Chronique

Le prochain but

« Quand je suis arrivé de Russie pour me joindre au club, je ne parlais pas français et très peu l’anglais. Je comprends donc comment il peut, parfois, être difficile de se faire des amis quand on est un peu différent des autres. »

Le club en question, c’est le Canadien.

Le joueur russe qui a écrit ces mots préfère que je ne cite pas son nom. Il a simplement été touché par une histoire, celle de Thomas (le prénom a été changé), que je vous ai racontée il y a déjà quelques semaines. Thomas a 10 ans, il est dysphasique, avec un TDAH en prime ; il a bien du mal à comprendre le monde qui l’entoure.

Et vice versa.

La mère de Thomas m’avait contactée en décembre. Elle s’inquiétait de voir que son gars était toujours plus exclu, plus incompris. Un prof lui a dit, je paraphrase : « C’est normal, madame, plus les enfants vieillissent, plus ils rejettent les différents. Passez une bonne journée, et bonne chance pour la suite. »

Un peu avant Noël, j’ai reçu une enveloppe pour Thomas par l’entremise d’une bonne amie de ce hockeyeur russe de la sainte Flanelle. Elle m’avait d’abord demandé le véritable nom de l’enfant. Je le lui ai donné, avec la permission de la mère. Je ne le savais pas, le joueur ne le savait pas non plus, mais le p’tit gars est un fan fini du Canadien.

La lettre se poursuit : « Je pense, Thomas, qu’il faut donner du temps aux autres pour qu’ils apprennent à nous connaître pour voir que, finalement, nous ne sommes pas si différents d’eux. J’aime jouer, j’aime rire, j’aime le hockey et j’aime ma famille. Pas vraiment très différent de mes coéquipiers, n’est-ce pas ?

« De mon côté, j’ai travaillé très fort à comprendre la langue et tous les modes de fonctionnement ici au Canada. Je t’encourage donc à faire la même chose et à travailler fort pour comprendre le langage et les modes de fonctionnement dans ta classe. Par contre, j’ai eu la chance d’avoir l’aide et les encouragements de mes coéquipiers de l’équipe… Je pense que tes camarades de classe peuvent en faire autant, n’est-ce pas ?

« Vous êtes une équipe, non ? »

« J’aimerais que tu leur lises cette lettre parce que je voudrais qu’ils sachent que le prochain but que je compterai, je le ferai pour toi, cher Thomas, et pour tes camarades de classe aussi, car, pour moi, vous faites tous partie de la même équipe. »

— Un joueur russe du Canadien de Montréal, dans sa lettre à Thomas

« À bientôt. »

Le gentil joueur russe a signé.

Pile ou face. Il y en a deux qui portent les couleurs du Canadien, Andrei Markov et Alexei Emelin.

Quand il a ouvert et lu sa lettre, Thomas n’en croyait pas ses yeux. J’ai demandé à sa mère de me raconter : « Il a dit : “Hein ?! Hein !!”, tout surpris. Je connais les réactions de mon poussin : autant il crie quand il est en colère, autant ses réactions sont par en dedans quand il est touché. Et, croyez-moi, il l’était. »

Il y avait aussi, dans l’enveloppe, une carte dudit joueur, autographiée.

FAIRE UNE DIFFÉRENCE

Elle m’a demandé de remercier le joueur et son amie. « C’est l’avenir qui le dira, mais il y a fort à parier qu’ils auront changé quelque chose à la vie d’un p’tit gars différent. »

J’ai fait le message.

Deux femmes ont aussi écrit à la mère de Thomas pour lui dire de garder espoir. Je lui ai transmis les messages. Il y en a une qui raconte que son garçon a aujourd’hui 18 ans, qu’il étudie en informatique et qu’il réussit bien. Les parents y ont mis l’effort, en payant des séances d’orthophonie privées jusqu’à la fin du secondaire.

Ils sont dans le Bas-Saint-Laurent, l’orthophoniste était à 125 kilomètres de la maison.

Ce message a fait un bien fou à la mère de Thomas, elle se sentait moins seule dans cette galère : « Des fils invisibles se tissent entre des gens qui ne se connaissent même pas, mais qui ont un vécu commun. Et par ces fils passent leur empathie et leur sympathie. Elles me donnent un élan pour tenir bon, pour continuer à me battre pour mon p’tit homme. Le cœur beaucoup plus léger. »

Elle était aussi contente que Thomas, avec sa lettre du joueur du Canadien.

Je vous raconte ça pour quoi ? Parce que je trouve ça cute et parce que ça arrive souvent que des lecteurs prennent le temps d’envoyer des messages aux gens dont je vous parle. Et, des fois, ça infléchit un peu le cours de leur vie. Ça rend les journées un peu moins longues et le ciel un peu moins gris.

Et peut-être que ça donnera bientôt un but de plus au Canadien. Le club en a drôlement besoin.

Le petit Thomas, 10 ans, a reçu une lettre de l’un des deux joueurs russes de l’équipe, qui pourrait bien être Andrei Markov. Ce genre d’attention peut changer quelque chose dans la vie du garçon qui est dysphasique et qui a bien du mal à comprendre le monde qui l’entoure.

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