OPINION ATTENTAT À LONDRES

Vivre avec le terrorisme

Ce n’est pas une position défaitiste, mais un appel à la raison plutôt qu’aux émotions

On connaît l’engrenage : à chaque attentat terroriste, l’opinion publique réclame le renforcement des mesures de sécurité. Chaque fois, les politiciens cèdent à la pression.

Un nouveau contrôle apparaît à l’aéroport, une nouvelle caméra est installée à l’entrée d’un édifice, une nouvelle carte à puce plus performante est imposée pour circuler d’un endroit à un autre.

Et pourtant, l’histoire se répète. Les terroristes trouvent toujours une faille et parviennent à frapper, le plus souvent de manière assez simple. Une voiture, un couteau ont semé l’horreur et la mort à Londres avant-hier, à quelques mètres du Parlement, là même où se décide la sécurité du pays.

La peur s’installe

Le terrorisme provoque des réactions démesurées, et c’est là une grande partie de sa force. Il cherche à instiller l’angoisse, à semer la panique. Il suscite ces sentiments d’autant plus facilement que des spécialistes en mal de publicité n’hésitent pas à exagérer la dangerosité des terroristes en suggérant, par exemple, qu’ils peuvent s’emparer d’une arme nucléaire.

La peur de la population se reflète dans les sondages où les répondants réagissent en fonction de leurs émotions plutôt que de la raison.

En septembre dernier, quelques semaines après l’attentat de Nice où 86 personnes ont péri happées par un camion, l’hebdomadaire britannique The Economist publie un long article intitulé « Apprendre à vivre avec le terrorisme » où il remet les pendules à l’heure. L’auteur décrit la perception de l’opinion publique concernant la dangerosité du terrorisme et l’action des gouvernements pour le combattre. Les résultats sont hallucinants.

Ainsi, aux États-Unis, un sondage brosse le tableau d’une population convaincue que le groupe État islamique (EI) est « une grave menace à l’existence ou à la survie des États-Unis ». Les répondants sont incapables d’évaluer la menace réelle de l’EI, groupe installé en Irak et en Syrie, aux moyens limités, et dont les seules capacités opérationnelles à l’étranger sont de téléguider des attentats aux dégâts limités. Toutes les études indiquent en effet que si 1 Américain sur 20  000 peut être victime d’un homicide chaque année, un nombre infinitésimal (1 sur 56 millions entre 2002 et 2013) peut succomber à une attaque terroriste.

Plus inquiétant, les répondants sont convaincus que les gouvernements n’en font pas suffisamment pour combattre le terrorisme.

Au lendemain du massacre de Nice, 67 % des répondants « n’avaient aucune confiance envers la capacité du gouvernement de juguler la menace terroriste ».

Là encore, le décalage entre la perception et la réalité est frappant. Aujourd’hui, les budgets de la lutte antiterroriste se chiffrent dans les centaines de milliards en Occident. Les mesures de sécurité prolifèrent, comme en Grande-Bretagne où plus de 4 millions de caméras surveillent les moindres faits et gestes de la population. Enfin, la police et les services de renseignements sont de plus en plus rapides à démasquer et à arrêter les terroristes.

Si la perception du risque terroriste est plus grande que la réalité, c’est que l’acte terroriste brouille les repères.

Il ne frappe plus seulement des cibles militaires ou gouvernementales, mais aussi de simples passants ou vacanciers. Il n’est plus simplement posé par un étranger fraîchement débarqué, mais de plus en plus par un « ennemi de l’intérieur », né sur place et connaissant parfaitement les codes de la société. Et dans le cas d’attaques-suicides, « le fanatisme des terroristes ajoute une dimension d’horreur », écrit l’hebdomadaire.

Quoi qu’on en dise, la lutte contre le terrorisme gagne chaque jour en efficacité. Des cellules sont démantelées, des individus neutralisés, des plans déjoués. Il reste, bien entendu, l’action indétectable. Elle est inévitable.

The Economist nous invite à vivre avec le terrorisme. Ce n’est pas une position défaitiste, mais un appel à la raison plutôt qu’aux émotions. C’est aussi un appel à la patience, car vaincre le terrorisme « dépend par-dessus tout de la qualité du renseignement, d’une certaine mesure de stoïcisme et du refus de miner les fondements sur lesquels reposent les sociétés ouvertes ».

* L’auteur a été conseiller politique principal du ministre canadien des Affaires étrangères en 2016-2017

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