Analyse

Les libéraux dans un passage à vide

Québec — Le Parti libéral du Québec est dans le pétrin. Ceux qui misaient sur une renaissance à court terme viennent d’avoir un rendez-vous, sans merci, avec la réalité : André Fortin, candidat le plus probable à la succession de Philippe Couillard, vient de déclarer forfait.

Bien sûr, il faut croire les explications qu’il donnait hier. Père de deux petites filles, il a senti qu’il serait plus utile auprès de sa famille qu’à sillonner le Québec pour enclencher la « reconstruction » du Parti libéral. Mais la faiblesse du PLQ chez les francophones – un plancher historique autour de 10 % – a sûrement pesé dans la balance.

La vieille règle de l’alternance qui veut que les Québécois élisent leurs gouvernements pour deux mandats peut forcer tout nouveau chef à attendre huit ans avant d’avoir une véritable chance d’accéder au pouvoir. Cela veut dire subir une autre défaite en 2022. Et, par la suite, si le ciel se dégage au-dessus de la tête du PLQ, faire face à la convoitise de vizirs qui se gardent bien de lever la main aujourd’hui.

Sur le terrain, Fortin était celui qui pouvait compter sur le plus grand nombre d’appuis au sein du caucus. Il pouvait compter sur la mouvance de Pierre Moreau. Déjà, dans son camp, on prévoyait annoncer ses trois premiers appuis au conseil général du parti, au début de mai à Drummondville – son clan pensait pouvoir compter sur une quinzaine des 29 députés libéraux élus. Avec le recul, on peut se demander d’où lui venait ce supposé ascendant sur le PLQ. Issu du Parti libéral du Canada, peu connu, ce représentant de l’Outaouais n’aurait pas modifié d’un iota la position traditionnelle du PLQ sur la laïcité, en dépit des doutes exprimés par les Sébastien Proulx et Gaétan Barrette derrière des portes closes. À 37 ans, il reste de toute évidence en réserve ; il aura seulement 45 ans aux élections de 2026.

Fortin jette l’éponge, mais Dominique Anglade reste en piste. Seule pour le moment, même si elle n’a toujours pas officiellement annoncé sa candidature. On ne doit pas attendre d’elle de signe tangible de sitôt. Des libéraux soupèsent l’impact d’une femme, d’une citoyenne racisée à la tête d’un parti devenu « montréalocentriste » et se demandent quel accueil elle aurait hors des grands centres urbains. Quel accueil aurait-elle à Trois-Rivières, à Matane ? Son passage comme présidente de la Coalition avenir Québec (CAQ) fait aussi tiquer les libéraux de souche.

Chez les libéraux, on ne souhaite pas de couronnement. Le PLQ a besoin des feux de la rampe que procure une course à la direction.

Le gouvernement Trudeau est dans le pétrin ? Une Mélanie Joly ou un François-Philippe Champagne seraient peut-être intéressés ? Les libéraux rêvent à voix haute. On peut penser que les associations de circonscription qui, massivement, avaient réclamé que le choix se fasse rapidement, dès 2020, seront désormais plutôt d’avis de lever le pied de l’accélérateur pour s’assurer qu’une rivalité puisse attirer l’attention de la population. Mais le PLQ est dysfonctionnel ; on agonise sur le choix d’un nouveau directeur du parti, une décision qui devait se prendre à la fin du mois de février.

En 1993, Gérald Tremblay rassurait les militants – il devait livrer bataille à Daniel Johnson, le choix de l’establishment libéral ; littéralement à la veille de son annonce, M. Tremblay a tourné casaque et laissé tomber ses disciples. En juin 2005, François Legault avait fait la même chose à ses supporters, en renonçant à se lancer dans une course à la succession de Bernard Landry à la tête du Parti québécois. Le péquiste Sylvain Gaudreault doit se souvenir encore qu’il avait appuyé publiquement Bernard Drainville quelques heures avant que ce dernier n’appuie Pierre Karl Péladeau.

Une plateforme pour Rizqy pour 2022

Hier, la députée de Saint-Laurent, Marwah Rizqy, disait sans détour préparer une plateforme pour 2022. Et du même coup tournait en ridicule des éléments du programme qu’elle avait défendu comme candidate de Philippe Couillard. Pour elle, pas question de se présenter avec « des pailles en bambou » et une deuxième carte soleil comme proposition aux électeurs. Elle peut se lancer dans la course, essentiellement pour faire mousser sa notoriété ; c’est ce qu’avait fait Pierre Paradis pour se démarquer du peloton des députés en disputant la direction à Robert Bourassa et Daniel Johnson en 1983.

Le PLQ n’en est pas à ses premiers moments difficiles après une défaite électorale. Mais il n’a jamais été aussi mal en point. En 1978, après la raclée de novembre 1976, les libéraux étaient parvenus à convaincre le directeur du Devoir Claude Ryan de faire le saut en politique – alors que le fidèle Raymond Garneau avait été un choix évident. En 1994, Daniel Johnson avait eu des heures difficiles, à tel point qu’il avait dû passer la main à Jean Charest, qui bénéficiait de l’aura de la campagne référendaire de 1995. Même Charest avait eu des jours difficiles avant de l’emporter en 2003. Philippe Couillard, en 2013, n’était pas seul en piste – Pierre Moreau et Raymond Bachand étaient sur les rangs –, mais à l’évidence, il était le plus probable choix des délégués.

Le PLQ a déjà eu des passages à vide, mais jamais aussi profonds. Alexandre Taillefer, Pierre Moreau, Sébastien Proulx et désormais André Fortin : le placard des chefs aux oubliettes déborde déjà. Denis Coderre a aussi dit qu’il ne serait pas sur les rangs.

La « reconstruction » d’un parti réduit à ses militants allophones et montréalais est un défi titanesque. « J’avais plus peur de gagner la chefferie qu’autre chose », a dit candidement André Fortin hier. Pour des considérations familiales, soit. Mais l’ampleur de la tâche devait tout de même lui donner le vertige.

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