Élevage

Une poule historique

C’est l’histoire d’une poule blanche comme neige qui aime la neige et les hivers québécois. Une poule conçue ici, aimée tant pour ses œufs que sa chair, mais qui, en cette époque où la cuisine locale et les produits du terroir ont la cote, peine toujours à se tailler une place jusque dans nos assiettes.

UN DOSSIER DE VIOLAINE BALLIVY ET D’HUGO-SÉBASTIEN AUBERT

À la recherche du poulet (presque) perdu

Heureusement que le GPS était là pour nous rappeler de tourner, tout au fond du rang enneigé. On serait passé 5 fois, 10 fois, 100 fois devant la ferme d’Amélie Brien sans s’y arrêter. Bâtiment anonyme d’un rang banal de Valcourt, qui, pourtant, cache l’un des élevages les plus rares de la province. Ici, on s’échine avec un peu d’espoir et beaucoup d’efforts à redonner un second souffle au poulet chantecler du Québec, l’une des trois seules races patrimoniales de la province.

Amélie Brien est sortie de la ferme, les mains dans les poches, un large sourire aux lèvres, les joues rougies par le froid. On lui donne à peine 18 ans, elle en a 24 et pilote seule une entreprise hors du commun : le plus gros élevage de poulets chanteclers du Québec. Mille têtes environ. Ce n’est pas plus d’une poussière en comparaison des élevages habituels (35 % des producteurs de poulet du Québec comptaient plus de 540 000 têtes en 2009), mais rares sont les fermes qui comptent plus de 100 chanteclers (il y en aurait moins d’une dizaine), et rares sont les fermes qui en comptent, point à la ligne.

Ce n’est certainement pas, pourtant, parce que le volatile manque d’intérêt. En 1999, Québec lui a officiellement décerné le titre de « race patrimoniale », reconnaissant son importance historique et culturelle.

Puis, en 2009, une entente a été signée avec la Fédération des producteurs de volaille pour permettre la mise en place de 10 élevages d’au plus 500 pondeuses de race chantecler. Il fallait agir, remarque Michel Lefrançois, professeur au département d’agriculture de l’Université Laval.

« La race était en très grand danger de disparition […]. Sans l’implication des petits éleveurs, la race serait peut-être déjà disparue. »

— Michel Lefrançois

Poule à succès

Le poulet chantecler est le fruit des travaux de génétique entrepris par le frère Wilfrid il y a plus d’un siècle, qui souhaitait créer une race de poules « canadiennes », équivalent à plumes de la vache canadienne ou du cheval canadien.

Croisant – entre autres – un coq de Cornouailles réputé pour sa rusticité avec une poule Livourne, une bonne pondeuse, il obtint une volaille résistant bien à nos hivers, capable de pondre même quand la luminosité est à son plus faible, dotée d’un rendement satisfaisant tant pour les œufs que la chair. Elle reçut le Standard of Perfection de l’American Poultry Association en 1921. Objet de fierté, elle fut trimballée d’exposition en exposition, à Rome et à Barcelone, jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale. Puis elle sombra peu à peu dans l’oubli au profit de races plus productives, soit pour la chair, soit pour la ponte.

Amélie Brien s’y est intéressée à l’Institut de technologie de Saint-Hyacinthe, au hasard d’un travail de session. « J’ai vu qu’il pouvait y avoir un intérêt commercial », dit-elle.

La rareté du produit, l’engouement espéré du public pour une volaille d’exception. Il y a trois ans, elle s’est lancée, avec 20 poussins à peine. « Ça ne s’achète pas, 500 poussins chanteclers, il n’y en a tout simplement pas ! », remarque-t-elle. Elle avait de la chance – le soutien de ses parents, producteurs laitiers –, mais elle assure seule l’essentiel du travail, en plus de continuer à donner un coup de main sur la ferme familiale.

Levée à 5 h tous les matins pour la traite des vaches de ses parents, de retour à 8 h 30 chez elle pour s’occuper de ses poules à elle, récolter les œufs et les laver un par un, à la main, un travail de moine qui lui vole 2-3 heures par jour, puis après un lunch rapide, les livraisons de l’après-midi, l’entretien de la ferme, une nouvelle ronde de soins auprès des poules, puis le dernier train des vaches chez ses parents, de 17 h à 20 h. Et ce, six jours sur sept.

