain. Il n’avait absolument aucune preuve, mais il a persisté à l’affirmer, année après année », a dit Clinton.

La politicienne a continué sur cette lancée en rappelant qu’au début de sa carrière, Trump avait été poursuivi par la justice pour avoir refusé de louer ses appartements à des Noirs.

La réaction du huard est éloquente. Après être retombé, il est remonté à 75,77 cents US à 22 h 09.

Vers 22 h 19, nouveau moment marquant : Trump s’est obstiné avec le modérateur, niant qu’il ait appuyé l’invasion américaine en Irak, malgré ses déclarations passées.

Puis, à 22 h 32, il a dû expliquer longuement son commentaire sexiste à l’endroit d’Hillary Clinton, de qui il avait dit qu’elle n’avait pas le « look présidentiel ».

Les spéculateurs ont bien noté la position continuellement défensive de Trump. À 22 h 41, trois minutes après la fin du débat, ils ont poussé le dollar canadien à un nouveau sommet de 75,94 cents US, en hausse de 55 centièmes (0,73 %). Le peso a suivi la même courbe montante.

Plusieurs sondages et commentateurs politiques qualifient le débat de match nul. Visiblement, les spéculateurs qui gèrent des milliards de dollars ne sont pas de cet avis : c’est Clinton qui a gagné.

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