La parole aux réfugiés

Ce qu’ils ont à dire

Tout le monde a son idée sur eux, « les réfugiés ». Mais eux, quelle réalité ont-ils à raconter ? C’est précisément pour répondre à cette question que La Presse ouvre aujourd’hui ses pages à des collaborateurs très spéciaux. Pendant plusieurs mois, ceux-ci ont travaillé avec des journalistes pour comprendre les rudiments du métier, de l’art du reportage à la rédaction d’un article. Et c’est avec beaucoup de fierté que nous vous présentons aujourd’hui le fruit de leur travail.

La parole aux réfugiés

Pourquoi nous voulions écrire dans La Presse

Depuis la crise des réfugiés, nous sommes parfois vus comme des « extraterrestres ». J’aimerais bien que tout le monde sache que partir de son pays, ce n’est pas exactement comme partir en pique-nique.

Je vis à Montréal depuis maintenant 17 mois. Je parle avec beaucoup de gens autour de moi. Des amis, des connaissances, et même les gens dans la rue. La plupart sont accueillants et gentils. Mais je me sens incompris lorsque je leur raconte ce que j’ai dû affronter pour fuir mon pays, la Syrie, et venir ici au Canada.

Tout le monde parle de nous, « les réfugiés ». Mais nous ne voulons pas seulement être une manchette de journal. Nous aussi, nous avons des choses à dire.

Ce projet de collaboration entre La Presse et l’organisme SINGA Québec est né d’un constat simple et évident : on parle beaucoup des personnes réfugiées, mais rarement avec elles. Politiciens, intellectuels, artistes ou citoyens engagés : beaucoup ont exprimé leur opinion, favorable ou non, à propos de leur arrivée au Québec. Mais qu’en est-il de ces personnes ? Quel regard ont-elles sur leur propre situation ?

Il y a parmi nous des personnes très instruites qui sont venues ici chercher une meilleure vie. Nous voulons montrer à tous les Québécois que nous sommes ici pour contribuer à la société et faire avancer le Québec et le Canada. 

Nous voulons bâtir des ponts et non des murs. En somme, il faut se parler. Se taire, c’est entretenir les peurs.

À propos de ce numéro spécial

Né d’une organisation éponyme fondée en France en 2012 (Singa France) et créé à Montréal en 2015, Singa Québec travaille avec des personnes nouvellement arrivées au pays pour leur donner les moyens de s’épanouir et de faire ainsi profiter leur société d’accueil de leurs talents. En mars dernier, Singa France s’est associé au quotidien Libération pour un numéro spécial dans lequel des réfugiés ont pris la plume pour aborder les sujets de leur choix. Cette idée a été reprise par Singa Québec, qui a proposé au printemps à La Presse de tenter l’expérience de ce côté de l’Atlantique. 

Moyad Almarzoki

Âge : 32 ans
Origine : Syrie
Arrivée au Canada : 2016

Moyad est diplômé en littérature anglaise. Il travaillait comme professeur d’anglais et interprète en Syrie, puis en Égypte, après avoir fui son pays. Aujourd’hui établi à Montréal, il a appris le français au collège de Rosemont et prévoit s’inscrire bientôt à un cours d’écriture à l’UQAM. « Ce que je souhaite désormais, c’est bâtir une meilleure vie pour moi et contribuer à la société québécoise et canadienne. »

Témoignage

Au bout du chemin Roxham

Que se passe-t-il dans la tête de ceux et celles qui franchissent illégalement la frontière canadienne pour demander asile ? Et une fois au pays, trouvent-ils l’accueil qu’ils espéraient pour enfin recommencer leur vie ? Pour certains, comme Zein Al Abdullah, l’horizon au bout du chemin Roxham tarde à se dégager. Voici son histoire.

J’ai quitté la Syrie en décembre dernier, lors de l’évacuation des résidants d’Alep après le siège imposé sur la ville. J’étais bénévole dans un hôpital, j’aidais les blessés, surtout des femmes et des enfants, et je travaillais pour une organisation humanitaire. J’étais aussi bénévole dans une école d’Alep et j’étais responsable du soutien psychosocial des enfants.