Amélie Brien aime ses poules, et ça se voit. Elles ne vont pas dehors, mais elles sont libres de leurs déplacements dans le poulailler et ont jusqu’à cinq fois plus d’espace que dans un élevage habituel (3 poules/m2, contre 15 en moyenne), explique-t-elle. Les pondeuses ne sont pas sacrifiées lorsque leur rendement diminue avec l’âge ; les poulets élevés pour la chair ont 16 semaines au lieu de 6 quand ils partent à l’abattoir. « Ce ne sont pas de gros poussins comme dans le conventionnel : ils sont à maturité », dit-elle.

Et pourtant, Amélie Brien ne s’en cache pas : la situation est difficile et il n’est pas dit qu’elle tiendra longtemps à ce rythme. La mise en marché est difficile, le poulet, encore méconnu et son réseau de distribution, à peu près inexistant. Hormis chez quelques fermiers, il est d’ailleurs à peu près impossible d’acheter un poulet chantecler.

Prix élevé et faible production

« Vingt ans après la reconnaissance de la race patrimoniale, on serait en droit d’espérer que le poulet soit plus connu, accessible, observe Bobby Grégoire, conseiller de Slow Food International pour le Canada. Les difficultés sont nombreuses, le volume est faible, la race méconnue, les abattoirs ne sont pas adaptés à ces poulets de format plus petit. »

« La production d’œufs et les performances de croissance de cette race ne sont pas du tout comparables à celles des poules et poulets de chair disponibles actuellement sur le marché, renchérit Michel Lefrançois. Les coûts de production sont par conséquent probablement beaucoup plus élevés. » Le consommateur doit effectivement être prêt à débourser davantage, comme il le ferait pour une volaille biologique.

Dans le milieu de la restauration, ce n’est pas tant le prix que l’approvisionnement irrégulier qui freine les ardeurs des chefs.

« Si on peut m’en fournir régulièrement, je vais le mettre à la carte. Sa chair est plus ferme, plus goûteuse, typée. »

— Stéphane Modat, chef des restaurants du Château Frontenac, à Québec

Or, à l’Association québécoise de la volaille chantecler, on espère que la situation changera prochainement. Son président, André Auclair, souhaite que les 10 éleveurs détenant un permis de commercialisation du poulet chantecler puissent produire leur plein quota en 2022, c’est-à-dire 42 000 kg de viande par année, ou environ 24 000 poulets par fermier.

« On ne doit pas aller trop vite pour ne pas saturer le marché, mais on sait que l’intérêt est là », assure M. Auclair. D’ici deux ans, dit-il, on en trouvera facilement sur les menus des restaurants. En Estrie, une nouvelle éleveuse, Lynda Carreau, de la ferme Noëka, vient de s’entendre avec un marché d'alimentation (Coop d'Alentour) pour y distribuer ses poulets et ses œufs frais ; elle compte décupler la taille de son troupeau d’ici l’été pour qu’il dépasse les 1000 têtes.

Le rêve de Bobby Grégoire, qui voudrait que le poulet chantecler soit au Québec ce que le poulet de Bresse est à la France — une volaille réputée, mais qu’on peut acheter au marché public le dimanche pour les repas entre amis ou en famille —, est peut-être enfin à portée de la main.

« Si ça ne change pas, met-il toutefois en garde, c’est tout un savoir-faire qui va se perdre, à la fois pour l’élevage et pour la cuisson. »

Les races patrimoniales

La vache canadienne

Issue de croisements entre des troupeaux de Bretagne et de Normandie transportés en 1608 en Nouvelle-France, la vache canadienne est la seule race bovine laitière propre à l’Amérique du Nord. Elle est protégée par la Loi sur les races animales du patrimoine agricole du Québec depuis 1999. Le fromage fait de lait de vache de race canadienne est aussi protégé, depuis 2016, par une « appellation de spécificité ».

Le cheval canadien

Les origines du cheval canadien remonteraient à 1665, quand Louis XIV a envoyé des bêtes pour les nobles établis en Nouvelle-France. Il est aussi protégé par la Loi sur les races animales du patrimoine agricole du Québec depuis 1999.

Le porc tamworth

Aucune demande de classification de « race patrimoniale » du Québec n’est actuellement à l’étude, confirme le ministère de l’Agriculture. Pour Bobby Grégoire, conseiller pour Slow Food International, d’autres espèces mériteraient néanmoins d’être classées, notamment le porc tamworth, importé au Canada en 1877 et vite adopté par les fermiers de l’est du pays, jusqu’à ce qu’il soit déclassé par des rivaux plus productifs.

