OPINION JEAN-FRANÇOIS LISÉE

La leçon venue du Sud

Quel est le coût de la division des indépendantistes et des progressistes ? Il tient en un mot : le pouvoir. Se diviser, c’est laisser le pouvoir à ceux qui ne veulent ni l’indépendance, ni le virage vert, ni la lutte aux inégalités sociales, ni la véritable défense du français, ni la chasse aux paradis fiscaux. Toutes choses qui, pourtant, nous unissent.

Vous en doutez ? Regardons les faits. Au Parti québécois, nous avions perdu l’élection de 2014 tous seuls. Mais en 2012, l’existence de Québec solidaire nous avait fait perdre entre 12 et 15 circonscriptions. Si nous avions eu seulement la moitié des voix de QS (pas 100 %, la moitié !), notre gouvernement aurait été majoritaire.

Hors Montréal, la CAQ et les libéraux sont nos adversaires. Mais notre marge de victoire y a été prise par QS dans des comtés des Laurentides, de l’Estrie, de la Mauricie, même de la ville de Québec et de l’Outaouais !

Vous me direz que je suis partial. Je plaide coupable. Mais j’ai l’absolue conviction que la grande coalition créée par René Lévesque et associant dans un même parti les Louise Harel, plus à gauche, et les Bernard Landry, plus à droite, a offert, à chacun de ses passages au pouvoir, les gouvernements les plus progressistes, les plus féministes et les plus écologistes du continent, tout en contribuant à une réelle prospérité partagée. Et de loin. Parfaits ? Non. Personne ne l’est. Ne comparez pas les péquistes à Dieu. Comparez-les aux libéraux, aux conservateurs et aux républicains. Demain, aux caquistes.

Malgré toute la sympathie qu’on peut avoir envers les personnes – Françoise, Amir, Manon, Gabriel et les autres – et aujourd’hui pour Catherine Fournier, demain pour Jean-Martin Aussant –, la réalité froide est que la division des indépendantistes et des progressistes est un don du ciel pour Ottawa, le Conseil du patronat, l’Institut économique de Montréal et les partis qui ne croient pas (ou pas vraiment) à la distribution des richesses, à la crise climatique, au pouvoir citoyen et à l’indépendance.

La fragmentation de nos forces est le meilleur gage de succès pour nos adversaires. C’est mathématique.

Pierre Bourgault l’avait compris, lui qui avait sabordé son parti indépendantiste et socialiste pour peser de tout son poids à l’intérieur du Parti québécois, même s’il s’y trouvait des gens de centre droit, élargissant la tente. (Parizeau, à l’époque, était considéré comme étant de droite. J’avoue qu’étudiant, j’ai manifesté contre lui, scandant bruyamment : « Parti-Québécois-Parti-bourgeois ! » alors qu’il érigeait, budget après budget, la société la moins inégalitaire du continent. Devenu son conseiller, je m’en suis confessé. Il m’a donné l’absolution.)

Bref, QS (et, qui sait, demain, une autre formation souverainiste) offre aux partis de droite le marchepied que les petits partis de gauche français ont offert au héros des privatisations Jacques Chirac, qui, sinon, aurait été battu par le socialiste Lionel Jospin en 2002. Jospin n’était pas parfait, mais il avait rendu la France plus égalitaire, étendu la gratuité des soins médicaux, créé des emplois jeunes, donné du temps aux salariés, reconnu des droits LGBT. La division des forces de gauche française a ramené la droite au pouvoir.

Même chose aux États-Unis, où Ralph Nader, par purisme idéologique, a fait la courte échelle à George W. Bush vers le pouvoir en 2000, en enlevant en Floride les voix qu’il aurait fallu au démocrate Al Gore pour devenir président. Sans Ralph Nader, les États-Unis se seraient dotés, dès 2000, de l’homme d’État le plus écologiste au monde. En prime, c’est absolument certain, la guerre en Irak n’aurait pas eu lieu.

Au moins, nos voisins américains progressistes ont eu la sagesse de changer de trajectoire. Le Parti démocrate est certes un « vieux parti ». Sous Clinton, il a même flirté avec des thèses néo-libérales et posé des gestes qui ont conduit à la grave crise de 2008 (Clinton s’en est même excusé).

Pourtant, les députés démocrates de gauche ne démissionnent pas pour devenir indépendants. Au contraire, les indépendants entrent dans le Parti démocrate. Bernie Sanders, un indépendant qui a passé sa vie à critiquer les présidents démocrates, a choisi, lui, de transformer le Parti démocrate de l’intérieur. Et il a réussi. (Sanders est applaudi, au Québec, à la fois par des gens du PQ et de QS.) Il a entraîné avec lui une nouvelle génération de candidats, et plusieurs candidates, milléniaux qui, eux et elles aussi, bousculent le parti.

Pourquoi reviennent-ils dans ce vieux parti ? Une raison, une seule : ils savent que pour changer le monde, il faut prendre le pouvoir. Et ils constatent que malgré tous ses défauts, le Parti démocrate peut prendre le pouvoir, pour peu que tous les progressistes, écologistes, radicaux et modérés, s’unissent pour le faire triompher, au-delà de leurs très réelles divergences.

Au Québec, ce parti de coalition s’appelle le Parti québécois. Malgré ses déboires, il reste le seul véhicule progressiste et indépendantiste qui peut étendre ses ailes suffisamment largement vers la gauche et vers le centre pour se rendre au pouvoir.

Si on veut s’y rendre. Si on veut avoir raison tout seul, et laisser la droite fédéraliste gouverner, c’est une autre affaire.

* L’auteur dirige désormais La boîte à Lisée, qui vient de publier Qui veut la peau du Parti québécois ?, dont ce texte est un extrait remanié et actualisé pour La Presse+.

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