Opinions La laïcité en débat

Un projet de loi dont il faut se réjouir

Comme la grande majorité des Québécoises et des Québécois, Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) reçoit le projet de loi 21 avec satisfaction et soulagement.

Soulagement parce que, enfin, après des années d’intrusion du religieux dans les instances publiques à coups d’accommodements, de discussions sans fin, ce gouvernement donne suite à son engagement électoral et livre un projet de loi sérieux qui, certes, n’est pas sans défaut, mais qui tient la route et répond aux aspirations de la société québécoise.

Nous le recevons également avec satisfaction, parce que c’est l’aboutissement attendu de la longue marche vers un État laïque qui avait fait une pause depuis l’amendement constitutionnel de 1997.

Cet amendement, trop de gens l’oublient ou l’ignorent, avait pour effet d’abolir les droits et les privilèges constitutionnels des Québécois catholiques et protestants pour permettre la déghettoïsation du système scolaire public, jusque-là basé sur l’appartenance religieuse, et ainsi mettre sur pied des commissions scolaires linguistiques.

Protéger l’État

La laïcité n’est pas une valeur proprement québécoise, mais la vision que nous en avons est différente de celle du monde anglo-saxon. Comme d’autres sociétés catholiques qui ont vu l’Église diriger les affaires de l’État, le Québec veut que la séparation du religieux et de l’État protège l’État de l’intrusion du religieux.

De leur côté, les Anglo-Saxons, de tradition protestante, sont les héritiers des pèlerins qui ont fui les persécutions religieuses et qui ont voulu que cette séparation État-religions protège les groupes religieux de l’intrusion de l’État.

Chez les uns, on a inventé le concept de laïcité – un mot qui n’existe pas en anglais – pour nommer cette séparation officielle de l’État et des religions. De l’autre côté, on constate que le multiconfessionnalisme s’est imposé, permettant à chaque individu d’afficher ses préférences en matière de religion.

Des histoires différentes amènent naturellement des visions différentes et donc des solutions différentes. Le Québec n’a pas à rougir de sa vision et les élites du Canada anglais et ceux qui adhèrent à sa vision multiculturaliste et communautariste n’ont pas de leçon à nous donner.

On constate également, au vu des réactions, que certains groupes québécois sont maintenant imprégnés de culture anglo-saxonne au point de renier des positions antérieures.

Je pense ici notamment aux syndicats d’enseignants et à certaines organisations de femmes.

Rappelons qu’au milieu des années 90, époque où on discutait ferme de l’amendement constitutionnel sur le système scolaire, au moment aussi où une adolescente était arrivée à l’école avec son hijab en contravention du code vestimentaire, féministes et syndicats étaient en faveur de l’interdiction de l’affichage des signes religieux dans les écoles.

Pour exemple, je voudrais citer une certaine Alliance des professeurs et professeures de Montréal qui écrivait : « La propagation du voile est loin d’être anodine, puisqu’elle est devenue le symbole de la puissance politique des groupes intégristes qui prennent en otage non seulement les femmes, mais la liberté d’expression de toutes les forces sociales qui ne partagent pas leur opinion. […] Le vrai problème du voile, c’est l’idéologie qu’il véhicule, une détérioration de la condition des femmes. »1

Et à compter de 1995, la Centrale des enseignants du Québec avait demandé que soit interdit le port de signes religieux ostentatoires en milieu scolaire et qu’entre-temps, les codes de vie des écoles les interdisent. Les interdictions demandées par les syndicats allaient donc beaucoup plus loin que celles proposées par le projet de loi 21.

De son côté, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) a réagi au projet de loi 21 en dénonçant le racisme, le repli identitaire et la « laïcisation de l’oppression ». Dans son communiqué, la FFQ écrit qu’elle « rejette en bloc toute instrumentalisation de l’égalité hommes-femmes dans l’élaboration de ce projet de loi ». « Nous refusons que l’État québécois dicte à des femmes ce qu’elles devraient porter ou non. »

Cette position illustre le virage de la FFQ en matière d’analyse féministe. D’une part, depuis quelques années, la FFQ a adopté une vision centrée sur les droits individuels. D’autre part, conformément à la philosophie multiculturaliste, la FFQ voit dorénavant la religion seulement comme une identité et non plus comme un ensemble de règles contraignantes, surtout pour les femmes, justifiant leur infériorisation. Pourtant, partout dans le monde et en particulier au Québec, l’émancipation des femmes n’a pu se faire sans leur émancipation des religions.

Ni anti-islam ni anti-femmes

Par ailleurs, si le projet de loi sur la laïcité était anti-islam, tous les musulmans seraient concernés. Or, ce n’est pas le cas, puisque cela ne touchera aucun homme musulman. Si le projet de loi était anti-femmes, il toucherait toutes les femmes. Or, ce n’est pas le cas. Ne seront touchées que les femmes qui portent le voile islamique.

Si ce ne sont qu’elles qui sont touchées, la source de la discrimination n’est-elle pas plutôt dans l’obligation qui serait faite à des femmes – et à des femmes seulement – de se cacher les cheveux dans l’espace public ? Pourquoi ne pas admettre que ce sont des règles religieuses patriarcales qui dictent à des femmes comment s’habiller et qu’elle est là, la discrimination ?

Qui plus est, le projet de loi, loin d’instrumentaliser les femmes, donne au contraire pour la première fois aux femmes qui ne veulent pas porter ce voile, mais qui y sont obligées, la possibilité concrète d’échapper à cet asservissement le temps qu’elles travaillent.

