Déversement d’eaux usées

Le fleuve, « seule option », plaide la Ville

Après avoir étudié plusieurs scénarios, l’administration Coderre a tranché : elle n’avait pas d’autre choix que d’aller de l’avant avec le déversement en continu de huit milliards de litres d’eaux usées, soit plus de quatre fois le volume du Stade olympique, dans le fleuve Saint-Laurent, du 18 au 25 octobre.

« Personne ici n’est en train de vous dire que ce qu’on fait là, c’est le mieux. Mais ce qu’on vous dit, c’est que c’est le meilleur de ce que l’on puisse faire dans les circonstances », a déclaré le président du comité exécutif Pierre Desrochers lors d’une présentation à l’hôtel de ville hier matin.

Même si elle est incapable de chiffrer ou de décrire le degré de contamination du fleuve au cours de la semaine de déversement, la Ville assure qu’il n’y aura aucun impact sur la qualité de l’eau potable des municipalités en aval de Montréal. Lors de la présentation qui a duré une heure, fonctionnaires et élus sont toutefois restés muets sur l’impact qu’aurait le déversement sur la faune et la flore du Saint-Laurent. La pêche, la baignade et les activités nautiques seront toutefois interdites durant la période du déversement.

La vidange de l’eau a lieu dans le cadre des travaux d’abaissement de l’autoroute Bonaventure dans le but de faire disparaître la chute à neige du centre-ville. La construction d’une nouvelle chute nécessite la purge complète d’un intercepteur de 30 kilomètres compris entre les arrondissements de LaSalle et de Rivière-des-Prairies – Pointe-aux-Trembles. Cette immense conduite sert à pomper les eaux usées (toilettes, égouts, pluie) de ce secteur vers la station d’épuration de la métropole.

Le puits de déchargement de la future chute à neige du centre-ville sera directement branché sur l’intercepteur sud-est. La Ville en profitera pour retirer quatre systèmes de soutènement vétustes dans l’intercepteur.

« C’est un choix éclairé qui va permettre de réaliser des travaux qui, à terme, vont éviter qu’on ne transporte de la neige directement dans le fleuve et nous permettre un meilleur écoulement », a expliqué M. Desrochers, en soulignant que les autres chutes à neige de Montréal fonctionnent déjà à plein régime.

Selon nos calculs, environ 375 piscines olympiques d’eaux usées seront rejetées dans le fleuve Saint-Laurent chaque jour. Pour favoriser la dispersion, l’eau sera vidée à 23 points différents.

« OÙ EST LE MAIRE ? »

L’opposition officielle à l’hôtel de ville s’est indignée de « l’indifférence » du maire Coderre en matière d’environnement.

« La première responsabilité en environnement pour le maire, c’est le fleuve Saint-Laurent », a déclaré le chef de Projet Montréal, Luc Ferrandez. « La seule solution qu’on peut trouver en deux jours, c’est une solution de relations publiques. L’explication est donnée par des experts et le maire est seulement là pour les bonnes nouvelles. La question à se poser aujourd’hui, c’est : où est le maire de Montréal ? Si on avait annoncé qu’il y avait un troisième match préparatoire de baseball au Stade olympique, il serait présent pour cette annonce ! »

La Ville de Montréal a demandé l’autorisation du ministère de l’Environnement pour réaliser ce projet il y a plus d’un an. Après avoir analysé le dossier, le Ministère a conclu que la solution est « loin d’être idéale », a indiqué le ministre de l’Environnement, David Heurtel. Mais aucune autre voie n’est possible, si bien qu’il « faut quand même aller de l’avant ».

M. Heurtel a aussi affirmé que le projet n’entraînait aucune conséquence fâcheuse pour l’approvisionnement en eau des municipalités qui longent le fleuve. « Tant les experts du ministère de l’Environnement que les experts du ministère de la Faune ont analysé la proposition de la Ville, ont proposé des mesures de mitigation que la Ville va mettre en œuvre, a déclaré M. Heurtel. Et avec ces mesures, ils considèrent que le projet de la Ville est acceptable d’un point de vue environnemental et faunique. »

SUSPENSION DEMANDÉE

À Québec, les partis d’opposition ont demandé au premier ministre Philippe Couillard de suspendre le déversement.