En 2015, j’avais obtenu un visa qui me permettait d’entrer aux États-Unis et un autre pour entrer en Grande-Bretagne. C’est presque impossible qu’un citoyen syrien obtienne un visa pour les États-Unis, mais ce visa m’a été donné de manière exceptionnelle afin d’assister à un festival de films documentaires sur des femmes syriennes qui ont été militantes pendant la révolution. J’étais l’une d’elles. J’ai assisté, fin 2015, aux films du festival qui ont été présentés au ministère des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, en présence de plusieurs politiciens intéressés par la situation en Syrie, ainsi que dans plusieurs universités et salles de cinéma. Je me suis aussi rendue aux États-Unis au printemps 2016.

J’étais contente de pouvoir raconter la souffrance des Syriens qui vivent à l’intérieur de la Syrie, mais je n’ai jamais eu l’idée de rester aux États-Unis ou de faire une demande d’asile. Je devais retourner à Alep pour continuer à aider les blessés. J’avais promis à mes élèves de revenir. Et j’y suis retournée.

Quelques jours après mon retour à Alep, la ville a été mise en état de siège par le régime syrien. Le siège a duré plusieurs mois. On souffrait de la faim. Avec les bombardements intenses, on risquait la mort.

Le siège a pris fin grâce à une entente qui exigeait l’évacuation des résidants de la ville vers une zone contrôlée par le régime.

Après avoir été expulsée d’Alep, je voulais vivre dans un pays qui respecte ma liberté et mes idées pour commencer ma nouvelle vie. Je suis donc retournée aux États-Unis. Mais je n’ai pas trouvé là-bas cette sécurité que je recherchais, et la terreur de voir les demandeurs d’asile comme moi être expulsés m’envahissait. Comme je suis une femme voilée, je n’ai pas échappé aux regards hostiles. J’ai rencontré beaucoup de Syriens qui vivaient aux États-Unis depuis plusieurs années et qui n’ont pas encore obtenu le statut de réfugié, parce que le processus est très complexe.

Je suis arrivée aux États-Unis juste quelques jours après la prestation de serment du président Trump aux États-Unis, en janvier. Les directives hostiles aux réfugiés et aux immigrants commençaient à apparaître, comme l’intention du président d’interdire l’entrée au pays des citoyens de sept pays, dont la Syrie. Personne ne savait jusqu’où ces directives iraient. Je suis restée aux États-Unis environ deux mois, mais je n’ai pas fait une demande d’asile, car je ne me sentais pas en sécurité – surtout après avoir entendu l’histoire d’un jeune Syrien qui avait été expulsé.

C’est lorsque j’ai vu dans les médias l’accueil des nouveaux arrivants au Canada que j’ai décidé de traverser la frontière.

Le Canada respecte les droits de l’homme, les libertés et les différences fondées sur la religion et le genre. Les Syriens n’y sont pas expulsés vers leur pays d’origine. Ça m’a donné un sentiment de sécurité.

C’est pourquoi, en mars dernier, je me suis dirigée vers le passage frontalier de Windsor pour faire une demande d’asile officielle au Canada. Mais les agents canadiens ont refusé ma demande et m’ont renvoyée aux États-Unis, en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs, qui nous oblige à demander le statut de réfugié dans le pays par lequel on est arrivé en Amérique.

Comme je ne voulais pas déposer ma demande aux États-Unis, il me restait la possibilité de traverser la frontière en pleine forêt, au risque de mettre ma vie en danger, pour pouvoir faire une demande d’asile. C’est ce que j’ai fait.

J’ai entendu parler du chemin Roxham grâce aux nouvelles et aux articles de presse qui parlaient de la vague d’immigration au Canada. C’était un endroit terrifiant. Il y avait de la neige partout, et j’ai eu peur de perdre mes doigts à cause du froid. C’est ce qui est arrivé à certaines personnes, alors que d’autres se sont égarées, comme Dina, demandeuse d’asile de la Somalie, qui a perdu son chemin pendant cinq heures en traversant la frontière canado-américaine en novembre dernier.