La société québécoise appuie fortement ce projet et, contrairement aux communautaristes qui veulent nous faire croire qu’il s’agit d’un combat contre des minorités, il reflète la volonté d’une majorité démocratique, forte de ses citoyennes et citoyens de toutes origines qui partagent cette vision commune de la citoyenneté. Une vision qui va au-delà des appartenances religieuses pour favoriser un réel vivre-ensemble. 

1 Fédération autonome de l’enseignement, Laïcité et accommodements raisonnables – Prendre position, janvier 2012

Opinions La laïcité en débat

Un gâchis monumental

Si le contenu du projet de loi sur la laïcité ressemble aux autres projets proposés par les différents gouvernements du Québec depuis 2013, la nouvelle façon de formuler les restrictions est particulièrement inquiétante.

De plus, la nécessité d’une loi sur ce sujet n’a pas été mieux démontrée que lors des tentatives précédentes. Il y a trois objections primordiales.

1) L’imposition d’une idéologie ;

2) L’effet néfaste sur l’intégration des immigrants ;

3) La perte de temps à débattre un sujet qui n’offre aucun gain à personne.

L’idéologie imposée se trouve dans le préambule et le premier chapitre de la loi. En effet, l’État québécois devient idéologiquement « laïque », un peu comme le Québec duplessiste était « catholique » ou l’Allemagne de l’Est était « socialiste ».

Mais n’est-il pas inhérent dans la notion d’un État libre de ne pas imposer d’idéologie, bonne ou mauvaise ?

En insistant dans le préambule qu’il incombe à un gouvernement et, par implication, pas aux tribunaux de déterminer les limites des droits religieux, le Québec tourne le dos à la démocratie libérale pour établir un populisme qui permet tout à la majorité.

Les droits fondamentaux contenus dans les chartes des droits ont comme but principal de défendre les citoyens contre la tyrannie de la majorité. Un démocrate comprend que la majorité peut avoir tort et que dans certains domaines, elle ne doit pas imposer ses préférences aux citoyens récalcitrants. Plutôt qu’un État laïque, il faudrait promouvoir l’idée d’un État neutre sans l’idéologie officielle.

La mode du « présentisme »

L’utilisation de la clause dérogatoire illustre parfaitement l’importance excessive que la législation accorde à l’opinion majoritaire. Les chartes durent des décennies et des siècles alors que l’opinion de la majorité change régulièrement et parfois radicalement. Si tout le monde reconnaît que la Cour suprême nous a sauvés des excès de Maurice Duplessis, de son anticommunisme primaire et de sa persécution des témoins de Jéhovah, pourquoi vouloir soustraire nos nouvelles lois à sa surveillance ?

Le « présentisme » est à la mode – la croyance que notre époque a découvert toute la sagesse du monde et que notre population est plus éclairée que celles dont les lois ont été cassées dans le passé. C’est ce présentisme qui nous rend aveugles à nos défauts et nous donne l’arrogance d’exclure la révision judiciaire.

Certes, le recours aux Nations unies reste disponible et en 1987, ce recours s’est avéré totalement efficace contre l’utilisation de la clause dérogatoire en matière linguistique par Robert Bourassa. Le gouvernement du Québec de l’époque n’a pas voulu défier l’opinion du monde et il s’est conformé. On peut craindre que le présentisme et le populisme de notre temps puissent amener notre gouvernement à rejeter les standards mondiaux en faveur d’un repli sur nous-mêmes.

Par ailleurs, la loi rate sa cible complètement sur l’intégration des immigrants.

Pour de très bonnes raisons, le Québec s’est toujours méfié du multiculturalisme canadien qui ferait de la culture québécoise seulement une option égale aux autres, plutôt que la culture commune de tous. D’où l’idée salutaire d’intégrer les immigrants à la culture francophone. 

Mais comment peut-on espérer intégrer les immigrants quand on met des obstacles à leur épanouissement dans les domaines où d’autres immigrants ont souvent réussi dans le passé (la santé, l’éducation, la police) et quand on les prive d’importants services si leurs visages sont couverts ? Logiquement, la façon de les intégrer est d’accommoder les exigences individuelles, ce qui donnerait à chacun le sentiment d’appartenance. L’intégration souriante fonctionne mieux que l’intégration farouche. La loi sur la laïcité va encourager la création des écoles privées et d’autres institutions séparées. Plutôt qu’intégrer, elle aidera à créer des ghettos.

D’autres enjeux

Finalement, notre préoccupation avec les questions religieuses nous détourne des vrais enjeux de la société – l’inégalité croissante, la qualité de nos systèmes d’éducation et de santé et l’inaccessibilité de la justice.

Ce qui frappe dans le projet de loi, c’est l’absence des gagnants. Personne n’obtient d’avantage, d’opportunité ou ne vit mieux qu’avant. 

Forcer un individu à enlever les vêtements ou les objets qu’il chérit n’améliore pas les conditions de vie d’aucun autre citoyen. Par contre, il y aura beaucoup de perdants devant qui les occasions se rétréciront et qui se sentiront exclus, vulnérables et inquiets. 

L’explication mise de l’avant par le gouvernement que ce projet de loi est une culmination logique de la Révolution tranquille se heurte au bon sens. La Révolution tranquille libérait tout le monde des contraintes ethniques et religieuses et mettait en place de grands programmes sociaux pour promouvoir l’égalité et la liberté. 

Malheureusement, la loi sur la laïcité fera le contraire – elle créera des contraintes sans se préoccuper de la justice sociale.

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