Chantecler, comme Cyrano

Un nom français pour un poulet québécois ? Oui. le frère Wilfrid adopta le titre d’une pièce de théâtre d’Edmond Rostand (auteur de Cyrano de Bergerac) présentée à Paris en 1910, estimant qu’« un nom si profondément français, tout en étant facilement bilingue, conviendrait bien à une race de volailles nées dans un coin de terre où les traditions restaient bien françaises à l’ombre d’un drapeau britannique », écrivit-il dans La Presse du 29 juillet 1929.

Crête

La poule chantecler n’a qu’une crête minuscule : c’est moins chic, mais plus pratique, l’hiver, puisqu’elle est ainsi moins sujette aux engelures. La Chantecler peut d’ailleurs survivre dans un poulailler non chauffé, ce qui en fait une candidate de choix pour les poulaillers en ville.

Plumes

La poule chantecler est blanche, blanche comme la neige, mais se pare aussi d’un duvet, semblable à de petits poils, à l’approche de l’hiver.

Poitrine

La chantecler a une poitrine moins voluptueuse que les poulets conventionnels d’aujourd’hui et une silhouette plus équilibrée. Sa chair est aussi plus ferme.

Où s’en procurer ?

Volaille fraîche

À la ferme d’Amélie Brien, à Valcourt : mylixy@cooptel.qc.ca et 819 571-3132

À la ferme Noëka, à Danville : 819 845-4873

Œufs frais

Boucherie Mikael Lamarche : 

57, route 222, Racine, 450 532-5434

Fromagerie Nouvelle-France : 

154, route 222, Racine, 450 532-2483

Poulet chantecler rôti et farci à la courge

Suzy Rainville, chef copropriétaire du restaurant Baumann Smokehouse, à Sherbrooke, a cuisiné pour nous un poulet chantecler farci à la courge.

« La chair est goûteuse et très peu grasse : le poulet n’a presque pas fondu à la cuisson », remarque-t-elle. Pour éviter que le résultat ne soit un peu sec, elle a inséré sous la peau un beurre citronné et arrosé régulièrement l’oiseau pendant la cuisson.

Pour 4 personnes

Ingrédients

1 poulet chantecler

7 c. à thé d’huile d’olive

1 tasse de petits dés de courge Butternut

1 c. à thé d’huile d’olive

1/2 de tasse de riz sauvage, cuit

1/4 de tasse de raisins secs blonds

1 1/2 tasse de chair à saucisse

2 c. à soupe d’estragon ciselé frais

1 blanc d’œuf fouetté rapidement

Sel et poivre du moulin

3/4 de tasse de beurre non salé, tempéré

1 c. à thé d’herbes salées

2 c. à thé de feuilles de thym frais

Une douzaine de pommes de terre grelot, coupées en 2

8 carottes nantaises, coupées en 2

De 4 à 6 échalotes françaises, épluchées, entières

2 tasses de haricots verts

Corde de boucher

Préparation

Farce

Préchauffer le four à 190 ℃ (375 ℉). Verser 1 c. à thé d’huile d’olive sur les dés de courge ; saler et poivrer, puis étendre sur une plaque de cuisson tapissée de papier parchemin. Cuire de 10 à 12 minutes.

Dans un bol, mélanger ensuite la courge, le riz sauvage, les raisins, la chair à saucisse, l’estragon et le blanc d’œuf battu ; saler, poivrer et réserver au frais.

Beurre citronné

Dans un bol, mélanger ensemble le beurre tempéré, les herbes salées et le thym. Laisser à température ambiante.

Volaille

Retirer le cou de la cavité du poulet et rincer à l’eau froide. Décoller la peau de la chair du poulet en passant les doigts délicatement sous la peau, puis insérer le beurre citronné entre la chair et la peau en le répartissant le plus uniformément possible. Farcir le poulet en compactant bien la farce à la courge dans la cavité. Ficeler le poulet de manière à maintenir les pattes ensemble pour refermer la cavité.

Placer le poulet dans un plat allant au four, ajouter 2 c. à soupe de beurre, une branche de thym et 2 gousses d’ail écrasées dans le plat.

Enfourner pendant environ 1 h 30-1 h 45 en badigeonnant le poulet avec le beurre au fond du plat quelques fois.

Retirer du four et laisser reposer environ 15 minutes.

Légumes

Pendant la cuisson du poulet, mélanger dans un gros cul-de-poule les pommes de terre, les carottes et les échalotes avec 6 c. à thé d’huile d’olive, saler et poivrer, puis étendre sur une plaque à cuisson tapissée de papier parchemin et placer dans le four pendant 25 minutes. Ajouter les haricots verts, huilés et assaisonnés de la même manière, et poursuivre la cuisson environ 15 minutes. Réserver au chaud jusqu’au moment de servir.

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