J’avais peur de croiser des animaux sauvages, j’avais peur d’être rejetée et d’être expulsée, j’avais peur d’être mise en prison, j’avais peur d’errer dans la forêt et de perdre mon chemin, j’avais beaucoup de peurs, mais je n’avais pas d’autre choix.

Ma décision ne diffère pas beaucoup de celle des Syriens qui ont décidé de traverser la mer dans des bateaux pneumatiques… Nous n’avons plus de place là-bas, en Syrie. Nous devons continuer.

Avec chaque pas, je me rappelais ces visages des enfants qui se sont noyés et qui ont été engloutis par la mer. Je ne suis pas plus courageuse qu’eux. J’avais survécu au bombardement d’Alep, au siège et à la prison, mais je n’avais plus rien à craindre. C’était la vie ou la mort.

***

Je suis arrivée au premier point situé à la périphérie du territoire canadien où la police surveillait les gens qui traversaient. Les policiers étaient aimables et gentils, contrairement aux personnes qui m’ont interrogée lors de mon premier passage aux frontières officielles. Ils m’ont permis d’entrer au Canada.

Mais encore une fois, en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs, je n’ai pas pu obtenir le droit d’asile.

Depuis cinq mois déjà, j’ai consulté plusieurs avocats en immigration, mais ils n’ont rien pu faire pour m’aider. Ma situation légale est complexe et je ne sais pas ce qui va se passer. Une directive gouvernementale empêche l'expulsion des Syriens qui sont au Canada. Mais je n'ai pas le droit de faire une demande d’asile au Canada, à moins que l’Entente sur les Tiers pays sûrs ne soit annulée ou encore qu'une exception ne me soit accordée.

Cette entente met en danger la vie de ceux qui souhaitent demander l’asile au Canada en les poussant à franchir les frontières de façon irrégulière. De plus, les enfants voient leurs parents passer par toutes les procédures de sécurité (comme inspection et autres) – j’ai moi-même vu certains d’entre eux pleurer quand leurs parents ont été fouillés et même, parfois, menottés.

***

Le 31 mai dernier, j’ai accompagné des reporters de La Presse près de la frontière. Nous nous sommes dirigés vers le chemin Roxham, plus précisément à l’endroit exact où j’avais traversé, deux mois auparavant.

J’ai alors vu des gens emprunter le même chemin que moi. Fatima, une petite Yéménite de 7 ans, a traversé la frontière avec ses parents. La police a commencé ses procédures habituelles de sécurité en interrogeant les arrivants. La peur se voyait dans les yeux de Fatima lorsque la police a commencé à fouiller son père. Elle s’est mise à pleurer.

Je me suis approchée de Fatima pour la rassurer. « Ce sont des actes normaux. J’étais ici il y a un mois, et j’ai été fouillée aussi. Ils sont gentils, n’aie pas peur ! Et ce pays est très beau, tu vas l’aimer. »

Alors que j’essayais de calmer la petite fille, j’ai aussi ressenti de la peur. Je me suis souvenue du jour où j’ai traversé cette frontière. Je me rappelle souvent les détails de ce voyage terrifiant, mais j’essaie de les chasser, car je veux commencer une nouvelle vie.

J’aimerais tant m’installer au Canada. J’aimerais apprendre la langue de ce pays, poursuivre mes études, travailler et acquérir de nouvelles expertises.

Mais je ne comprends pas que l’on puisse, d’une part, vouloir accueillir les réfugiés et, d’autre part, appliquer une pareille entente qui empire la souffrance des migrants, tout en sachant que cette entente n’empêche pas les demandeurs d’asile d’essayer d’entrer au Canada.

Au lieu d’un accueil médiatique pour les nouveaux arrivants au Canada, il aurait peut-être fallu prendre les mesures nécessaires pour faciliter le passage et la protection de la vie des arrivants.