« J’invite mon collègue Heurtel à réaliser l’ampleur des conséquences du choix que l’administration Coderre s’apprête à faire. Il est inconcevable qu’on déverse volontairement l’équivalent de 8 Empire State Building d’eau contaminée dans la source d’eau potable qui abreuve 45 % de la population québécoise », a déclaré Manon Massé, de Québec solidaire.

« Le ministre Heurtel a enfin la chance de prouver son utilité à la population en imposant un vrai moratoire pour trouver une solution à ce gâchis environnemental. »

— La députée Manon Massé

« On tape sur les doigts des gens qui jettent des déchets aux abords de nos cours d’eau, a noté le député péquiste Mathieu Traversy, mais on va accepter que Montréal déverse 8 milliards de litres d’eaux usées dans le fleuve qui est notre patrimoine commun pour le Québec et une source importante d’approvisionnement en eau potable pour nos municipalités », a-t-il déclaré.

M. Traversy rappelle que plusieurs villes situées le long du fleuve – Sorel-Tracy, Trois-Rivières, par exemple – ont exprimé des réserves quant à l’impact du déversement.

— Avec la collaboration de Martin Croteau, La Presse

Quatre mots pour comprendre

PURGE

L’île de Montréal est ceinturée par d’immenses conduites appelées « intercepteurs ». Ces tuyaux peuvent atteindre 5 mètres de diamètre et sont enfouis jusqu’à 35 mètres de profondeur. C’est là qu’aboutit l’eau des égouts en provenance des résidences, des industries, des commerces, des hôpitaux et de la pluie. La Ville affirme que lorsque les travaux seront exécutés dans l’intercepteur sud-est, une plus grande quantité d’eau pourra être traitée et la quantité d’eaux usées qui déborde dans le fleuve, en période de pluie abondante par exemple, sera réduite. Les intercepteurs nord et sud-ouest continueront d’écouler les eaux usées vers la station d’épuration au cours des travaux.

VAPEUR

Il est nécessaire de vider complètement la portion sud-est du tuyau pour réaliser les travaux afin de protéger les employés des émanations et des accidents de travail. La géométrie de l’intercepteur sud-est et la différence de température entre l’air et l’eau engendrent de la brume et des vapeurs dangereuses. « La nature des eaux usées implique que les gouttelettes d’eau en suspension dans l’air ambiant contiennent un mélange de micro-organismes qui représente des risques pour la santé humaine », peut-on lire dans un rapport d’analyse rendu public hier par le ministère de l’Environnement. « L’expérience de la Ville en cette matière a démontré que les masques sont inefficaces pour de longues périodes de travail », ajoute le document.

CHUTE

Lorsqu’il neige sur Montréal, une partie de la neige peut être vidée dans des chutes directement branchées sur les intercepteurs. Les travaux pour abaisser la portion sur pilotis de l’autoroute Bonaventure pour la transformer en boulevard urbain feront disparaître la chute à neige Wellington, qui dessert le centre-ville. Environ 200 000 m3 de neige y sont éliminés chaque année. Sa capacité est de 26 camions 12 roues à l’heure, ce qui est insuffisant actuellement lors des grosses tempêtes. La Ville doit donc construire une nouvelle chute à neige qui sera reliée à la portion de l’intercepteur situé sous la rue Mill. Les 12 autres chutes à neige qui sont reliées à l’intercepteur sud-ouest ou à ses affluents sont bondées lors des tempêtes. Au nord de l’île, les 9 chutes à neige et les 13 centres de dépôt de surface ne peuvent pas accueillir d’autres camions.

CINTRES

En 1997, quatre systèmes de soutènement temporaires ont été installés dans l’intercepteur sud-est dans le but de les transformer en futures chutes à neige. Ils sont situés près du pont Victoria, dans le secteur où se trouve le géant du détail Costco. Les terrains ont depuis été développés en surface et les cintres ne sont plus nécessaires, en plus d’être dans un état de détérioration avancée, peut-on lire dans le rapport d’analyse rendu public par le ministère de l’Environnement. « Des pièces de bois se détachent de ces systèmes et se retrouvent régulièrement dans les convoyeurs de la station d’épuration. Ces pièces de bois bloquent et brisent les convoyeurs et sont en mesure de causer des problèmes aux pompes », peut-on lire dans le rapport. La Ville profitera de la purge de l’intercepteur du sud-ouest pour retirer les cintres.

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