ENTREVUES D’EMBAUCHE

« Vous venez d’où ? »

Les nouveaux arrivants comprennent bien que les gens qui leur posent des questions s’intéressent à eux

J’enseigne en francisation des immigrants depuis 10 ans. Je me suis spécialisée, au fil du temps, avec de nouveaux arrivants débutants, qui ne parlent pas la langue de Molière.

Je leur apprends la langue française, évidemment, à parler, à écrire, à lire, mais je leur apprends aussi les codes sociaux du Québec. Figurent aussi à mes plans de cours un enseignement de la culture québécoise et de l’interculturel, comprenant un enseignement des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être. Afin de bien naviguer dans un nouveau pays, il faut non seulement comprendre sa langue, mais aussi le comprendre.

Le Québécois, être curieux

Cette semaine, nous avons su dans les médias que La Vie en rose allait devoir payer 5000 $ à un homme qui perçoit avoir été insulté et brimé par une question posée en entrevue sur l’origine de son nom. En général, ce que je dis à mes étudiants, c’est que le Québécois est curieux. Il s’intéresse aux gens… ainsi qu’à leur perception de la météo. Lorsqu’il entend un bel accent, ou croise des yeux exotiques, il est porté à demander aux gens d’où ils viennent… et comment ils ont trouvé leur premier hiver ! J’enseigne cela à mes étudiants dès les premières heures que je passe avec eux. Lorsque j’évalue leur niveau de langue, afin de les classer dans la bonne classe lors de leur inscription, c’est la deuxième question que je leur pose, tout de suite après leur avoir demandé leur nom et leur prénom.

« Vous venez d’où ? » Parfois, lorsque j’ai la conviction que la personne devant moi ne vient pas de Gaspésie, je pousse l’audace un peu plus loin, et je demande : « Vous venez de quel pays ? » Tout juste après, je leur demande quelle est leur langue maternelle.

Jusqu’ici, je dois avoir été chanceuse, personne ne m’a encore poursuivie en justice.

C’est pourtant une entrevue. En général, on me renvoie poliment la question : « Et vous, madame ? » J’ai le teint olivâtre, des sourcils épais et les cheveux foncés. C’est toujours en souriant que je dis que je suis le produit de l’interculturel, et que je suis à 50 % calabraise. Que ma mère s’appelle Gualtieri. Je n’en ai jamais eu honte.

Le programme de francisation du Ministère prévoit l’enseignement du verbe « venir de » et sa conjugaison « Je viens + préposition de lieu » dans les premières heures de cours. Pourquoi ? Parce que parler de son identité et se présenter implique nécessairement d’expliquer d’où l’on vient afin de faire connaissance avec l’autre, qu’il soit québécois ou en voie de l’être. Parce que c’est une question qu’on leur posera plusieurs fois dans leur vie, peut-être même tous les jours. Ce sera un signe d’intérêt et de volonté d’échange.

Vivre ensemble, ça demande d’apprendre à se connaître minimalement.

Croyez-en mon expérience : les nouveaux Québécois sont toujours fiers de leur patrie, et de dire d’où ils viennent et qui ils sont. Je n’arrêterai pas de m’intéresser aux gens parce qu’une personne, semble-t-il, a été offusquée d’avoir à divulguer une information classée secret-défense, soit son lieu d’origine.

L’un des défis de notre société est de faire en sorte que nos nouveaux arrivants participent à la société d’accueil. Pour cela, deux conditions : apprendre la langue et intégrer le marché du travail. Les nouveaux arrivants comprennent bien que les gens qui leur posent des questions s’intéressent à eux. J’imagine le traumatisme qu’ils vivront lorsque plus personne ne leur posera la question. Et là, ce sera catastrophique pour notre Québec, terre d’accueil.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.