Le réfugié n’a jamais voulu être un réfugié. Il ne lui reste qu’à mettre ses malheurs de côté et à tout recommencer à zéro.

Zein Al Abdullah

Âge : 27 ans

Origine : Syrie

Arrivée au Canada : 2017

Originaire de la ville d’Alep, Zein est arrivée au Canada en mars dernier. En Syrie, elle était infirmière, avant d’aller faire une maîtrise en éducation et de travailler comme enseignante. Elle souhaite aujourd’hui vivre avec toute sa famille sous le même toit.

Reportage

Quand le couple ne survit pas au choc culturel

Pour la plupart des familles syriennes, l’épreuve de l’immigration sera l’occasion de souder les liens. Mais pour d’autres, le choc culturel sera tel que le couple n’y survivra pas. Trois immigrés syriens se sont confiés à Roa Al-Kayal.

Nour Mahmoud*

Originaire d’Alep, cet entrepreneur quinquagénaire a travaillé en Arabie saoudite. Il vit aujourd’hui dans les Maritimes.

« Je suis arrivé au Canada avec ma femme et mes trois filles. Nous étions parrainés par mon beau-frère. À notre arrivée au Canada, il a incité ma femme à ouvrir un compte bancaire en son nom personnel et à refuser d’ouvrir un compte conjoint. Nous avons eu, ma femme et moi, une dispute à propos de l’argent versé par mon beau-frère pour nous parrainer. Par la suite, ma femme m’a demandé de quitter la maison parce qu’elle voulait vivre seule avec mes filles. Et maintenant, je vis seul depuis huit mois et je n’ai pas le droit de voir mes filles ou de leur parler. Dieu témoigne que je n’ai rien fait de mal. J’habitais dans les pays du Golfe avec ma femme et mes filles, et on avait une vie qui était pleine d’amour. Je réfléchis beaucoup. J’ai perdu beaucoup. J’ai perdu mon pays, je me suis perdu moi-même, j’ai perdu ma femme et j’ai perdu mes filles. »

Sara Ahmed*

Originaire de Damas, cette mère célibataire de quatre enfants vit aujourd’hui en Ontario.

« Quand je suis arrivée au Canada avec ma famille, nous étions très heureux. Nous voulions recommencer notre vie. Mon mari était un homme religieux et honnête. Mais avec le temps, après avoir inscrit les enfants à l’école, suivi des cours d’anglais et installé une routine, j’ai remarqué que mon mari s’était isolé. Il s’assoyait seul pendant de longues heures dans sa chambre et criait si les enfants s’adressaient à lui. J’ai essayé de comprendre ce qui se passait, mais il répondait toujours qu’il était fatigué et qu’il voulait se reposer et dormir. Un jour, je suis entrée dans la chambre et je l’ai surpris en train d’avoir une relation sexuelle virtuelle avec une femme par Skype. Il m’a dit que cette femme était sa maîtresse et qu’il voulait rompre avec moi pour pouvoir l’épouser, parce que je n’ai pas le corps qu’il aime. Pendant les jours qui ont suivi, il a quitté la maison et négligé toute responsabilité envers les enfants. Il est allé vivre avec son amoureuse et nous avons divorcé. Maintenant, je m’occupe seule de mes quatre fils. Je me questionne tous les jours. Est-ce que j’ai traversé ces milliers de kilomètres pour me retrouver en exil, toute seule, à m’occuper de quatre enfants ? »

Haytham Adham*

Âgé de 42 ans, cet ingénieur de formation vit aujourd’hui à Toronto.

