Documentaire-choc/Tickled

Des chatouilles au harcèlement

Accepteriez-vous d’être filmé pour une compétition d’endurance aux chatouilles, payé 1500 $, en plus de bénéficier d’un séjour luxueux à Los Angeles ? Intrigué par l’offre, le journaliste néo-zélandais David Farrier a enquêté sur l’entreprise Jane O’Brien Media, qui réalise ces capsules vidéo. Or, il a vite compris que ses questions n’étaient pas bienvenues, mais surtout que d’anciens participants  – qui se disent victimes de harcèlement – ne riaient plus depuis longtemps.

T.J. était un footballeur de talent qui aspirait à percer dans les ligues majeures. Or, en demandant à un site internet que l’on retire des vidéos où il participe à une compétition filmée d’endurance aux chatouilles, il ne pouvait s’imaginer qu’il provoquerait la colère de Jane O’Brien Media, propriétaire des capsules. Et que sa vie se transformerait en cauchemar.

Dans Tickled, un documentaire-choc présenté en première mondiale en janvier dernier au festival Sundance, qui sera à l’affiche dès vendredi au Cinéma du Parc, à Montréal, le journaliste néo-zélandais David Farrier et son acolyte Dylan Reeve enquêtent sur les ramifications d’une mystérieuse entreprise qui invite à ses frais de jeunes hommes au physique athlétique à subir une séance filmée de chatouilles extrêmes. Mais quand certains participants changent d’idée, et tentent de faire retirer les vidéos de l’internet, ils deviennent la cible d’une effrayante campagne de harcèlement.

« Dans le cas de T.J., comme pour plusieurs autres participants, un site internet a été enregistré avec son vrai nom [alors qu’il devait rester anonyme, selon ce qu’on lui avait dit au départ]. On y trouvait toutes ses vidéos de chatouilles, des déclarations diffamatoires à son sujet et ses informations personnelles, afin qu’on puisse le contacter directement. Puis, on a envoyé ce site et des courriels à ses entraîneurs et à ses proches », raconte David Farrier, en entrevue téléphonique de Chicago.

Si certains participants rencontrés dans le cadre de son enquête se disent satisfaits de la façon dont ils ont été traités, T.J. n’est pas le seul à avoir été victime d’une campagne de dénigrement, explique Farrier. 

« Certains subissaient ces cyberattaques parce qu’ils voulaient arrêter de tourner des vidéos, d’autres parce qu’ils voulaient retirer les vidéos existantes de l’internet. Parfois, il n’y avait tout simplement pas de raisons. » — David Farrier, journaliste et coréalisateur de Tickled

David Farrier est bien connu en Nouvelle-Zélande. Depuis 2006, il est journaliste culturel pour un média national et réalise des reportages légers sur les vedettes internationales qui visitent son pays. Quand il a écrit à Jane O’Brien Media il y a quelques années, sollicitant une entrevue, il a été surpris par la réponse qu’il a reçue.

« Une certaine Debbie Kuhn m’a répondu que l’entreprise refusait de m’accorder une entrevue et qu’elle ne voulait surtout pas être associée à un homosexuel. J’ai trouvé ça étrange. Les vidéos qu’ils réalisent sont, comment dire… assez gaies ! Je trouvais bizarre d’être confronté à des homophobes », raconte David Farrier.

PLUSIEURS MENACES DE POURSUITE

Sa curiosité piquée, il a lancé une campagne de sociofinancement pour lui permettre de réaliser un premier voyage aux États-Unis, où sont filmées les vidéos. Avec son collègue Dylan Reeve, il a rencontré d’anciens participants, des recruteurs (qui sillonnent les villes à la recherche de volontaires) et les responsables des plateaux de tournage. Mais avant même de commencer ce voyage, l’équipe a reçu une lettre d’avocat la menaçant de poursuites si elle continuait son projet. Il s’agissait d’une première lettre d’une longue série de procédures judiciaires.

Or, plutôt que d’abandonner son projet, Farrier et son collègue sont plutôt allés à la recherche de financement, d’abord à la commission des films de la Nouvelle-Zélande, puis auprès de producteurs. Leur objectif : débusquer la personne qui est derrière Jane O’Brien Media.

UN TOURNAGE DIFFICILE

« Jane » n’existe toutefois pas, ont découvert les documentaristes. Il s’agirait d’un mystérieux millionnaire new-yorkais, qui n’en serait pas à ses premières campagnes de harcèlement auprès de participants à ses différents concours filmés de chatouilles.

« Les gens que j’ai rencontrés et qui ont accepté de témoigner ont été très courageux », estime David Farrier, qui est ces jours-ci en tournée nord-américaine pour faire la promotion du film.

« Maintenant que le documentaire sort au Canada et aux États-Unis, j’espère que la police s’intéressera au dossier. Je ne suis pas un juge, je ne peux pas dire si c’est légal ou non, mais je crois que tout ceci doit arrêter », poursuit-il, précisant qu’il n’a toujours pas été contacté par des enquêteurs.

Lors de la première américaine, vendredi dernier à Los Angeles, l’homme qui est visé par Tickled, celui-là même qui financerait les opérations de Jane O’Brien Media, a assisté à la projection. À la fin, il a pris la parole pour donner un conseil à l’équipe du film : allez chercher des conseils juridiques, a-t-il dit, précisant qu’il avait toujours l’intention de les poursuivre.

Comme quoi Tickled est une histoire de chatouilles qui ne fait plus rire personne.

La projection de Tickledvendredi au Cinéma du Parc, sera suivie d’une séance de questions-réponses par Skype avec David Farrier. 

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