« Je vivais avec ma femme en Arabie saoudite et notre vie était plutôt calme. Ma femme était religieuse et portait le voile et le code vestimentaire islamique. Plusieurs mois après son arrivée au Québec et son admission à l’école de francisation, elle revenait chaque jour avec des idées de liberté et d’ouverture qui ne correspondaient pas à la façon dont j’ai été élevé toute ma vie. Elle m’a dit qu’elle voulait enlever le voile parce qu’elle était gênée dans la classe de francisation et que le voile lui causait un embarras. Elle a fini par enlever son voile et je ne pouvais pas l’interdire, car je sais que les lois ici au Canada protègent les droits des femmes et que l’homme n’a aucun pouvoir sur la femme. J’ai accepté la situation avec amertume, mais chaque jour, je sens que je vis dans un état de schizophrénie. Je n’arrive pas à accepter ma femme sans voile et avec des vêtements courts montrant ses charmes à tout le monde. Je ne peux pas vous cacher que mes sentiments envers elle ont commencé à changer. Ce n’est plus la femme avec qui j’ai partagé 10 ans d’amour et d’affection. Je pense sérieusement au divorce. Mais… il faut toujours penser aux enfants, car c’est eux, la priorité. Je crains de les laisser seuls et j’ai peur de l’influence de leur mère sur eux. »

* Noms d’emprunt

Ibtehal Kaddour

Syrienne d’origine, elle travaille aujourd’hui pour l’organisme PRAIDA, qui accompagne les demandeurs d’asile.

« L’une des raisons du divorce chez les Syriennes de la diaspora est l’influence de la société d’accueil. Dans les sociétés arabes, les femmes peuvent décider de maintenir leur vie conjugale afin de préserver une certaine réputation. En arrivant au Canada, elles sont débarrassées de ces obligations. Une autre cause du divorce est le facteur financier dans son pays d’origine, elle est incapable de se soutenir elle-même et ses enfants financièrement, mais dans les pays d’immigration, elle reçoit l’aide sociale et les allocations familiales du gouvernement, ce qui lui donne une indépendance. Par contre, quelques cas de divorce ne représentent pas ce que vivent la majorité des familles. Beaucoup de familles immigrantes maintiennent leur cohésion familiale. Souvent, l’immigration a consolidé les liens d’amour dans une même famille. »

Roa Al-Kayal

Âge : 40 ans

Origine : Syrie

Arrivée au Canada : 2013

Née à Homs, en Syrie, Roa est arrivée au Canada en 2013 en vertu du programme d’immigration de travailleurs qualifiés. Avant son arrivée, elle était enseignante en chimie aux Émirats arabes unis. Aujourd’hui établie à Montréal avec son fils de 12 ans, elle a occupé plusieurs emplois, avant de retourner aux études. Lorsque les réfugiés syriens ont commencé à arriver au Canada, elle a eu envie de les aider et, ainsi, « de redonner l’aide [qu’elle avait] reçue du Canada ». Auteure d’un blogue pour aider les immigrants à s’établir au Québec, elle souhaite retourner un jour enseigner dans une école à Montréal.

Entrevue

« Ne pas avoir de réseau, c’est rater les opportunités »

Comment aider les nouveaux arrivants à lancer leur entreprise ? Aux commandes de l’accélérateur de l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC, Manaf Bouchentouf crée des liens entre gens d’affaires, contourne les obstacles financiers et met au monde de belles histoires entrepreneuriales. Bahjat Joubi s’est entretenu avec lui.

En quoi l’entrepreneuriat peut-il favoriser l’inclusion des personnes immigrés au Québec ?

L’entrepreneuriat n’est pas le vecteur direct d’inclusion. C’est tout ce qui se passe autour. Pour se lancer dans l’entrepreneuriat, il faut connaître la culture au sens large : la langue, comprendre les différentes nuances de la langue et la culture d’affaires. L’entrepreneuriat se situe entre la culture générale et la culture d’affaires. La culture, c’est aussi simple que la ponctualité, comment rédiger un courriel ou savoir ce qu’attend un investisseur potentiel. Pour que ça fonctionne, il faut mettre ensemble des nouveaux arrivants, des entrepreneurs et des Québécois « de souche ».

Quel genre de projet pouvez-vous aider à démarrer ?

Le plus important n’est pas le projet, c’est l’entrepreneur. C’est l’attitude entrepreneuriale qui se caractérise : être engagé par son projet, être motivé, avoir une certaine ambition pour soi et son projet, mais aussi avoir une certaine humilité, de la résilience et accepter la critique.

Quelles sont les difficultés auxquelles peuvent faire face les nouveaux arrivants quand ils veulent se lancer en affaires au Québec ? Des conseils ?

L’enjeu n°1 est le réseau. Ne pas avoir de réseau, c’est rater les opportunités. Le réseau est le plus important : ce sont les fournisseurs, les partenaires d’affaires, les revendeurs et les clients éventuels. L’enjeu du réseau est d’autant plus important pour des nouveaux arrivants. De plus, les nouveaux arrivants n’ont pas toujours un historique financier. Pour contourner le problème, il existe des astuces : des banques permettent de bloquer un montant et d’utiliser une carte de crédit, afin de se construire un profil de « bon payeur ». À l’Institut, nous proposons un prêt d’honneur, offert à tout le monde, résidents temporaires ou permanents, qui permet de donner un coup de pouce aux jeunes entrepreneurs.

À l’inverse, y a-t-il des avantages à entreprendre en tant que nouvel arrivant ?

En étant immigré, on a cette aptitude à prendre des risques. On a changé de pays, donc le plus gros des risques a été pris. C’est un avantage, incontestablement. On vient d’une culture différente. On a la possibilité d’importer de nouvelles mentalités, ce qui permet d’avoir plus de facilités pour répondre aux besoins spécifiques des communautés culturelles présentes.

Quelles sont les principales raisons pour expliquer l’échec entrepreneurial ?

Habituellement, les trois principales raisons sont une mauvaise gestion financière (gestion cash flow), un réseau pas assez développé ou un produit ou un service qui ne répond pas aux besoins.

Avez-vous personnellement vécu ce parcours d’entrepreneur immigrant ?

Je suis arrivé au Québec pour étudier à l’Université Laval en sciences. L’un des meilleurs systèmes d’intégration est le système d’éducation. J’y ai appris la culture québécoise. J’ai saisi une occasion de lancer mon entreprise en communication pour aider les sociétés et fondations à vulgariser leurs travaux scientifiques.

J’ai ensuite continué à faire de l’accompagnement entrepreneurial. C’est un privilège d’être entouré par plusieurs communautés et de pouvoir côtoyer des entrepreneurs parce que chaque entreprise est un défi.

Qu’est-ce que l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC ?

À la fois observatoire, incubateur et accélérateur de projets d’entreprise, l’Institut offre notamment de la formation aux entrepreneurs et les aide à développer un réseau de contacts. Il est le fruit d’un partenariat entre l’école de gestion HEC Montréal et la Banque Nationale.

Une entreprise que l’Institut a aidé à mettre au monde

Cousmos, entreprise fondée par Khadija El Bouhali, offre des couscous santé, alliant la tradition marocaine et certaines saveurs québécoises.

« Khadija El Bouhali, fondatrice de Cousmos, est passée par l’incubateur et l’accélérateur. Elle est arrivée au Québec où elle a commencé à travailler dans le milieu social, pour les immigrants, et dans le milieu économique. Elle a évolué dans un domaine extrêmement difficile, qui est l’agroalimentaire. Elle est passée par l’émission Dans l’œil du dragon. Aujourd’hui, elle a plusieurs points de vente, a des contrats signés avec des acteurs majeurs et des grandes enseignes. »

Bahjat Joubi

Âge : 29 ans

Origine : Syrie

Arrivée au Canada : 2016

Diplômé en administration des Universités d’Alep (Syrie) et de Leeds (Angleterre). Il a déjà possédé son propre hôtel dans sa ville natale d’Alep. À partir de 2012, il a travaillé au Liban dans le domaine de la logistique et la chaîne d'approvisionnement, jusqu'à son départ pour le Canada en 2016. Il vit aujourd'hui à Montréal et travaille pour une entreprise de vente de vêtements au détail.

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